Le président brésilien Michel Temer, marionnette des lobbies de l’agroalimentaire ?
Ardemment souhaité par les lobbyistes ruraux, le saccage d’une réserve amazonienne ordonné par le président Temer vient d’être gelé. Derrière cette affaire, l’itinéraire d’un chef d’Etat que ses détracteurs accusent d'être à la merci des lobbies.
Le 30 août 2017, ils ont poussé un soupir de soulagement. Activistes, stars, citoyens s’étaient mobilisés pour sauver 4 millions d’hectares de forêt amazonienne brésilienne, soit 46000 kilomètres carrés, plus qu’un pays comme le Danemark. Le président Michel Temer avait annoncé vouloir livrer en pâture cette forêt aux exploitations minières privées, mais le juge Rolando Valcir Spanholo l’a déclaré incompétent pour prendre ce type de décision, réservée au Congrès.
Cette affaire illustre à quel point le chef de l’Etat navigue à vue. La forêt dite de Renca (acronyme de réserve nationale de cuivre et minéraux associés) avait été classée réserve en 1984 sous la dictature militaire, pour protéger ses minerais de l’appétit des investisseurs étrangers. Or sa surface recouvrait huit zones de préservation de la forêt et deux territoires indigènes que Michel Temer comptait saturer de grands projets, dont une quarantaine de barrages hydroélectriques. L’indignation de personnalités politiques ou de figures médiatiques vis-à-vis de la déforestation de Renca a pris des proportions inattendues. Les manifestations et appels à la résistance se sont multipliés.
La top-modèle Gisèle Bündchen s’est même épanchée sur Twitter : «C’est notre devoir de protéger notre Terre. Refusons de porter atteinte à la forêt amazonienne!» Gêné, le président lui avait personnellement répondu qu’il allait mettre un veto aux lois qui réduiraient la protection de l’Amazonie.
.@giseleofficial e @WWF, vetei hoje integralmente todos os itens das MPs que diminuíam a área preservada da Amazônia.
— Michel Temer (@MichelTemer) 19 juin 2017
Malgré ce Tweet rassurant, Temer n'est jugé crédible ni par les ONG environnementales, ni par certains citoyens, qui lancent des appels sur Twitter avec le hashtag #TodosPelaAmazônia (Tous pour l'Amazonie), ni même par la Norvège, son principal bailleur pour la préservation de la forêt. Le 23 juin, la première ministre Erna Solberg réduit de moitié le budget de 70 millions d'euros alloué au Brésil d'ordinaire. Et le 23 août, Michel Temer publie un décret abrogeant le statut de réserve de Renca. Cette forêt ne doit son salut temporaire qu’à l’avocat et universitaire Antonio Carlos Fernandes de la ville de Fortaleza, à l’initiative d’une class action contre le décret, qui recueille l’assentiment du juge. «Le gouvernement peut renverser la décision», explique à RT France Carlos Rittl, secrétaire exécutif de l’Observatório do Clima, une entité qui regroupe 37 organisations de la société civile luttant contre le changement climatique. «Mais il est désormais imposé 120 jours au cours duquel le débat public peut s’établir», ajoute-t-il, «nous espérons que le gouvernement a compris la leçon et que le débat public deviendra la règle plutôt que l’exception au Brésil».
Temer intensifie sa politique anti-forêt
En 2012, sous le règne de la présidente Dilma Roussef, la réforme du code forestier se met à tolérer les autorisations de destruction. En 2015, la déforestation augmente de 16%, avec 5 831 kilomètres carrés de forêt rasés. En 2016, alors que Temer arrive au pouvoir, la coupe réglée de la forêt amazonienne brésilienne s'intensifie : moins 8 000 kilomètres carrés. Puis un projet de loi de juillet 2017 vient réduire les droits indigènes et les mesures de préservation. Luis Carlos Heinze, député fédéral du Rio Grande do Sul, affilié au Parti Progressiste (de droite), déclare dans une vidéo qu’il s’agit «d’une grande avancée pour les producteurs du secteur agroalimentaire brésilien qui se sont sentis frustrés et anxieux à cause de la pression de la Fondation nationale pour les droits indigènes» qui aurait rétrocédé les terres aux Indiens.
Dommages collatéraux de la lutte pour l'Amazonie, 33 activistes pour la conservation de la forêt auraient été assassinés les cinq premiers mois de l’année 2017, selon une étude de l'ONG Global Witness.
Un président pieds et poings liés sous la coupe des ruralistas?
Mais pourquoi vouloir déforester? Pour Carlos Rittl, cela ne fait aucun doute, c'est pour répondre à la pression de certains élus, les «ruralistas». «Ce lobby agricole est le plus grand groupe de la Chambre brésilienne, presque 240 représentants sur 513 au total, explique-t-il. Temer a eu besoin d’eux pour accéder au pouvoir, ils ont donné leur vote pour la procédure de destitution de Dilma Roussef.» Et le président de choyer ces hommes forts de l’agroalimentaire entrés en masse au Parlement. Il nomme Blairo Maggi surnommé «le roi du soja» et considéré par Greenpeace comme l'un des plus grands responsables de la déforestation en Amazonie, ministre de l’Agriculture. Il baisse aussi le budget du ministère de l’Environnement de 51%. «Temer s’appuie aussi sur eux pour faire passer les mesures impopulaires des pensions et des réformes du travail, vu qu’il n’a pas le soutien du peuple, n’ayant pas été élu» explique Carlos Rittl.
Sa dépendance accroît encore lorsqu’il est impliqué dans une affaire de corruption. Le procureur-général du Brésil, Rodrigo Janot, présente le 26 juin 2017 à la Cour Suprême brésilienne une demande de mise en accusation du président pour corruption passive, évoquant un pot-de-vin de 140 000 euros donné par le géant de la viande JBS, enregistrement sonore de Temer à l'appui. Mais cette mise en accusation doit être approuvée par la Chambre des députés... Temer plaide alors sa cause auprès des ruralistas du Parlement au cours de dîners, d’entretiens…
«Cela lui a encore permis de garder son siège», note Carlos Rittl, «le lobby rural a été crucial pour bloquer le processus d’inculpation pour corruption». Parmi les sauveteurs de Temer, on retrouve un grand nombre de figures liées à des scandales similaires. Tel le leader du lobby rural, le député Nilson Leitao, associé à une affaire de détournement de fonds publics, qui se bat contre les droits des Indiens et fustige Raoni, grand chef très médiatique du peuple Kayapo. Le sénateur Romero Juca, ancien ministre du Plan, a été contraint de démissionner en raison d’une obstruction à l’enquête pour corruption dans l'affaire de la compagnie pétrolière publique Petrobras. Le Sénateur Flexa Ribeiro, «très hostile aux droits indigènes» selon Carlos Rittl, a quant à lui été arrêté en 2004 notamment pour trafic d’influence et détournement de fonds. Quant au ministre Blairo Maggi, il détient 16% du groupe familial, le plus gros producteur de soja au monde. Tous ces personnages en délicatesse avec la justice peuvent se réjouir : l'événement du 30 août n’est qu’un semi camouflet. Le Congrès qui doit statuer sur Renca est en effet truffé de ruralistas, qui pourraient bien marcher encore une fois main dans la main avec Temer.