Port du masque, port du voile intégral : la France au centre d’une polémique née outre-Atlantique
Plusieurs défenseurs du multiculturalisme et du communautarisme ont déploré la position française consistant à autoriser le port du masque sanitaire tout en maintenant l'interdiction de la burqa. Une polémique qui prend sa source aux Etats-Unis.
La polémique est née outre-Atlantique : un article du Washington Post a lancé une polémique le 10 mai en dressant un parallèle audacieux entre port du masque et port de la burqa (voile d'origine afghane totalement recouvrant). Le quotidien américain s'étonne ainsi que «la France exige des masques pour contrôler le coronavirus [mais que] les burqas restent interdites». En fait, la loi française ne se contredit pas. La loi du 11 octobre 2010, adoptée sous le gouvernement de François Fillon, prévoit une interdiction de dissimulation du visage... sauf pour certaines raisons, prévues dans l'article 2, comme la «santé» ou les «motifs professionnels» : «L’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.»
Si la loi française autorise donc bel et bien le port du masque sanitaire, cela n'a pas empêché plusieurs zélateurs d'une société multiculturelle et autres communautaristes de fustiger la législation française.
Rebondissant sur cet article, Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch – une association connue pour ses positions pro-voile – compare ainsi voile islamique intégral et port du masque sanitaire, dénonçant l'«islamophobie» supposée sévir en France : «L'islamophobie peut-elle être plus transparente ? Le gouvernement français impose des masques mais interdit toujours la burqa.»
Can the Islamophobia be any more transparent? The French government mandates masks but still bans the burqua. https://t.co/U0HZa7vjdopic.twitter.com/sY9AbphEic
— Kenneth Roth (@KenRoth) May 11, 2020
Dans les pays anglo-saxons comme aux Etats-Unis, au Canada ou au Royaume-Uni – où le multiculturalisme est ancré dans les mœurs, à l'opposé de la «République indivisible» qui prévaut en France – des journalistes et des professeurs se sont ainsi adonnés à des leçons de morale à l'encontre de la France. Selon eux, la liberté de la femme rime avec la défense du port de la burqa. Tracy Jan, journaliste pour le Washington Post, adopte par exemple un ton péremptoire : «Les musulmans, les défenseurs de la liberté religieuse et les érudits voient beaucoup d'ironie dans une société qui a fait une telle vertu de découvrir les visages, nécessitant soudainement de couvrir les visages. Après tout, la France est à l'origine de l'interdiction de la burqa.»
Muslims, religious freedom advocates & scholars see a great deal of irony in a society that has made such a virtue of uncovered faces suddenly requiring faces to be covered.
— Tracy Jan (@TracyJan) May 12, 2020
After all, France is the originator of the burqa ban.https://t.co/rbmSUWA7Ps
La professeure agrégée Audrey Truschke de l'Université Rutgers, située dans l'Etat du New Jersey constate pour sa part que «la France suit la science, mais refuse de renoncer à son islamophobie».
France follows the science, even when it lays bare their Islamophobia. https://t.co/eH4R7AcN8j
— Audrey Truschke (@AudreyTruschke) May 11, 2020
Le Collectif Canadien Anti-Islamophobie (CCAI) explique quant à lui que «la France est la risée de la terre entière.»
La #France est la risée de la terre entière et le Washington Post n'est pas le seul à le constater: l'État a voulu dévoiler de force des femmes musulmanes, il est désormais voilé malgré lui 😷
— CCAislamophobie (@info_CQCI) May 11, 2020
Toute une leçon!#COVID19#coronavirus#deconfinementjour1https://t.co/bDGHnbb2X1
Promoteur d'une société multiculturelle, le professeur français de sciences politique à l'université collège de Londres Philippe Marlière dresse le même constat : «Lire le Washington Post et relever la schizophrénie du gouvernement : une femme portant le niqab doit l’enlever et payer une amende. À partir du 11 mai, elle devra l’enlever pour aussitôt se couvrir le visage avec un masque sinon elle paiera une autre amende !»
Lire le @washingtonpost & relever la schizophrénie du gouvernement: une femme portant le niqab doit l’enlever & payer une amende. À partir du 11 mai, elle devra l’enlever pour aussitôt se couvrir le visage avec un masque sinon elle paiera une autre amende!https://t.co/PFjx8cHiRw
— Philippe Marlière (@PhMarliere) May 10, 2020
Un texte retweeté par la militante afro-féministe et intersectionnelle Rokhaya Diallo.
Défenseur du burkini, et président de la Ligue de défense judiciaire des musulmans (une association de lutte contre «l'islamophobie»), l'ancien avocat controversé Karim Achoui a estimé, sur Twitter, que «les Etats-Unis ont plein de défauts mais [qu']ils respectent mieux que nous les croyances de chacun».
Les #USA ont plein de défauts mais ils respectent mieux que nous les croyances de chacun#masque#burqa Not Gorafi : la presse américaine moque la France qui "rend les masques obligatoires mais interdit la burqa"https://t.co/RFbYrGpZi9
— Karim ACHOUI (@AvocatPenal) May 12, 2020
La vue de citoyens au visage quasi-intégralement caché (masques, lunettes, visière de protection, capuches, bonnets) peut être déroutante pour certains. Et amener à des questionnements juridiques. Mais est-il bien raisonnable de profiter d'une crise sanitaire d'une ampleur sans précédent pour pousser un agenda idéologique ? Dura lex, sed lex.