Le Maroc peut créer les conditions d'un possible dialogue entre les différents protagonistes de la crise qui secoue le Golfe, estime l'analyste politique Mustapha Tossa.
RT France : Pourquoi le Maroc propose-t-il ses services de médiateur dans la résolution de la crise saoudo-qatarie ?
Mustapha Tossa (M. T.) : Je crois que le Royaume du Maroc ne pouvait pas rester à écart d'une telle crise, qui risque, si elle n'est pas traitée à temps, de remettre en cause l'ensemble des rapports de force de la région. Le Maroc est un partenaire stratégique du Conseil de coopération du Golfe [CCG]. Il entretient avec lui des relations économiques, militaires et sécuritaires d'une grande importance. Il était même question, à un moment donné, que le royaume du Maroc puisse en devenir un membre important. La diplomatie marocaine ne pouvait rester inerte alors que la maison qui regroupe ses précieux alliés, le CCG, est en train de prendre feu et éventuellement de se disloquer sous la pression des divergences entre ses membres. D'où cette décision attendue et logique du roi Mohammed VI de tenter de calmer les esprits et de ramener les différents protagonistes à une atmosphère moins belliqueuse, de les aider à dépasser leurs divergences et leurs ruptures. L'intérêt pour le royaume est qu'un allié aussi indispensable que le CCG ne tombe pas dans le piège des manipulations qui donnent à ses ennemis l'occasion de l'affaiblir, d'exploiter cette crise et ouvrir la voie à la redéfinition des alliances régionales selon leurs propres agendas.
Le Qatar sera plus à l'écoute d'un pays qui lui est venu en aide dans une période de détresse et de pressions
RT France : En envoyant de l'aide alimentaire au Qatar, le Maroc n'a-t-il pas peur de se brouiller avec les autres pays du Golfe ?
M. T. : Non, l'envoi d'aide alimentaire est un symbole fort. Il correspond à un code moral religieux pour venir en aide à un allié en détresse. Les autres pays du Golfe ne peuvent donner à ce geste plus de signification qu'il n'en contient. Ce geste consacre le principe d'une neutralité positive et peut aider à huiler les mécanismes d'une médiation efficace et porteuse de résultats. Le Qatar sera plus à l'écoute d'un pays qui lui est venu en aide dans une période de détresse et de pressions que d'un pays qui s'est contenté d'observer un silence ou qui s'est laissé emporter par le tourbillon de la colère. Les autres pays du Golfe ne peuvent en vouloir au Maroc. Ce pays a eu l'occasion de donner la preuve irréfutable de son soutien et son amitié. D'ailleurs, le communiqué du ministère des Affaires étrangères marocains a tenu a rappeler les faits d'armes et les marques de solidarité à leur égard pour bien expurger l'atmosphère de toute suspicion où tension inutile : «Le Maroc n’a pas besoin de présenter une preuve ou de confirmer sa solidarité permanente avec les pays frères du Golfe, qui s'est manifestée dès la première guerre du Golfe à travers notamment son soutien à la souveraineté des Emirats arabes unis sur ses trois îles, la rupture de ses relations diplomatiques avec la République islamique d’Iran, en solidarité avec le Royaume du Bahreïn, et sa participation à la coalition arabe pour le soutien de la légitimité au Yémen, où plusieurs Marocains sont tombés en martyrs aux côtés de leurs frères des pays du Golfe.»
La médiation marocaine épaulée politiquement par les pays de l'UE qui eux aussi n'ont aucun intérêt à la déstabilisation du CCG peut s'avérer efficace
RT France : Comment le Maroc pourrait-il aider à résoudre la crise ?
M. T. : Comme dans toute médiation, le Maroc peut aider à créer les conditions d'un possible dialogue entre les protagonistes alors que ces derniers se livrent aujourd'hui une guerre médiatique sans merci par télévisions et réseaux sociaux interposés. Il peut aider à élaborer un terrain d'entente à travers lequel le processus de réconciliation entre ces pays. Les pays du Golfe et l'Egypte reprochent au Qatar de financer le terrorisme et de poursuivre une politique déstabilisatrice à leur égard. Il s'agit de crever l'abcès en essayant d'obtenir des garanties et des gestes de bonnes intentions qui participeraient à faire baisser la tension et la méfiance. Le royaume du Maroc peut entreprendre une telle démarche en étroite coordination avec les pays de l'Union européenne dont le président d'un des membres les plus actifs et les plus éminents, Emmanuel Macron, se rend au Maroc et rencontre Mohammed VI ce 14 juin à Rabat. La médiation marocaine épaulée politiquement par les pays de l'UE qui eux aussi n'ont aucun intérêt à la déstabilisation du CCG peut s'avérer efficace et participer à faire baisser les tensions dans une région désormais si instable qu'elle ressemble à un baril de poudre.
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