Cinq ans après la mort d'Hugo Chavez, que reste-t-il des alliances internationales du sud ?

Cinq ans après la mort d'Hugo Chavez, que reste-t-il des alliances internationales du sud ?© Jorge Silva Source: Reuters
Le président vénézuélien Hugo Chavez accueille le président iranien Mahmoud Ahmadinejad à l'aéroport de Caracas le 17 septembre 2006.
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Après une décennie de forte solidarité entre les pays du sud sous la bannière de l'anti-impérialisme, la donne a changé. Mais si elles ont évolué, les initiatives de coopération visant à tenir tête à l'Oncle Sam n'ont pas disparu pour autant.

«Bon anniversaire ! Tu nous manques chaque jour.» Le 28 juillet, Hugo Chavez aurait eu 64 ans. A cette occasion, Mahmoud Ahmadinejad, président iranien de 2005 à 2013, a publié dans un tweet une photo et ce message en mémoire de celui qui a été son homologue vénézuélien durant tout son mandat. 

Les bases d'un nouveau monde

Se présentant comme des remparts face à la politique étrangère américaine, qu'ils dénoncent comme «impérialiste», les deux dirigeants aux cultures si éloignées avaient tissé un lien très fort qui se caractérisait par une proximité affichée. Et celle-ci se matérialisait par une coopération effective entre leur deux pays. Lors d'une de leurs dernières rencontres à Caracas en janvier 2012, Hugo Chavez avait assuré qu'une des missions dont ils se sentaient investis était de «construire des relations harmonieuses et fraternelles de coopération entre l'Iran et le Venezuela, entre l'Asie et l'Amérique latine, [...], entre les peuples dits du tiers-monde, la coopération sud-sud pour que continue de surgir un nouveau monde».

Fustigeant les guerres impériales, Chavez avait clamé : «Notre guerre à nous, elle est contre la pauvreté, contre la misère, contre la faim, contre le sous-développement. Ce sont celles-ci nos guerres à nous.»

En matière de coopération, le président vénézuélien avait mentionné à titre d'exemple que des entreprises iraniennes avaient d’ores et déjà construit près de 14 000 logements au Venezuela et étaient sur le point d'en construire 7 000 autres. En outre, 27 usines agroalimentaires avaient été installées en collaboration avec l'Iran.

Pour sa part, Mahmoud Ahmadinejad qui effectuait à ce moment-là une tournée dans quatre pays d'Amérique latine se revendiquant eux aussi de l'anti-impérialisme (Cuba, Equateur, Nicaragua et Venezuela) avait annoncé qu'il allait inaugurer plusieurs projets et signer de nouveaux contrats avec chacun d'eux. Les Etats-Unis avaient alors demandé à ces pays de «faire tout leur possible» pour rappeler à Ahmadinejad «que le chemin qu'il a[vait] pris dans son dialogue sur le nucléaire avec la communauté internationale [était] erroné». Ce à quoi Hugo Chavez avait répliqué que les recommandations étasuniennes sur la nature des liens qu'il devait entretenir avec l'Iran le «faisaient rire» tandis que Rafael Correa, alors président de l'Equateur, avait rappelé à toute fin utile qu'il ne disait pas «aux Etats-Unis ce qu'ils devaient faire».

«Yankee de mierda!»

Le leader vénézuélien était non seulement intraitable face à toute tentative d'ingérence dans les affaires de son pays mais se montrait tout aussi corrosif lorsqu'il s'agissait de défendre ses alliés. Cette dénonciation constante de l'impérialisme était amplifiée par une personnalité charismatique, bouleversant les codes traditionnels de la communication politique. Son irrévérence légendaire face aux tentatives d'intimidations s'est également manifestée à de nombreuses reprises. Ainsi, en 2011, alors que le département d'Etat américain annonçait l'expulsion de l'ambassadeur de Bolivie de son territoire, Hugo Chavez n'avait pas hésité à reconsidérer immédiatement ses relations avec les Etats-Unis. Il a décidé d'expulser en représailles l'ambassadeur américain du Venezuela. Et devant des milliers de personnes, il a prononcé un discours mémorable, criant à s’époumoner : «Allez vous faire foutre Yankee de merde ! Allez au diable cent fois. Ici, il y a un peuple digne [...] et nous sommes déterminés à être libres.»

L'intrépide président du Venezuela avait également développé des liens très forts avec la Libye de Mouammar Kadhafi et la Syrie de Bachar el-Assad qu'il a notamment soutenus lorsque ces pays ont été touchés par la guerre, fustigeant «l'empire yankee et ses alliés européens».

En 2009, lors du du second sommet Afrique-Amérique latine, un forum initié sous l'impulsion de Chavez, de Lula et de Kadhafi, ce dernier, assassiné en 2011 dans des circonstances troubles au terme d'une intervention de l'OTAN, avait prononcé un discours aux sonorités prophétiques : «Les grandes puissances voudront toujours continuer d'être des grandes puissances. Nous devons lutter pour construire nos propres forces et nous appuyer sur notre propre potentiel. Si nous fléchissons, cela ouvrira la porte à un état de déséquilibre. Et ça ne favorise ni la paix ni la sécurité internationale. Et ça n'aide ni l'Afrique, ni l'Amérique du Sud.»

Virage à droite

Le 5 mars 2013, Hugo Chavez est décédé, emporté par la maladie. Nicolas Maduro, son successeur désigné, moins charismatique, peine à s'imposer sur la scène internationale et doit faire face, en plus de problèmes internes, à une guerre économique d'une rare violence. Cinq mois après la mort de Chavez, Mahmoud Ahmadinejad terminait son mandat laissant sa place à l'actuel président iranien Hassan Rohani. Les nouvelles autorités iraniennes, bien que très opposées à l'ingérence américaine et à la politique internationale de l'oncle Sam, se sont montrées plus conciliantes avec l'Occident, acceptant de signer l'accord sur le nucléaire iranien en 2015 à Vienne avec Washington et d'autres pays. Accord dont le président américain Donald Trump a décidé de sortir les Etats-Unis en mai 2018.

En Amérique latine, alors que les années 2000 avaient vu la montée en puissance de gouvernements de gauche, la période suivant le décès de Chavez a été marquée par un retour massif de la droite au pouvoir et avec elle de politiques beaucoup plus permissives envers le gendarme américain et les diktats du FMI. Ce fut le cas notamment en Argentine, où la présidente Cristina Kirchner a été remplacée par Mauricio Macri en 2015. En 2016, ce fut le tour du Brésil de passer l'arme à droite, avec l'investiture du très impopulaire Michel Temer qui a succédé à Dilma Roussef après sa destitution. Elle avait elle-même succédé en 2011 à Lula, leader syndicaliste, actuellement en prison et qui reste pourtant le favori pour la présidentielle d’octobre. En 2017, Rafael Correa laisse la tête de l'Equateur à Lenin Moreno, son alliée dans un premier temps, qu'il qualifie ensuite de «traître». Le nouveau président applique ainsi une politique d'austérité et est, entre autre, sur le point de remettre le célèbre lanceur d'alerte Julian Assange, réfugié à l'ambassade d'Equateur à Londres depuis 2012, aux autorités britanniques.

En outre, dans les années 2000, des organisations intergouvernementales avaient été créées pour favoriser la construction d'une intégration régionale et contrebalancer le poids de l'Organisation des Etats d'Amérique (OEA) dominée par les Etats-Unis. Ce fut notamment l'espoir avec l'Union des Nations sud-américaines (Unasur) et la Communauté d'Etats latino-américains et caraïbes (Celac). Romain Migus, sociologue français ayant vécu de nombreuses années au Venezuela dresse un constat assez pessimiste de la situation : «Ces organisations qui étaient très actives dans les années 2000 sont aujourd'hui au point mort. Le modèle d'intégration régionale a été mis à mal par les nouvelles droites au pouvoir». Lui qui a vécu de l'intérieur les grandes heures de la gauche latinoaméricaine souligne «l'importance des individus dans l'histoire collective et la difficulté de remplacer et de succéder à des leaders charismatiques comme entre autres, Chavez, Lula, Correa».

La Chine et la Russie donnent le la au sud

Jean Bricmont, analyste politique belge connu pour ses positions anti-impérialistes se méfie pour sa part «des grands discours révolutionnaires» et tient des propos plus optimistes. Avec un point de vue géographiquement décentré, il livre ses observations : «On constate aujourd'hui une montée en force de l'Asie avec notamment la Chine qui investit énormément en Afrique. Certains disent que c'est du néocolonialisme, je ne suis pas d'accord. Ce sont des échanges commerciaux librement consentis. La Chine cherche également à investir en Amérique latine avec notamment le projet de canal du Nicaragua. Certes, les Etats-Unis ont regagné du terrain en Amérique latine mais il reste la Bolivie d'Evo Morales, Maduro au Venezuela et maintenant l'arrivée d'un nouveau président de gauche au Mexique avec Lopez Obrador.» De plus, Jean Bricmont rappelle que la Corée du sud n'est plus aussi anti-communiste qu'auparavant et a grandement participé à la fin de l’ostracisation de la Corée du nord. Mais pour l'essayiste belge, le plus fort des succès actuels est sans aucun doute la victoire de l'armée régulière en Syrie après sept années de guerre. «Cela peut donner de nouvelles perspectives et aider à la reconstruction du monde arabe», conclut-il.

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Et pour cause, la victoire de l'armée syrienne qui se dessine et le maintien de Bachar el-Assad à la tête du pays, constituent un rare camouflet pour les Etats-Unis, habitués à pouvoir imposer leur volonté dans la région. En effet, malgré le financement par Washington de groupes d'opposition et les nombreuses déclarations demandant le départ de celui qu'ils qualifient de «dictateur de Damas», le président syrien est toujours en place.

Et cela n'aurait pu avoir lieu sans l'intervention russe en 2015, décisive pour modifier le rapport de force.

Traditionnellement opposée à toute ingérence dans les affaires intérieures des pays, la Russie a pour habitude de s'opposer à toute intervention militaire étrangère qui viserait à renverser un régime au pouvoir, comme elle l'a fait pour celles en Irak ou en Afghanistan. En plus d'être alliée historiquement à la Syrie depuis l'époque de la guerre froide, Moscou a pu, grâce au maintien du pouvoir syrien, conserver son unique base navale méditerranéenne à Tartous, qui accueille en permanence des navires de la flotte militaire russe. Le pays dispose également d'une base aérienne à Hmeimim. La Russie est en outre le premier fournisseur d'armes (75 %) de la Syrie. Par ailleurs, une expansion du terrorisme djihadiste ne saurait faire les affaires de la Russie qui abrite une forte minorité de confession musulmane.

C'est donc majoritairement sur des considérations pragmatiques et stratégiques propres à la realpolitik, chère à Vladimir Poutine, que s'est basée cette intervention. Et si la relation entre le chef d'Etat russe et son homologue syrien est différente de celle entre Hugo Chavez et Mahmoud Ahmadinejad, elle n'en demeure pas moins efficace quant il s'agit de freiner les ardeurs de Washington. 

Aussi, s'il ne s'agit pas d'une forme de coopération sud-sud, la montée en puissance de la Russie et son approche des relations internationales n'en font pas moins l'allié potentiel d'un pôle sud qui souhaiterait faire contrepoids face aux Etats-Unis. Un allié d'autant plus important que l'ordre international se dirige progressivement vers davantage de multipolarité.

Les BRICS pour un monde multipolaire

Aussi, plus qu'un simple projet, cette coopération entre le Sud et la Russie se matérialise dans une plateforme institutionnelle.

Alternative au G7, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) se réunissent en sommet depuis 2009 (l'Afrique du Sud a rejoint le groupe en 2011). En se regroupant et en envisageant des politiques communes, ces pays visent une plus grande autonomie vis-à-vis des institutions comme le FMI et la Banque mondiale qui sont très largement dominées par les Etats-Unis et leurs alliés européens. Les BRICS prennent également leurs distances vis-à-vis du camp occidental dans l'approche des enjeux géopolitiques de la planète. Evidemment, les Etats-Unis voient d'un très mauvais œil l'émergence de ce genre d'initiative visant à mettre fin à leur hégémonie et remettant en cause le rôle de gendarme du monde qu'ils s'étaient auto-attribué.

Et si Vladimir Poutine ou Xi Jinping n'ont pas du tout le même style de gouvernance que Hugo Chavez ou Mahmoud Ahmadinejad, l'alternative qu'ils représentent et la coopération qu'ils installent avec les pays du sud est une opportunité non négligeable pour ces derniers.

Par leur poids démographique, géographique, économique et politique, les BRICS sont à même d'apporter un équilibre et une résistance à l'ordre mondial imposé par les Américains et leurs alliés. L'avenir révélera si cette tendance se confirme.

Meriem Laribi

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