«Format Normandie» : tout comprendre sur le sommet prévu le 9 décembre à Paris
Alors que se profile une réunion au «format Normandie» sur le règlement de la situation dans l'est de l'Ukraine, RT France fait le point sur ces rencontres, qui ont déjà permis de ratifier et de faire appliquer une partie des accords de Minsk.
Le 9 décembre, se réuniront les présidents français, russe et ukrainien, ainsi que la chancelière allemande, dans une très attendue rencontre au «format Normandie», la première depuis 2016. En effet, Emmanuel Macron recevra, au palais de l’Elysée, Vladimir Poutine, Volodymyr Zelensky et Angela Merkel afin de reprendre les discussions consacrées à la résolution du conflit qui fait rage dans l’est de l’Ukraine depuis 2014, et qui a déjà fait plus de 13 000 morts (dont plus de 3 000 civils) et plusieurs millions de déplacés, selon le Haut-commissariat des Nations unies.
Baptisée «format Normandie», en référence à la première réunion quadripartite entre la France, l’Ukraine, la Russie et l’Allemagne tenue le 6 juin 2014 dans le château de Bénouville, en marge des célébrations du débarquement des Alliés en Normandie, la rencontre aura pour objectif de relancer la mise en œuvre des accords de Minsk (I et II) signés en 2014 et en 2015, avec l’intention d’aboutir à un cessez-le-feu complet dans l’est de l’Ukraine ainsi qu’à la mise en place du volet politique de ces accords. Elle sera la cinquième du genre après les sommets de Minsk en février 2015, Paris en octobre 2015 et Berlin un an plus tard.
Mais pourquoi avoir attendu si longtemps ? Cette nouvelle rencontre au «format Normandie» était en réalité conditionnée à l’application par l'Ukraine, seule partie belligérante du conflit avec les séparatistes, la Russie servant d’intermédiaire au même titre que la France et l’Allemagne, de plusieurs points fondamentaux des accords de Minsk. Dans un communiqué publié par la présidence française le 15 novembre, l’Elysée avait confirmé que ce sommet «se tiendr[ait] alors que des avancées majeures sont intervenues depuis l’été dans les négociations, qui ont notamment permis le désengagement des troupes dans plusieurs zones de tension, et permettr[ait] d’ouvrir une nouvelle séquence de mise en œuvre des accords de Minsk».
De l’échec du protocole de Minsk aux réunions au «format Normandie»
La situation a en effet beaucoup évolué dans l’est de l’Ukraine depuis la ratification, en septembre 2014 dans la capitale biélorusse, par l’Ukraine, la Russie ainsi que les Républiques populaires autoproclamées de Donetsk (DNR) et de Lougansk (LNR), du protocole de Minsk sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) représentée par Heidi Tagliavini. Comprenant douze points, cet accord visait par exemple à «assurer immédiatement la cessation bilatérale du recours aux armes» ou encore à «procéder au retrait du territoire ukrainien des formations armées et du matériel militaire illicites, ainsi que des combattants irréguliers et des mercenaires».
Mais devant l’incapacité des belligérants à faire respecter l’accord sur le terrain, aussi bien côté ukrainien que séparatiste, de nouvelles négociations sont organisées, dans un format cette fois-ci plus resserré. N’y participeront que quatre pays : la France, la Russie, l’Ukraine et l’Allemagne. La rencontre au «format Normandie», inspirée du précédent calvadosien de 2014, est née.
Tenues à Minsk, ces négociations entre François Hollande, alors président de la République, Petro Porochenko, à l’époque président ukrainien, Vladimir Poutine et Angela Merkel, auxquelles participent les représentants de la LNR et de la DNR, Igor Plotniski et Alexandre Zakhartchenko, débouchent, le 11 février 2015, sur la signature du traité «Minsk II», impliquant exactement les mêmes parties que Minsk I (Russie, Ukraine, LNR, DNR et la diplomate suisse). Composé de 13 points, il réaffirme la mise en place d’un «cessez-le-feu à minuit le 15 février 2015» mais requiert également le «retrait des armes lourdes de chaque côté de la ligne de cessez-le-feu». Au-delà de régir le simple facteur militaire, Minsk II va plus loin dans les solutions politiques apportées au conflit avec une «réforme constitutionnelle de l’Ukraine» ou encore la mise en place d’un «gouvernement provisoire à l’Est».
Deux nouveaux présidents pour une détente
Car si la réussite du format a été éprouvée et que la donne a évolué sur le terrain, de nouveaux acteurs politiques ont eux aussi permis l’organisation de ce sommet. Tout d’abord depuis mai 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron. Le nouveau président français a depuis plusieurs fois réaffirmé sa volonté de resserrer les liens entre l’Europe et Russie. Il a par exemple déjà reçu deux fois Vladimir Poutine depuis son entrée en fonction, ou encore en mis en lumière les résistances de «l’Etat profond» au rapprochement entre la France et la Russie, tout en requérant un dialogue «exigeant» avec son homologue.
Elu en avril 2019, Volodymyr Zelensky a lui remplacé Petro Porochenko à la tête de l’Ukraine. Son entrée en fonction va marquer une nouvelle étape dans les relations entre l’Ukraine et la Russie. Dès leur premier entretien téléphonique, le 11 juillet, les deux présidents discutent de la résolution du conflit ainsi que de la mise en place d’un effort commun pour effectuer des échanges de prisonniers, point requis par Minsk I. Plusieurs entretiens du même type suivront et déboucheront, en septembre, sur un échange historique de prisonniers entre la Russie et l’Ukraine (70 au total).
Un mois plus tard, le 1er octobre, le représentant russe auprès du Groupe de contact trilatéral sur l'Ukraine, qui réunit des représentants de la présidence en exercice de l’OSCE (la Slovaquie en 2019), de Moscou et de Kiev, Boris Gryzlov, officialise la mise en place par toutes les parties en Ukraine de la «formule de Steinmeier». Du nom de l'ancien ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, qui l’avait imaginée en 2015, cette formule est venue s’ajouter cette même année aux accords de Minsk II. Si le principe en avait été validé, elle n'avait jamais été mise en œuvre. Elle prévoit l'octroi temporaire, dans un premier temps, d'un «statut spécial» aux Républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, le temps d'y organiser des élections. Ce statut ne deviendrait permanent qu'une fois que l'OSCE aurait pu valider la légitimité des résultats de ce scrutin.
Nouveau signal positif le 9 novembre dernier avec le début du retrait des troupes ukrainiennes et de la DNR des villages de Petrivské et Bogdanivka, situés à proximité de la capitale séparatiste de Donetsk. Sur Twitter, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Vadym Prystaïko, avait estimé alors que ce retrait constitue la «dernière précondition pour l'organisation du sommet quadripartite».
Today Ukraine started withdrawal of troops in #Zolote. Next point - #Petrivske, if there is a cease-fire. We fulfill our part of peace agreements and expect the same from #Russia. One last push to set a #NormandySummit in November.
— Vadym Prystaiko (@VPrystaiko) October 29, 2019
De plus, le 18 novembre, Moscou annonce que les trois navires militaires ukrainiens saisis pour violation des eaux territoriales russes près de la Crimée en novembre 2018 (région à aucun moment abordée dans les accords de Minsk I et II) ont été rendus à Kiev, suscitant la satisfaction du président français. L’Elysée met en lumière un «geste» qui «contribue à renforcer la confiance dans le dialogue entre la Russie et l’Ukraine».
Une alternative aux accords de Minsk ?
Si le président ukrainien a envoyé des signaux positifs à Moscou, il a aussi tenu des propos fermes sur son indépendance vis-à-vis de la Russie, en demandant par exemple la présence des Etats-Unis à la table des négociations ou encore en affirmant que l’Ukraine était prête pour une adhésion à l’OTAN. Vadym Prystaïko a même été, le 18 novembre dans un entretien à RBC-Ukraine, jusqu’à évoquer un «plan B», voire un «plan C», en cas d'échec dans la mise en application des accords de Minsk.
Cette sortie du ministre ukrainien avait suscité une réponse de la Russie par la voix de Boris Gryzlov : «Je voudrais appeler la partie ukrainienne à s'abstenir de toutes déclarations et actions de nature provocante. De telles déclarations et actions peuvent remettre en question la responsabilité et la capacité d'exercice des autorités de Kiev. Je tiens à rappeler que les accords de Minsk sont inscrits dans une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Il ne faut pas compter sur leur réexamen dans d'autres formats, et encore moins essayer de le faire unilatéralement.» Une position soutenue par les trois autres parties, Emmanuel Macron ayant observé devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, en octobre, qu’il n’existait aucune alternative en dehors du cadre défini par les accords de Minsk.
Plusieurs sujets seront débattus pour arriver à un arrêt définitif des combats et offrir un statut d’autonomie élargie à la DNR et la LNR. La prolongation du statut spécial du Donbass, appelée de ses vœux par Vladimir Poutine, devrait également être au centre des discussions. Mais si cette rencontre doit être considérée comme un pas supplémentaire vers un règlement, il ne faut pas perdre de vue que les réunions au «format Normandie», si elles constituent un cadre de discussion qui a déjà fait ses preuves, ne constituent en aucun cas un cadre juridique, garanti lui par les seuls accords de Minsk.
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