Pour les Etats-Unis, le but stratégique des exercices militaires de l'OTAN en Europe de l'Est est de montrer ses muscles face à la Russie, estime l'analyste géopolitique Cyril Bret.
RT France : Quel est le but de l’opération Anaconda, les exercices d’entraînement militaire de l’OTAN en Europe ?
Cyril Bret (C. B.) : Le but d’Anaconda est d’une part de profiter des forces et de sécuriser un périmètre pour y acheminer, grâce à des parachutistes, des troupes régulières. D’autre part il s'agit de vérifier la coordination de 24 Etats et surtout de l’armée polonaise pour faire face à des menaces, agressions hybrides c’est-à-dire avec des armements conventionnels et des attaques chimiques.
Pour le but stratégique c’est d’une part pour les Etats-Unis, qui constituent les deux plus gros contingents, de montrer les muscles face à la Russie et de montrer aux Etats-membres et aux Etats partenaires – la Finlande et la Suède – que l’OTAN est capable de fédérer un grand nombre de forces.
Ce qui est très intéressant dans cet exercice Anaconda, c’est moins leur tactique que l’ampleur qui lui est donnée, puisqu’il y a plus de 30 000 hommes engagés - c’est beaucoup plus que d’habitude dans les manœuvres de printemps de l’OTAN - et la zone choisie, puisque c’est la zone dans laquelle aura lieu le sommet de l’OTAN les 8 et 9 juin. Donc c’est vraiment l’exercice, le volet militaire du sommet diplomatique et militaire de Varsovie des 8 et 9 juin.
L’OTAN, de plus en plus clairement, et depuis longtemps, tourne le dos à l’idée d’une coordination commune entre la Russie et l’OTAN
RT France : Il y a la question de la supposée agression russe, alors que les autorités russes, via Serguei Lavrov, nie toute menace venant de la Russie...
C. B. : C’est la montée en tension que l’on constate depuis plusieurs années. D’un côté la stratégie de sécurité nationale russe a fait passer l’OTAN du statut de danger à celui de menace. De l’autre côté, l’OTAN, de plus en plus clairement, et cela depuis longtemps notamment à travers son Secrétaire général, tourne le dos à l’idée d’une coordination commune entre la Russie et l’OTAN. De ce point de vue-là, la réunion du 25 avril du Conseil OTAN-Russie n’est pas à prendre en compte. La montée en tension est que les deux puissances militaires en Europe, la Russie et les Etats-Unis, sont en train de se désigner l’une et l’autre mutuellement comme la menace la plus importante.
RT France : Cette menace est-elle réelle ?
L’OTAN est promis à se renforcer sur ces frontières sous tensions
C. B. : Les faisceaux sur lesquels s’appuie l’OTAN pour mener ses opérations mais aussi pour s’élargir – le protocole d’adhésion du Monténégro vient d’être signé et un accord a été signé avec la Suède – c’est le rattachement de la Crimée à la Russie et le rôle qui est prêté à la Russie dans l’Est de l’Ukraine dans le conflit du Donbass. Il est certain que le mouvement de reflux de la puissance et de l’influence russes en Europe orientale, centrale et méridionale est révolu, et l’OTAN qui a eu une politique d’extension très active entre 1999 – avec l’adhésion de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque – et 2004 – avec l’adhésion d’autres Etats y compris les Pays Baltes qui sont d’anciennes républiques soviétiques – est en train de se prolonger et est promis à se renforcer sur ces frontières sous tensions.
Les autorités russes se sont senties trahies par l’OTAN et par la violation de la promesse de non extension de l’OTAN à l’Est
RT France : La Russie avait déjà fait comprendre que l’extension de l’OTAN vers l’Est de l’Europe est une menace pour la Russie...
C. B. : La position russe est très claire depuis le début, depuis 1990. En 1999 et toutes les années 2000, les autorités russes se sont senties trahies par l’OTAN et par la violation de la promesse de non extension de l’OTAN à l’Est et de non-installation d’infrastructures et de troupes de l’OTAN à l’Est. Il se passe exactement le contraire, et on l’a vu notamment avec l’inauguration de l’infrastructure du bouclier antimissile en Roumanie la semaine dernière. L’OTAN est bien dans une phase active, elle essaye de reprendre l’initiative en Europe centrale, orientale et dans l’espace baltique qui sont les anciennes traditionnelles zones d’influence russe.
RT France : Une source auprès d’une ambassade européenne à Varsovie a dit qu’un accident ou une erreur de calcul que les Russes interprèteraient comme une offensive peut entraîner une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie. Considérez-vous que c’est un scénario possible ?
Comme l’a montré la période de la Guerre froide, la paix est très compromise, impossible, mais la guerre est également très improbable
C. B. : Au maximum de la terreur [de la guerre froide] en Europe, il n’y a pas eu de confrontation directe entre les troupes du Pacte de Varsovie et les troupes de l’Organisation du Traité de l’Atlantique. Le différend et les tensions qui existent entre les Etats-Unis, l’Union européenne et la Fédération de Russie sont moins grands qu’avant, lorsqu’il y avait deux modèles de vie, deux modèles de société, deux modèles de construction de l’Etat. Il faut bien faire la différence entre les vraies querelles de confrontation et la rhétorique de la dissuasion qu’ont les deux grands rivaux militaires. La rhétorique est en train de monter et, comme l’a montré la période de la Guerre froide, la paix est très compromise, impossible, mais la guerre est également très improbable parce que les dommages aux deux protagonistes seraient trop grands.
L'autonomie stratégique des Européens est en train de se réduire
RT France : Comment ces exercices peuvent-ils influencer les relations entre la Russie et l’OTAN ?
C. B. : Ces manœuvres militaires, l’ouverture du bouclier anti-missile, le renforcement des dispositifs militaires russes dans la région de Saint Pétersbourg et à la frontière ukrainienne sont une dynamique négative pour les relations entre les Etats-Unis et la Russie mais aussi pour les relations entre l’Union européenne et la Russie puisque cette grande séquence otanienne va aboutir fin juillet à une discussion interne à l’Union européenne sur la levée des sanctions ou le démantèlement partiel des sanctions de l’Union européenne, non pas des Etats-Unis, envers la Russie. Je doute que cette dynamique, qui s’enclenche durant ce printemps, soit de nature à renforcer l’apaisement entre la Russie et l’OTAN.
RT France : Quel est le rôle de l’Europe dans ces manœuvres militaires ?
C. B. : Le rôle de l’Europe est celui de devoir choisir son camp. L’autonomie stratégique de l’Europe perd encore ses marges d’autodétermination stratégique. On le voit avec la Suède qui a été neutre pendant deux siècles et qui désormais ne considère plus l’adhésion à l’OTAN comme un sujet tabou. On l’a vu le 25 mai avec l’adoption par le parlement de l’accord. Donc l’autonomie stratégique des Européens est en train de se réduire dans le contexte actuel.
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