L'idée d'une potentielle unification des deux Irlandes est de plus en plus présente dans les médias. Est-elle vraiment réaliste ? Le journaliste Bryan MacDonald explique pourquoi tout n'est pas aussi simple qu'on le pense.
Beaucoup d'opinions ont été publiées ces derniers jours annonçant que l'émergence d'une Irlande Unie était soudainement de plus en plus probable. Beaucoup de personnes autrefois intelligentes réagissent aujourd'hui à la va-vite.
Désolé d'être rabat-joie. Mais depuis que les pro-Royaume-Uni ont perdu leur majorité absolue à l'Assemblée en l'Irlande du Nord, beaucoup d'idioties ont été écrites et prononcées au sujet de l'imminente «inévitabilité» de l'Irlande unie à la radio, à la télé, sur des blogs, sur les réseaux sociaux et même dans des les journaux dits «sérieux». Mais la réalité est que l'apparition d'un Etat irlandais de 32 comtés est très probablement pas imminente du tout.
Tenir un sondage frontalier et supposer que le Brexit serait la goutte d'eau qui a fait déborder le vase est trop simple
Il n'y a, certes, absolument aucun doute quant au fait que la grande majorité des Irlandais, de la baie de Bantry à Derry Quay et de Galway à Dublin, veut, en théorie, que l'île soit unifiée. Et ils l'ont toujours voulu, malgré l'attachement de certains fidèles à Londres et leur dévouement envers tout ce qui est britannique. Il est également indéniable que la communauté protestante d'Ulster s'est adoucie dans son attitude envers Dublin. Ses membres libéraux sont de plus en plus déçus par l'unionisme, qui, dans son état actuel, est aussi rétrograde que quelqu'un conduisant une High Nelly dans un monde de voitures électriques.
Pourtant, tenir un sondage frontalier et supposer que le Brexit serait la goutte d'eau qui a fait déborder le vase est trop simple. Parce que même si 50,01% minimum des gens du nord veulent leur passage au sud, le craic [la fête] ne fera que commencer. Et ce si jamais on arrive à atteindre ce nombre magique. Cela demandera une réorganisation complète des deux économies.
Avertissements teutoniques
Mettons de côté les absurdités habituelles, la situation n'est pas comparable à l'intégration par l'Allemagne de l'Ouest de son arrière-pays oriental dans les années 1990. A l'époque, l'Est avait perdu son parrain soviétique et n'avait rien de mieux à proposer. La situation s'apparente plutôt à l'intégration de la Corée du Nord par la Corée du Sud. La réalité est que la dernière chose que l'establishment de Séoul veut, c'est justement assimiler ces provinciaux du nord. Et ceux qui gardent les clés du pot de miel à Dublin ressentent exactement la même chose, la menace d'anéantissement atomique par son voisin en moins.
Même l'idée d'augmenter ce prélèvement ferait s'effondrer la classe moyenne irlandaise, qui se maintient à peine en l'état actuel des choses
Dans les années 90, Bonn a incorporé des terres perdues, creusant sa base industrielle, incitant les jeunes à déménager à l'ouest et introduisant une «taxe de solidarité». C'était un supplément de 5,5% sur le revenu, qui existe encore vingt-six ans plus tard. A l'heure actuelle, même si l'Irlande voulait imiter ce schéma, elle ne le peut pas. En raison de «charges sociales universelles» introduites après le crash financier de 2008 (charges de 5% pour les personnes gagnant la somme dérisoire de 18 000 euros par an et de 11% pour les chanceux qui gagnent plus de 100 000 euros). Soyons tout à fait clairs : même l'idée d'augmenter ce prélèvement ferait s'effondrer la classe moyenne irlandaise, qui se maintient à peine en l'état actuel des choses.
Parlons finances, parlons salaires. Le sud est une économie mondiale de haut rang, et les revenus du nord sont plus semblables à ceux d'Europe méridionale et orientale. En 2014, on évoquait la moyenne de 26 571 dollars au nord contre 38 056 dollars au sud. Et le gouffre est sans doute plus grand aujourd'hui, étant donné la façon dont l'économie a progressé l'an dernier (de 7,8%).
Il y a ensuite les taux de protection sociale. A Derry ou Lisburn, l'allocation est à un maximum de 117 euros par semaine, alors qu'à Cork ou Kilkenny, le minimum est de 193 euros. Pour les retraités, le sud offre un accord hebdomadaire non contributif de 222 euros contre 137 au nord. Qui va combler ce déficit?
Le monde réel
Les Britanniques, dites-vous, mais pourquoi? Comment croire qu'après une réunification le Royaume-Uni serait heureux de financer le Nord pour une décennie ou plus ? Ca n'arrivera pas. Comment les politiciens anglais pourraient-ils vendre cela à leurs électeurs? En outre, aucun marché de ce genre n'était sur la table pour l'Ecosse, quand elle a tenu un référendum il y a quelques années.
Les chiffres actuels, à Dublin, sont déjà assez ahurissants : la nation a une dette de 227 milliards de dollars, soit 81% du PIB. Et les sociétés étrangères profitant des faibles taux d'imposition des sociétés en Irlande, c'est quelque chose que la Grande-Bretagne Brexit pourrait chercher à exploiter en imitant cette stratégie.
La réunification exigera donc un démantèlement de la fonction publique des six comtés
En 2014, la différence entre ce que Londres a transféré au nord, comparé aux recettes de l'Echiquier de Belfast, était un stupéfiant équivalent de neuf milliards de livres. Près de ce que la République a dépensé pour son service de santé cette année-là. Néanmoins, le Sinn Fein a mentionné une étude américaine montrant comment «l'unification politique et économique de l'Irlande pourrait potentiellement générer 35,6 milliards d'euros de PIB en plus au cours des huit premières années.» Cela semble merveilleux, mais comment obtenir les 48 milliards d'euros restant autrement qu'en utilisant la dette nationale, qui est déjà vulnérable au changements de l'économie mondiale?
En outre, les deux marchés du travail ne sont pas complémentaires. Au nord, 31% de personnes (chiffre étonnant) est employée dans le secteur public, en comparaison avec 18% de l'autre côté de la frontière. La réunification exigera donc le démantèlement de la fonction publique des six comtés et beaucoup de marchandage. Qui mettra en œuvre ces réductions?
Questions latérales
Il y a encore d'autres facteurs. Beaucoup, à Londres, seront réticents à laisser le mini-état continuer ainsi, car cela pourrait encourager l'Ecosse à pousser pour un autre scrutin sur l'indépendance.
La volonté des contribuables du sud de financer le plan n'est pas non plus assurée. Alors que les sondages d'opinion montrent qu'une grande majorité est pour la réunification, un décompte plus nuancé a récemment livré un résultat différent. Lorsque l'agence des sondages a mentionné l'élephant de neuf milliards de livres dans la chambre, les choses ont rapidement changé. Le score final était de 50,4% en faveur et 49,6% contre, sans compter les indécis.
La réunification irlandaise serait la plus grande chose qui pourrait arriver à notre île
On ne peut pas non plus oublier la culture unioniste d'Ulster. Croyons-nous vraiment maintenant, même si une Irlande unie obtient 50,1% lors d'un scrutin, que les perdants accepteraient gentiment la volonté du peuple ? Ne comptez pas là-dessus.
La réunification irlandaise serait la plus grande chose qui pourrait arriver à notre île. Mais, malheureusement, il y a trop de raisons de croire que ce n'est ni inévitable ni imminent.
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