Pour les partisans de l'OTAN, ses forces se rapprochent de la Russie dans un but «défensif» pour contenir la «menace russe». Le journaliste Bryan MacDonald se penche sur les paradoxes de cette logique.
Les partisans de l'OTAN croient que les soldats américains, britanniques et allemands envoyés aux frontières de la Russie relèvent de la «défense». Et que la reponse du Kremlin est agressive. Cette illusion pourrait être dangereuse.
George Bernard Shaw est probablement le deuxième, après William Shakespeare, plus grand dramaturge anglophone. En 1914, c'était une des personnes les plus célèbres en Europe. Les pièces de cet Irlandais, ont eu un immense succès à Berlin, Londres et Vienne. Journaux et magazines se disputaient la publication de ses travaux journalistiques.
Jusqu'au jour où il a commencé à rejeter la sagesse conventionnelle qui présentait la guerre naissante entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne comme une noble cause. Lors d'une interview avec une journaliste américain, Mary Boyle O'Reilly, il avait déclaré que les deux parties étaient coupables du conflit, suggérant que «les soldats devraient tirer sur leurs officiers et rentrer chez eux».
Tout à coup, il a été mis sur la liste noire des médias traditionnels. Il a ensuite utilisé The New Statesman, nouveau journal dont il détenait d'importantes parts, pour publier son Common Sense about the War, devenu plus tard légendaire.
Les gens ont peur de lever la tête, même s'ils savent que leurs convictions sont les bonnes
Ses idées ont été visionnaires. Surtout quand il évoquait que «la France et l'Angleterre devaient vivre avec l'Allemagne après la guerre, et que paralyser l'Allemagne par des exactions et des humiliations serait une grave erreur». L'incapacité de prendre en compte cet avertissement a, certes, créé les conditions de la montée en puissance d'Adolf Hitler et un conflit encore plus terrible un quart de siècle plus tard.
La réaction acerbe de l'establishment à sa polémique a été surprenante. Herbert Asquith, fils du Premier ministre, a appelé à fusiller Bernard Shaw. Entre-temps, son rival John Collings Squire a voulu qu'il soit «goudronné et plumé». Herbert George Wells et Gilbert Keith Chesterton l'évitaient publiquement.
L'idée de ce préambule est de montrer comment «la pensée de groupe» peut rendre aveugles jusqu'aux grands esprits. Les gens ont peur de lever la tête, même s'ils savent que leurs convictions sont les bonnes. Nous le voyons aujourd'hui à cette hystérie occidentale à l'égard de la Russie et au silence occidental, quand l'OTAN se rapproche de plus en plus des frontières de ce pays.
Ostmark von Deutschland
C'est surtout le cas maintenant, alors que les pom-pom girls du club militaire de l'Occident célébraient le déploiement des soldats britanniques en Estonie, loin de leur pays natal. Cette action a suivi le déploiement allemand en Lituanie et l'arrivée de troupes américaines en Lettonie.
Les médias de Londres ont accueilli cette démarche avec des titres agressifs. The Independent a écrit que «les premiers des 800 soldats britanniques sont arrivés en Estonie pour confronter Vladimir Poutine dans le cadre d'une épreuve de force avec l'OTAN». The Mirror a lancé : «Les troupes britanniques se joignent à l'épreuve de force contre Vladimir Poutine, s'approchant de la frontière russe.»
Pourtant, malgré ce chauvinisme, le club dirigé par les Etats-Unis décrit cela comme un geste défensif. Moscou, dont le personnel consulaire étudie la réaction de la presse britannique et la rhétorique de sa classe politique, a de plus en plus de mal à y croire. Ainsi, le Kremlin est de plus en plus tenté de croire à une provocation.
Ce n'était donc pas une grande surprise, quand le chef-espion allemand, Bruno Kahl, a annoncé que la Russie avait apparemment doublé sa présence militaire sur sa frontière occidentale. Les étudiants en histoire russe connaissent très bien la paranoïa de ce peuple à l'égard d'attaques en provenance de l'Occident. Les gouvernements occidentaux la connaissent sûrement très bien, à moins que leurs diplomates ne dorment à Moscou.
С'est un exemple classique de ce qui se passe quand la propagande va trop loin
Des règles différentes
Mais il y avait une chose surprenante dans la réponse de l'OTAN. Selon Der Spiegel, Bruno Kahl déclarait que la démarche russe «ne pouvait pas être perçue comme défensive».
Alors, soyons clairs. Selon la logique de l'OTAN, le renforcement par la Russie de ses frontières face au déploiement américano-britannico-allemand est interprété comme un acte offensif. Mais peut-on dire que le déployement de ces forces étrangères était, à l'origine, bienveillant ? Il semble que nous ayons là un exemple classique de ce qui se passe quand la propagande va trop loin.
Moscou a laissé les pays baltes partir il y a plus de vingt-cinq ans, et a été d'accord depuis pour qu'ils soient intégrés dans l'Union européenne et l'OTAN. En effet, il n'y a eu aucune tentative d'anéantir ces plans par des moyens militaires. En outre, le Kremlin a maintes fois donné des assurances de ne pas avoir intérêt à envahir ces Etats.
Néanmoins, les médias occidentaux et les think tank n'ont de cesse, depuis quelques années, de suggérer que Vladimir Poutine convoitrait ces territoires. Mais personne n'a jamais été capable d'avancer une seule raison convaincante pour que Moscou risque l'anéantissement nucléaire afin d'acquérir trois pays qui sont défendus par les Américains. Et pourquoi ? Il n'y a pas de ressources précieuses à exploiter, seulement une population sur le déclin, dont la majorité est extrêmement hostile à l'égard de la Russie.
De beaux discours
La situation actuelle semble être une sorte de prophétie autoréalisatrice. La promotion constante par des médias de l'idée selon laquelle la «Russie va envahir les pays baltes» a forcé les hommes politiques, dont la majorité connaît très mal la région, à faire quelque chose. En même temps, les dirigeants locaux engendrent des bénéfices électoraux, en agitant à la «menace russe» pour détourner l'attention de leur propre incompétence, alors que les pays baltes sont dans un marasme économique et que la corruption reste omniprésente.
Pour sa part, Moscou a exprimé publiquement sa préoccupation. Le ministre adjoint des Affaires étrangères, Alexis Mechkov s'interroge : «Qui a dit que cela va s'arrêterait là ? C'est la première fois depuis la Seconde guerre mondiale que nous voyons des soldats allemands le long de nos frontières.» Cette dernière ligne vaut la peine d'être répétée plusieurs fois, parce que le fait que Berlin envoie des troupes à la frontière russe c'est comme montrer un chiffon rouge à un taureau.
Une agitprop implacable nous a menés au point où des soldats occidentaux sont aux frontières de la Russie, et Moscou a été forcé à répondre à ce défi, ne serait-ce que pour apaiser l'opinion publique à l'intérieur du pays, opinion qui est, on peut le comprendre, inquiète.
Toute l'affaire est absurde. Et elle n'est avantageuse pour personne. Vous pouvez être sûrs que si Bernard Shaw était là, il appellerait les soldats occidentaux impliqués à tirer sur leurs officiers et à rentrer chez eux. En outre, vous pouvez être sûr qu'aujourd'hui Herbert Asquith et John Collings Squire insisteraient pour qu'il soit «banni». Après tout, nous avons déjà entendu ce genre de propos toxiques dans des circonstances similaires.
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