La conférence sur la sécurité à Moscou a montré que la menace majeure est le terrorisme islamiste qui ne peut être battu qu'en étroite collaboration. Philippe Migault, expert militaire, analyse pourquoi rien ne s'arrange entre Russes et Occidentaux.
Rien n’a réellement changé depuis l’an dernier. Et pourtant cette sixième édition de la conférence sur la sécurité internationale de Moscou semble camper un tableau encore plus sombre de la scène internationale.
Plus sombre parce que rien ne bouge. L’Etat islamique est acculé dans ses réduits de Raqqa et de Mossoul. Il recule en Libye. Les mouvements proches d’Al-Qaïda sont en difficulté dans la région d’Idlib. Mais le terrorisme islamiste est loin, très loin, d’être vaincu. Aux yeux du ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou – et de la plupart des intervenants qui se sont exprimés lors de la conférence – il demeure la principale menace, à Paris, Londres ou Saint-Pétersbourg…
Les constats posés dans le cadre de ce sommet sont partagés par la majorité des Etats de la scène internationale, mais face à la chaise vide des «Occidentaux», l’impuissance semble être la règle
Plus sombre parce qu’entre Russes et «Occidentaux», rien ne s’arrange. «Nos relations avec l’OTAN sont à leur plus bas niveau depuis la fin de la guerre froide», constate Valéri Guerassimov, chef d’état-major des armées russes. On espérait que les attachés militaires de l’OTAN à Moscou se rendraient au moins à la conférence en civil. Ils ont réellement du raser les murs tant ils sont passés inaperçus… L’art du FFOMECBLOT (camouflage) sans doute.
Plus sombre parce que les constats posés dans le cadre de ce sommet sont partagés par la majorité des Etats de la scène internationale, représentés eux dans la capitale russe, que les solutions font l’unanimité, mais que face à la chaise vide des «Occidentaux», l’impuissance semble être la règle.
Pourtant le discours dominant à Moscou est – peu ou prou – le même que celui que l’on entend fréquemment en France ou aux Etats-Unis. Face au terrorisme international il n’est pas de victoire possible sans collaboration entre toutes les nations de bonne volonté. L’échange d’informations entre services de renseignement, les frappes conjointes, concertées, idéalement dans le cadre d’une résolution des Nations unies, ou dans celui d’une opération conduite par une organisation internationale reconnue (OSCE…), la neutralisation des organisations criminelles qui financent le terrorisme, la mise en place d’une politique d’aide humanitaire massive pour pérenniser la paix une fois la victoire acquise, sont les solutions qui font consensus.
La rupture est à ce point consommée entre l’ouest et l’est de l’Europe que ce n’est pas la lutte contre le terrorisme qui prime. C’est la volonté d’imposer son leadership
Dans un monde multipolaire où les actions de force unilatérales ne sont plus concevables, la coopération multilatérale est la clé, tout le monde en convient, de Vladimir Poutine au Secrétaire général de l’OSCE, Lamberto Zannier. Et le temps presse. L’Etat Islamique et Al-Qaïda, conscients de leur défaite prochaine au Machrek, mettent en place de nouveaux sanctuaires au Yémen et en Afghanistan, d’où ils entendent semer le trouble à l’échelle régionale, Golfe Persique et Asie centrale.
Alors qu’attendons-nous ? Que les Russes viennent à Canossa. Les Etats-Unis et l’Union Européenne, qui viennent de reconduire leurs sanctions vis-à-vis de la Russie, sont tout à faits prêts à lutter avec les Russes contre le terrorisme. Dès que ceux-ci auront accepté de jouer le rôle d’auxiliaires et qu’ils auront cédé en Ukraine. Autant rêver.
Car chacun le déplore ici, la rupture est à ce point consommée entre l’ouest et l’est de l’Europe que ce n’est pas la lutte contre le terrorisme qui prime. C’est la volonté d’imposer son leadership, de gagner la «nouvelle guerre froide». Valéri Guerassimov le souligne : la montée en puissance du dispositif de l’OTAN aux frontières de la Russie, la mise en place d’un bouclier antimissiles, la guerre de l’information livrée contre la Russie ne peuvent qu’accroître le climat de méfiance réciproque. Quant à l’extension de l’OTAN au Monténégro, qui n’a d’autre avantage pour l’Alliance atlantique que d’accroître son influence dans les Balkans – les représentants de la Serbie et de la Croatie à la conférence de Moscou se sont entendus sur ce point – elle est aussi inutile militairement que provocatrice. La Russie propose de mettre en place de nouvelles mesures de confiance, de se concerter davantage afin d’éviter des incidents aériens ou navals aux confins de l’OTAN et de la Russie. Mais elle est sans illusions.
La volonté polonaise d’affronter la Russie relevait plus de l’ambition que de la crainte, de Pilsudski plus que de Poniatowski
Et les Russes sont loin d’être les plus offensifs lorsqu’il s’agit de dénoncer l’attitude des Etats membres de l’OTAN. La Pologne a fait l’objet lors de la conférence d’un tir de barrage en règle du lieutenant-général Andreï Ravkov, ministre de la défense du Belarus. Mettant l’accent sur les aspirations au leadership géopolitique de la Pologne entre Baltique et Mer Noire, il a souligné que la volonté polonaise d’affronter la Russie relevait plus de l’ambition que de la crainte, de Pilsudski plus que de Poniatowski. Quant à la Finlande et à la Suède, qui ont mis à disposition de l’OTAN leurs infrastructures militaires dans le cadre d’un processus de déploiement de troupes et de matériels dans la région Baltique, leur neutralité n’est plus que de façade, a-t-il souligné. Résolument offensif, il a enfin rappelé que l’adaptation du traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE), régulièrement demandée par la Russie et ses alliés, demeurait lettre morte, tandis que la fin du traité ABM (anti-ballistic missile) de 1972, dénoncé par l’administration Bush en 2001, avait créé les conditions d’une nouvelle crise en Europe avec le programme antimissiles américain.
Au total cette conférence s’est tenue dans un climat désabusé.
La question du Kosovo – dont on évoque la fusion avec l’Albanie dans le cadre d’un projet digne des aspirations nationalistes de 1941-1944 – a une fois de plus été évoquée avec fièvre.
L’ancien Président de l’Afghanistan ne partageait guère l’enthousiasme de Donald Trump après le largage sur son pays d’une bombe GBU-43
Hamid Karzaï, l’ancien président de la République d’Afghanistan, tout en soulignant la nécessité de combattre le terrorisme, ne partageait guère l’enthousiasme de Donald Trump après le largage sur son pays d’une bombe GBU-43, la plus puissante de l’arsenal américain hors nucléaire.
Les représentants serbe, grec, russes, ont tous souligné le caractère déstabilisateur de l’immigration massive, formée essentiellement de jeunes gens non formés, non intégrables rapidement, terreau futur du terrorisme, empruntant les mêmes routes que les terroristes qui frappent dans nos rues… tout en étant parfaitement conscients que les dogmes du «vivre ensemble» et du «droit d’asile» aveuglaient totalement leurs partenaires de l’UE.
Des débats riches, donc, autour des grandes questions de la sécurité internationale. Mais finalement un constat partagé : l’impasse. Pour faire la paix, il faut être deux.
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