Le Maroc veut apaiser la crise du Qatar pour «étendre son influence»

Le Maroc veut apaiser la crise du Qatar pour «étendre son influence»© ABDELHAK SENNA Source: AFP
L'ancien émir du Qatar Hamad ben Khalifa Al-Thani aux côtés du roi du Maroc Mohammed VI lors d'une visite officielle à Rabat en 2011.
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Fort des liens tissés avec les monarchies du Golfe, le Maroc s'impose comme le médiateur idéal pour enrayer la crise diplomatique avec le Qatar. Pour le politologue Mohamed El Yattioui, le pays pourrait ainsi renforcer son image dans le monde arabe.

RT France : Dans la crise diplomatique qui oppose le Qatar et les autres pays du Golfe, le Maroc a proposé à plusieurs reprises ses services de médiateur. Quel est l'intérêt pour le pays de jouer un tel rôle ?

Mohamed Badine El Yattioui (M. B. E. Y.) : Le roi du Maroc a d'excellentes relations avec tous les chefs d'Etats du Golfe. Tous, sans exception. Or la politique étrangère marocaine est avant tout d'impulsion royale – le ministère des Affaires étrangères sert avant tout de courroie de transmission. Recep Tayyip Erdogan a voulu jouer ce rôle de médiateur, mais sa position pro-Qatar et ses relations très tendues avec les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite l'en ont disqualifié. Personne d'autre que Mohammed VI n'a, en quelque sorte, la légitimité pour incarner ce rôle. La force de Mohammed VI est que, tout comme son père Hassan II, il a tissé des liens personnels et familiaux très anciens avec l'ensemble des monarques du Golfe. Il est de fait le seul à avoir la clé puisqu'il est le seul à pouvoir parler à tous.

Mohammed VI a aussi intérêt à ce que les monarchies arabes restent soudées

Quant à l'intérêt pour le Maroc de tenir ce rôle, il est en réalité d'étendre son influence. La politique extérieure arabe de Mohammed VI a été jusqu'à présent assez légère. Il avait privilégié en matière diplomatique l'étoffement des liens avec l'Afrique. Il peut ainsi avec cette crise améliorer son image, qui est déjà très bonne, d'un roi moderne et bâtisseur. Il a l'occasion de renforcer sa stature dans le monde arabe. Le Maroc bénéficie d'investissement de tous les pays du Golfe : Koweït, Qatar, Emirats arabes unis, Bahreïn, Arabie Saoudite. Il est important pour Rabat de maintenir cette influence.

Enfin, Mohammed VI a aussi intérêt à ce que les monarchies arabes restent soudées. Il se souvient qu'au moment des printemps arabes, le Qatar, par exemple, avait joué un rôle de soutien aux protestataires dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient. L'un des seuls pays où ils ne sont pas intervenus est le Maroc. La solidarité entre monarchies est importante et à ne pas sous-estimer pour Rabat.

Le Maroc est également le seul pays, avec la Jordanie, que les pays du Golfe aient invité à rejoindre, en tant qu'adhérents, le Conseil de coopération du Golfe – organisation politico-économique mise à mal par cette crise diplomatique. Il est intéressant de noter que le Maroc est en train de devenir le garant de cette solidarité tacite entre monarchies. C'est en ce sens que Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères marocain, a été envoyé à Abou Dhabi pour justement discuter avec le dirigeant des Emirats de cette crise diplomatique en portant un message venant directement du roi.

Le roi du Maroc n'aurait pas autorisé l'envoi d'aide humanitaire au Qatar sans se concerter au préalable avec les chefs d'Etat des pays du Golfe

RT France : Le 12 juin, le royaume du Maroc a envoyé de l'aide humanitaire au Qatar, qui fait face à un embargo des pays du Golfe. Un tel geste ne risque-t-il pas de nuire aux bonnes relations que vous décrivez entre Rabat et ces pays  ?

M. B. E. Y. : L'envoi d'aide humanitaire par le Maroc au Qatar reste anecdotique. Aujourd'hui, l'Iran et la Turquie sont les principaux pourvoyeurs de denrées alimentaires. Leurs envois permettent au Qatar de tenir au moins 17 jours en terme de denrées alimentaires. Si le Maroc a décidé d'également en envoyer, cela ne va pas nuire à ses liens diplomatiques. Je suis persuadé que le roi du Maroc ne l'aurait pas autorisé sans se concerter au préalable avec les chefs d'Etat des pays du Golfe.

C'est à mon sens surtout un geste symbolique. Pour montrer que le Maroc est aussi présent au niveau humanitaire. Il ne l'aurait pas fait si il n'avait pas prévenu au préalable les Saoudiens par exemple. Je n'y crois absolument pas.

La France n'a aucun intérêt à se mêler de manière trop explicite à cette crise diplomatique

RT France : Le président français Emmanuel Macron est en visite au Maroc les 14 et 15 juin. Cette crise sera certainement un des sujets abordés. Peut-on imaginer une politique commune franco-marocaine sur la gestion et résolution de cette crise ?

M. B. E. Y. : Emmanuel Macron et Mohammed VI pourront partager une vision assez classique, qui sera de dire que les deux pays souhaitent rester neutres dans ce conflit tout en aidant à sa résolution.

Le problème qui se pose pour Emmanuel Macron est que Nicolas Sarkozy était très proche du Qatar, tandis que François Hollande, lui, l'était plutôt de l'Arabie saoudite. Emmanuel Macron, lui, vient juste d'arriver, pile au moment où la crise éclate entre les deux pays. On pourrait s'attendre de sa part à un choix. La situation n'est pas évidente. Je pense que le mieux pour la diplomatie française est de rester, à l'instar du Maroc, dans une position neutre. D'autant que la France n'a pas une grande marge de manœuvre : il n'y a pas de lien personnel entre Emmanuel Macron ou ses conseillers et les dirigeants des pays du Golfe. Seul Jean-Yves Le Drian connaît les ministres de la Défense des différents pays puisque c'est lui qui leur a vendu des armes.

Ainsi, quoiqu'il arrive, la France n'a aucun intérêt à se mêler de manière trop explicite à cette crise diplomatique, si ce n'est tenir le discours classique sur la paix et une baisse des tensions souhaitable. Une position commune avec le Maroc se traduira sans doute par la volonté de maintenir la paix entre les deux pays voisins et d'encourager le dialogue mais rien de plus.

Lire aussi : Football, soupçons de terrorisme, investissements... : quel avenir pour la relation France-Qatar ?

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