Les missiles balistiques nord-coréens ne présentent aucune menace réelle pour les Etats-Unis, mais les Américains les utilisent comme prétexte pour placer leurs missiles près des côtes chinoises, explique Philippe Migault, expert militaire.
Le tir de missile nord-coréen survenu le 12 février a déclenché une tempête de protestations. Il doit pourtant être appréhendé avec mesure. En premier lieu parce qu’il ne constitue que la dernière provocation en date d’un régime nord-coréen coutumier du fait. En second lieu parce que l’arme testée est un vecteur aux performances bien modestes, comparativement à certains lancements précédemment effectués par Pyongyang. Enfin parce qu’il ne traduit nullement une nouvelle montée des tensions dans la péninsule coréenne ou en mer du Japon.
Pyongyang n’a même pas besoin de moderniser son arsenal pour frapper durement la capitale sud-coréenne
En revanche ce test va un peu plus accroître le climat de défiance entre la Chine et les Etats-Unis. Directement peu concernés par la menace balistique nord-coréenne, ces derniers sont les principaux protagonistes de la course aux armements qui se joue en Asie de l’Est, autour notamment, des programmes de défense antimissiles balistiques américains. Dans ce cadre, les rodomontades de Kim Jong Un revêtent une importance stratégique, quoique secondaires d’un point de vue militaire.
Evidemment la menace balistique nord-coréenne existe. Mais elle doit être relativisée.
Compte tenu de la distance séparant Séoul du 38ème parallèle, une petite soixantaine de kilomètres, Pyongyang n’a même pas besoin de moderniser son arsenal pour frapper durement la capitale sud-coréenne. Nombre de ses lance-roquettes multiples ont cette capacité. Et Kim Jong Un dispose de dizaines de SRBM (Small Range Ballistic Missiles ou missiles balistiques à courte portée) rustiques capables de frapper n’importe quel point de la Corée du Sud compte tenu des dimensions réduites de son territoire (450 kilomètres du 38e parallèle au sud du pays). La défense antimissiles balistiques (DAMB) la plus moderne au monde ne pourrait que minorer cette menace, sauf, peut-être, en consentant des efforts financiers massifs et continus.
Le tir, il y a 48 heures, d’un missile balistique d’une portée de 500 kilomètres, aussi provocateur soit-il pour les Sud-coréens, concerne davantage les Japonais.
Ceux-ci sont également à portée de tir depuis des années. Conjointement aux Américains, ils ont très lourdement investi en matière de DAMB. Avec le Patriot PAC-3, déjà en dotation, le SM-3 Block IIA, qui vient de réussir un test d’interception, ils construisent un système de défense multicouches susceptible de s’opposer avec de vraies chances de succès à une offensive balistique de Pyongyang. Car Kim Jong Un ne dispose que de systèmes rustiques. Ses fusées ne sont pas équipées de MIRV (Multiple Independently targetable Re-entry Vehicle ou têtes multiples indépendamment guidées).
Conscient du caractère technologiquement limité de son arsenal, de la probabilité de sa fin s’il venait à déclencher une guerre, le régime nord-coréen est un tigre de papier
Ses forces ne disposent pas de corps de rentrée ni de missiles hypermanoeuvrants. Sa capacité nucléaire n’est pas avérée, comme le soulignent les récents propos du secrétaire général de l’Organisation du traité d'interdication complète des essais nucléaires (Otice)… La Corée du Nord, si elle décidait de frapper le Japon, risquerait de voir sa démonstration de force échouer et s’exposerait à une riposte bien plus efficace des Japonais et de leurs alliés américains, sans même que la Chine ne puisse la défendre dès lors qu’elle est l’agresseur. Cela fait beaucoup de garde-fous pour une Corée du Nord qui n’a aucun contentieux sérieux avec le Japon, en dehors d’un passé douloureux et de divergences idéologiques.
Conscient du caractère technologiquement limité de son arsenal, de la probabilité de sa fin s’il venait à déclencher une guerre, le régime nord-coréen est un tigre de papier. Ses provocations, comme les réactions indignées qu’elles suscitent, ne trompent personne. Les protestations des Etats-Unis et de leurs alliés sont strictement rhétoriques. Les sanctions supplémentaires promises à la Corée du Nord ne feront pas davantage plier Pyongyang que les précédentes.
On peut être certain que le tir nord-coréen de dimanche dernier sera mis en exergue pour justifier les milliards de dollars investis par les Américains dans leurs programmes de DAMB en Asie de l’Est
Par contre, on peut être certain que le tir nord-coréen de dimanche dernier [12 février] sera mis en exergue pour justifier les milliards de dollars investis par les Américains dans leurs programmes de DAMB en Asie de l’Est. Avec pour objectif, au-delà des profits colossaux dont bénéficieront les entreprises de défense américaines, le resserrement de l’alliance dans le Pacifique contre le véritable adversaire, la Chine. Celle-ci, qui considère les bases américaines au Japon comme la «ligne de front»du système de défense antimissile développé par Washington pour faire pièce à ses ambitions régionales, ne s’y trompe pas (voir l'article de Tian Wu, Zhu Ri Meijun haijun jidi saomiao ou Les bases navales américaines au Japon, Jianzai Wuqi, n° 1, 2004). Elle juge sans doute les bravades de Pyongyang aussi agaçantes que contre-productives. Kim, en desservant les intérêts de son seul «allié» dans la région, se fait bel et bien l’allié des Américains.
Du même auteur : Défense antimissiles balistiques : des succès qui n’ont rien de réjouissant
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