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Quand le football met à mal les relations entre le Maroc et l'Arabie saoudite

21 juin 2018, 19:02
Quand le football met à mal les relations entre le Maroc et l'Arabie saoudite
OLGA MALTSEVA / AFP

Le soutien saoudien à la candidature nord-américaine pour l’organisation du Mondial 2026 a été vécu comme une trahison par l’opinion publique marocaine. Le temps de la colère passé, Rabat a enclenché des premières ripostes symboliques contre Riyad.

Cinquième tentative et encore un échec : le Maroc a vu une nouvelle fois s’envoler son doux rêve d’organiser la Coupe du monde de football en 2026. Si face au trio Etats-Unis-Canada-Mexique, il avait le rôle du challenger, le royaume chérifien a crânement défendu sa candidature en mettant notamment en exergue les multiples projets de modernisation de ses infrastructures. Mais c’était peine perdue face aux intenses campagnes de lobbying des Etats-Unis et de ses deux alliés de circonstance pour rafler l’organisation de la compétition. Une offensive américaine appuyée par d'autres fidèles alliés géopolitiques de Washington, au premier rang duquel on retrouve le très stratégique ami saoudien.

Crise entre l’Arabie saoudite et le Qatar : le carton rouge de Riyad à Rabat

Parmi ces acteurs clés, figure Turki al-Sheikh, président de la Fédération saoudienne de football et proche conseiller de Mohammed ben Salmane. Le responsable saoudien, très adepte des réseaux sociaux, avait multiplié les mois précédant le vote fatidique les déclarations hostiles envers le Maroc en raison de sa neutralité dans la crise diplomatique entre Riyad et Doha.

Le 18 mars sur Twitter, il a ainsi mis en garde Rabat : «Si tu cherches un soutien, c'est [...] Riyad qui est le lieu approprié. [Chercher l'aide du Qatar] est une perte de temps. Le "micro-Etat" ne te sera d'aucune aide. Ceci est un message du Golfe à l’Atlantique.»

Interrogé quelques semaines plus tard sur CNN sur ses critiques formulées à l’égard de la position marocaine, il avait déclaré sans détour : «Nous cherchons l'intérêt de l'Arabie saoudite en premier. Nous n'avons pas encore décidé quel dossier soutenir pour l'organisation de la Coupe du monde 2026, mais l'intérêt de notre pays passe en premier.» Et de poursuivre : «Les Etats-Unis sont nos plus grands et plus forts alliés. La Coupe du monde 1994 aux Etats-Unis est l'une de nos préférées. Les supporters étaient nombreux et l'équipe saoudienne avait réalisé de bons résultats.»

Les Etats-Unis sont nos plus grands et plus forts alliés

«Etes-vous en train de dire que vous soutenez la candidature nord-américaine ?», lui avait alors demandé la journaliste Becky Anderson. Turki Al-Sheikh avait répondu : «Vous êtes intelligente Becky. Vous savez lire entre les lignes.» Une sortie médiatique qui, si elle avait provoqué l’exaspération de la presse marocaine, n'avait aucunement suscité la réprobation des autorités saoudiennes. Un silence qui présageait ainsi d’un vote saoudien en faveur de la candidature nord-américaine.

Après le tacle saoudien, le Maroc déclenche des ripostes symboliques 

Quelques heures après le vote du 13 juin se soldant par la victoire du dossier nord-américain, le Maroc, certes sonné mais pas abattu, a annoncé sa candidature à l’organisation du Mondial 2030, sans pour autant oublier, politesse exige, de remercier les pays ayant soutenu sa candidature pour l’édition 2026. Parmi les premières nations gratifiées par ce soutien : le Qatar. Au cours d’un entretien téléphonique, le souverain marocain Mohammed VI a en effet tenu à exprimer la reconnaissance du Maroc à l'égard de l’Emir Tamim ben Hamad Al Thani pour le vote de son pays en faveur du Maroc. Le dirigeant qatari a quant lui assuré en retour de son «plein soutien» à la candidature marocaine pour l’organisation de l’édition 2030, de quoi susciter l'agacement des Saoudiens. 

Un coup de téléphone qui aurait pu demeurer anodin mais qui dans le contexte de défiance de Riyad, peut être interprété comme une première réponse marocaine sous forme de pied-de-nez.

A celle-ci s’ajoute la soudaine annulation de la participation du ministre marocain de la Culture, Mohamed Laâraj, à la réunion des ministres de la Communication des pays de la coalition arabe au Yémen prévue le 23 juin à Djeddah, en Arabie saoudite. Si cette non-participation marocaine est officiellement due à un «problème d'agenda», c'est la première fois que le royaume chérifien sèche une réunion de la coalition. 

L’Arabie saoudite demeure un allié et un ami du Maroc de longue date

Pour autant, une rupture des relations diplomatiques entre Rabat et Riyad n'est pas à l'ordre du jour selon Kader Abderrahim, directeur de recherches à l'Institut de prospective et de sécurité en Europe (IPSE). Interrogé par RT France, il rappelle que malgré ce «froid» diplomatique, «l’Arabie saoudite demeure un allié et un ami du Maroc de longue date qui participe financièrement à son économie». Néanmoins, il estime que l'image de l'Arabie saoudite s'est une nouvelle fois dégradée auprès de l'opinion publique marocaine, indignée par la campagne saoudienne : «C’est une chose de voter contre une candidature, c’en est une autre de faire campagne ailleurs contre cette candidature, ce qu’ont fait les Saoudiens. Ils sont allés dans d’autres pays notamment d’Asie et tous les pays du Golfe pour voter contre la candidature marocaine...»

Le panarabisme mis à mal par le jeu d'alliances ?

Idéologie politique du XIXe siècle qui s'est construite autour de l'unité du monde arabe sur la base notamment de références culturelles communes, le panarabisme a semble-t-il été mis à mal par le jeu des alliances géopolitiques, dans cette affaire pourtant sportive à première vue. Pendant de nombreuses années pourtant, nombre de dirigeants de ces pays ont fait l'éloge des relations fortes qui lient, selon eux, «les peuples arabes frères», de l'Atlantique au Golfe persique.

Les Américains vont de nouveau organiser la Coupe du monde en mettant une gifle au Maroc grâce notamment aux traîtres de pays arabes, africains et musulmans. Les escortes saoudiennes en tête... 

Mais la division des nations arabes est encore d'actualité, et elle n'épargne pas le football. La célébration par les supporters marocains de la déconvenue saoudienne face à la Russie (5-0), témoigne de cette réalité, celle d'un bloc non-homogène où cette fraternité arabe, célébrée par les plus hautes autorités, du moins en façade, n'est pas toujours partagée par l'opinion publique. 

Sur la toile, de nombreux supporters marocains n'ont pas caché leur satisfaction du résultat de la rencontre après «la trahison saoudienne». «Les Américains vont de nouveau organiser la Coupe du monde en mettant une gifle au Maroc grâce notamment aux traîtres de pays arabes, africains et musulmans. Les escortes saoudiennes en tête...», s'indigne l'un d'entre eux. Une tonalité qui tranche radicalement avec le silence des officiels marocains.