L'universalisme français est-il menacé par le racialisme anglo-saxon ?

L'universalisme français est-il menacé par le racialisme anglo-saxon ?© PASCAL PAVANI Source: AFP
La République française résiste encore à l'assaut du multiculturalisme (image d'illustration).
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«Le monde d'après» fait resurgir l'idéologie visant à «racialiser» la communauté nationale. Les rassemblements autour des violences policières ont été un moyen pour les partisans du multiculturalisme de défier une nouvelle fois l'idéal républicain.

Les statues de Jean-Baptiste Colbert, Christophe Colomb, Charles de Gaulle, Winston Churchill, Victor Schoelcher ont été vandalisées, déboulonnées, leurs rues et places sont appelées à être débaptisées... Ces illustres personnages de l'histoire – dont la liste à exécuter est aussi longue qu'une phrase de Marcel Proust –  seraient tous coupables de racisme, d'avoir promu le colonialisme, voire d'être misogynes. Les rassemblements dénonçant la mort le 25 mai de George Floyd lors d'une interpellation aux Etats-Unis ont aussi entraîné une vague de mobilisations y compris en France, exportant par là même la question d'un racisme globalisant où l'homme blanc serait forcément coupable des pires abominations dans l'histoire.

Derrière tout cela, il y a une philosophie – avec un vocabulaire venu tout droit des Etats-Unis – qui souhaite imposer un modèle de société où les rapports humains seraient essentiellement fondés sur des origines raciales, mais aussi, selon les tendances, sur la différenciation religieuse, sexuelle ou culturelle. Ces combattants de la lutte intersectionnelle procèdent ici au comptage du nombre de «racisés» (non-blancs) dans une assemblée, une œuvre ou dans la classe politique, et soutiennent par là des stages ou des rencontres pour racisés, excluant les «blancs».

Les multiculturalistes importent en France des concepts anglo-saxons

Ils sont parfois qualifiés péjorativement de «racialistes», de «décoloniaux», d'«indigénistes», de «communautaristes», d'«identitaires de gauche» et prônent une société multiculturelle bataillant contre notre République une et indivisible. Cette République française, pour sa part, ne voit au contraire qu'une et même communauté : la communauté nationale formée de citoyens français. Dans ce modèle, la race ou la religion ne sont pas reconnues comme critère de citoyenneté.

L'écrivain Ernest Renan résume parfaitement l'esprit républicain de la nation française en 1882 : «Dans le passé, un héritage de gloire et de regrets à partager, dans l'avenir un même programme à réaliser.» Cette phrase est tout ce qu'exècrent les multiculturalistes n'acceptant pas qu'un individu soit assimilé à travers des valeurs dépassant toute race ou religion, impliquant de faire corps avec une unique communauté liée par le destin.

Globalement, les pourfendeurs de l'assimilation républicaine considèrent d'ailleurs le racisme comme systémique ou systématique en France, c'est-à-dire généralisé : n'entend-on pas en effet dans leurs discours qu'il y a un racisme d'Etat, c'est-à-dire un racisme institutionnalisé.

Ils reprennent allègrement une autre expression, celle «de privilège blanc», venue elle aussi des Etats-Unis dans un XXe siècle où la ségrégation avait cours jusqu'en 1965 outre-Atlantique. Le parallèle avec la France est donc fragile. En découle tout un fantasme généralisant qui induirait, par exemple, que le racisme de la police française est systémique (sous-entendu que toute la police pratiquerait naturellement le racisme). Les mobilisations importantes autour du collectif «La Vérité pour Adama», intervenues après un événement tragique aux Etats-Unis (l'affaire George Floyd) illustrent le mélange des discours intersectionnels. Au départ, le collectif réuni autour d'Assa Traoré concentrait son discours sur la demande de «justice» après le décès trouble de son frère, Adama Traoré, après une interpellation de la gendarmerie en 2016. Depuis, le comité a étendu son message sur les «violences policières» et «le racisme» en France. «Les idéologues de la décolonisation analysent la société française à l'aune du racialisme anglo-saxon, car ils appartiennent à une génération totalement américanisée», explique pour Valeurs actuelles la professeure d'histoire Barbara Lefebvre. 

A la télévision, ils vont jusqu'à provoquer, avec des arguments douteux. Dans son édito dans Marianne, Jean-François Kahn rappelle, à titre d'illustration, qu'Assa Traoré pouvait librement dire sur le plateau de BFM TV, le 3 juin, que la situation des violences policières en France c'était «exactement la même chose qu’aux Etats-Unis»sans que cela ne fît réagir les journalistes, acquiesçant par voie de conséquence le propos. Pourtant, le sociologue Michel Wieworka rappelle pour Ouest France que les deux situations sont incomparables : «Quelque 1 000 personnes tuées par la police américaine en un an, une police gangrenée par le racisme, et moins d’une trentaine pour son homologue française.»

De fait, certains compagnons de route de «La Vérité pour Adama» ont une ambition qui dépasse le cadre d'Adama Traoré car étant d'ordre politique. En tribune lors des rassemblements et régulièrement interviewé en tant que membre du collectif, Youcef Brakni est par exemple un ancien membre du Mouvement islamique de libération (MIL), une structure qui prône la sécession d'avec la République. La charte du MIL dit notamment : «Préserver notre identité spirituelle, culturelle et civilisationnelle islamique contre les politiques de dépersonnalisation et d’assimilation promues par l’Etat français et ses appareils idéologiques (écoles, médias, etc.).»

Dans l'ensemble, on trouve parmi les défenseurs du multiculturalisme des mouvements dits «antiracistes» comme le Parti des indigènes de la République dont fait partie Houria Bouteldja ou des militants qui prétendent haut et fort lutter contre le racisme comme Rokhaya Diallo ou Taha Bouhafs. 

Malgré leur dénonciation d'un «racisme institutionnalisé», les «antiracistes racialistes» trouvent dans les médias un relais aisé. L'une des plus visibles est Rokhaya Diallo. Sa dernière tribune, le 17 juin dans l'Express, fait un parallèle entre la France et les Etats-Unis, après le décès de George Floyd à Minneapolis. Elle affirme ainsi qu'«on ne peut pas complètement dissocier le racisme de la France, qui a été une puissance esclavagiste et coloniale, de celui des Etats-Unis». Elle évoque ni plus ni moins un «racisme systémique» et le «privilège blanc» : «On peut bien sûr être blanc, pauvre, et vivre de grandes difficultés. Mais le seul fait d’être blanc ne constitue pas un frein en France. Si cette notion de "privilège blanc" perturbe, on peut inverser le schéma et parler d’obstacles pour les personnes non blanches.»

En parlant de «privilège blanc», les racialistes détournent en quelque sorte le fond marxiste de lutte sociale en faveur d'une lutte des races. L'argumentation racialiste déplaît logiquement dans le «camp républicain» à l'image de la socialiste Corinne Narassiguin. Dans une tribune pour Le Monde, la secrétaire nationale à la coordination du PS – qui se définit elle-même comme noire – réfute les thèses défendues par Rokhaya Diallo : «Importer l’expression "privilège blanc", c’est vouloir plaquer l’histoire des Etats-Unis sur l’histoire de France, sans respecter ni l’une ni l’autre. [...] C’est fabriquer un non-sens historique. Dans le contexte français, parler d’abolir le privilège blanc, c’est donner à croire que la lutte antiraciste serait un combat contre le statut de Blanc. Si ça n’était qu’inepte, ça ne mériterait pas une tribune. Mais c’est bien plus que cela, c’est grave et dangereux.» Elle n'exclut pas au demeurant «qu’une partie des promoteurs du concept de privilège blanc et des organisateurs de manifestations dites "racisées non mixtes" soient parfaitement conscients de ce qu’ils font : ils veulent pousser la République dans l’engrenage de l’identitarisme et donc du séparatisme».

Derrière la défense des minorités, un projet «raciste» ?

Sur les réseaux sociaux ces multiculturalistes sont très actifs, à l'instar du professeur en sciences politique à la prestigieuse université de Londres, UCL, Philippe Marlière. Par exemple le 21 mai, celui-ci n'avait pas hésité à considérer que le port du masque pour des raisons sanitaires devait pousser l'Etat à accepter le port du niqab car, selon lui, «l’interdiction du niqab n’a rien à voir avec les "valeurs de la république" ou l’ordre public» : «C’est le fruit d’une idéologie assimilationniste excluant les cultures minoritaires.»

Plutôt anti-Charlie, ils fustigent tous ceux qui prônent encore et toujours le socle de la République française et la défense de la laïcité, ceux-ci étant souvent mis dans un même sac qualifié de «fascistes» ou d'«extrême droite» alors même que certains mouvements ou personnes sont issues de la gauche tels que l'organisation du Printemps Républicain

Dans une tribune parue dans le quotidien Le Monde le 25 septembre 2019, 80 psychanalystes décrivent la pensée dite «décoloniale» et dénoncent le fait que celle-ci «s'insinue à l'université» : «Ce phénomène se répand de manière inquiétante. Nous n’hésitons pas à parler d’un phénomène d’emprise, qui distille subrepticement une idéologie aux relents totalitaires en utilisant des techniques de propagande. Réintroduire la "race" et stigmatiser des populations dites "blanches" ou de couleur comme coupables ou victimes, c’est dénier la complexité psychique, ce n’est pas reconnaître l’histoire trop souvent méconnue des peuples colonisés et les traumatismes qui empêchent sa transmission.» Les psychanalystes s'inquiètent par ailleurs que ces «militants, obsédés par l’identité, réduite à l’identitarisme, et sous couvert d’antiracisme et de défense du bien, imposent dans le champ du savoir et du social des idéologies racistes». Clairement, les «antiracistes racialistes», partagent un même combat avec l'extrême droite qu'ils fustigent : la reconnaissance de la race. 

Clairement, les «antiracistes racialistes», partagent un même combat avec l'extrême droite qu'ils fustigent : la reconnaissance de la race. 

La philosophe Elisabeth Badinter combat largement cette idéologie anglo-saxonne depuis des années. Dans une interview accordée à l'Express le 16 juin, elle déplore l'arrivée en France de mots comme «racisés» ou «privilège blanc» : «Ce nouveau vocabulaire est un crachat à la figure des hommes des Lumières [...] La race partout ! Je pense que c'est la naissance d'un nouveau racisme, dont "le Blanc" est le dernier avatar, et qui peut mener à un véritable séparatisme.»

Pour elle, aucun doute, derrière ces auto-proclamés antiracistes «il y a une volonté politique» avec des «barrières» qui sont mises en place entre les hommes : «Pouvait-on imaginer que certains syndicats, comme Sud ou l'Unef, organisent désormais des réunions "en non-mixité" (c'est-à-dire dont l'entrée est interdite aux personnes blanches de peau) ? Ce nouveau racisme rejette l'héritage occidental et pourtant, c'est tout de même grâce aux Lumières, au XVIIIe siècle, qu'on fait des progrès vers l'humanisme !»

Dans Marianne, le 17 juin, le blogueur et «militant universaliste» Naëm Bestandji argumente en ce sens : «[Les racialistes] remplacent la lutte des classes par la lutte des races, avec toutes les déclinaisons et dérives que cela induit. Tout est analysé par le prisme de la couleur de peau. Les racialistes prétendent ainsi lutter contre le racisme pour mieux promouvoir le leur.»

Le propos de ces activistes est aussi promu par certains médias. Slate fait partie de ceux qui défendent avec vigueur le multiculturalisme. Le patron de Mediapart, Edwy Plenel, en est aussi un partisan, Mediapart hébergeant régulièrement du contenu allant dans ce sens.

Politiquement, l'essor du multiculturalisme vient davantage de la gauche

Parfois, ce sont même des politiques qui reprennent à leur compte ce mode de pensée. Au sein de La France insoumise, le débat clive entre tenants d'une pensée républicaine (représentée éventuellement aujourd'hui par Adrien Quatennens) et une ligne «intersectionnelle» et multiculturaliste (incarnée par des personnalités comme Clémentine Autain ou Danièle Obono). Le chef de file du parti, Jean-Luc Mélenchon, ménage pour sa part la chèvre et le chou, avec ambiguïté.

Une frange du PS et les partisans de Benoît Hamon reprennent pour leur part la logique énoncée par le think tank Terra Nova lors de la campagne présidentielle de 2012, visant à attirer davantage l'électorat des minorités au détriment du vote des classes populaires. Celles-ci n'étant plus jugées comme «le cœur du vote de gauche».

Le multiculturalisme a aussi pris pied au sein d'Europe Ecologie Les Verts, Esther Benbassa étant l'une des figures les plus médiatiques. Ayant déjà manifesté et assisté à des conférences aux côtés des membres des Indigènes de la République, la sénatrice EELV et auteure du livre Minorités visibles en politiquedéfend le multiculturalisme. 

Au sein de la majorité présidentielle, avant son départ de La République en marche en mai 2020, le député Aurélien Taché était l'un des responsables politiques au centre les plus exaltés sur la question.

Quant au président actuel, Emmanuel Macron, semble lui-même adapter son discours aux circonstances politiques. Si ces dernières prises de paroles ont été des piques contre les «communautaristes» et les «séparatistes», il a prononcé des discours moins... républicains. Durant la campagne présidentielle, en février 2017, il considérait par exemple  qu'il n'y avait pas «une culture française» mais que celle-ci était «diverse et multiple». Dans cette veine, il dénonçait la «laïcité revancharde» ou le «laïcisme», et prônait une «conception libérale de laïcité», pratiquant le «en même temps» : «L'Etat est laïc, pas la société.» Tout juste élu, en septembre 2017, devant les protestants de France, il leur dit : «Vous êtes les vigies de la République.» Et le 9 avril 2018, devant les évêques de France, il demande aux «catholiques à s’engager politiquement» estimant que leur «foi est une part d’engagement dont notre politique a besoin».

La discrimination positive, bras armé du multiculturalisme, arrive peu à peu en France

Politiquement, les dirigeants – y compris de droite – ont permis l'avancée du multiculturalisme, avec l'acceptation de la discrimination positive, inspirée par la pratique américaine. Durant la campagne présidentielle de 2007, lors d'un entretien pour Le Parisien, Nicolas Sarkozy assumait pleinement une discrimination positive calquée sur le modèle états-unien : «J'aimerais qu'on me dise pourquoi il serait normal de faire de la discrimination positive pour les femmes ou les handicapés, et pourquoi ce serait anormal pour les compatriotes de couleur.» Son mandat présidentiel sera marqué par des prises de position sans cap clair, mêlant fermeté sur l'identité tout en caressant dans le sens du poil le modèle américain. 

Finalement, c'est peut-être sous Emmanuel Macron que la discrimination positive pourra disposer d'une loi. Dernièrement, le conseil présidentiel des villes, mis en place par le chef de l'Etat, propose un projet de loi (PPL) visant à «en finir avec le "système" de l’entre-soi qui "favorise les "Blancs" dans les hiérarchies» dans la haute fonction publique. Ce comité Théodule qui a pour objectif d'apporter des réponses pour les banlieues a réussi à élaborer une proposition qui sera portée à l'Assemblée et au Sénat par les deux ex-marcheurs Aurélien Taché et Dimitri Houbron, ainsi qu'une socialiste, Hélène Conway-Mouret. 

La professeure d'histoire, écrivain et militante pour l'universalisme républicain Fatiha Boudjahlat s'offusque : «Ce système de l’entre soi a surtout favorisé les bourgeois. Mais non, l’obsession de la couleur prend le pas sur tout.» 

Parmi les pistes de réflexion de cette PPL, certains lycéens pourraient recevoir des points en plus lors des concours d'entrée dans les grandes écoles. L'idéal républicain méritocratique, déjà malade, risque d'être définitivement achevé.

Le pouvoir politique n'a certes pas encore fait basculer la France vers un modèle anglo-saxon. Par sa tradition républicaine, séculaire, la France a jusqu'ici résisté politiquement. Jusqu'à quand ?

Bastien Gouly

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