L’humanité fait face à une menace existentielle, car le dialogue de sourds américano-russe, les conflits régionaux et le terrorisme nucléaire peuvent avoir des conséquences désastreuses, estime William Perry, ex-secrétaire à la Défense américain.
Avec la politique mondiale devenant de plus en plus instable, les armes nucléaires jouent-elles un rôle dissuasif contre une potentielle guerre mondiale, ou au contraire sont-elles une menace pour la sécurité du monde ? Avec un nouveau président à la Maison-Blanche, comment la position américaine sur les armes nucléaires va-t-elle évoluer ?
RT : Le président Donald Trump s’est prononcé pour l’expansion des capacités nucléaires des Etats-Unis d’un côté, et a appelé de l’autre côté à réduire «considérablement» les armes nucléaires... Où se situe la vérité ?
William Perry (W. P.) : Sur les armes nucléaires, Donald Trump a déclaré qu’il allait maintenir une armée forte, mais que beaucoup dépendait de ce qu'allait faire la Russie concernant les armes nucléaires. Il est fort probable que la Russie et les Etats-Unis vont accroître leurs dépenses en armes nucléaires – il semble que c’est dans cette direction que nous nous dirigeons maintenant. Non seulement cela sera très coûteux pour les deux pays, mais également dangereux.
Il existe néanmoins une réelle possibilité que les présidents russe et américain décident, dans l’intérêt de nos deux pays, de diminuer les dépenses et de réduire le stock d'armes nucléaires. Cela nous permettrait non seulement d’améliorer nos économies, mais, ce qui est encore plus important, de diminuer les risques.
Il existe le danger d'un début de guerre fortuit – si, par exemple, un système d’alerte russe ou américain commettait une erreur, en indiquant le lancement d'une fausse attaque
RT : Selon un rapport de l’agence Associated Press, le personnel qui gère les armes nucléaires des Etats-Unis comprend du personnel mal formé qui utilise des technologies dépassées pour exploiter ses systèmes – y compris d'antiques disquettes informatiques. Pourquoi de tels manquements ?
W. P. : Je pense que ces histoires sont exagérées, mais je suis préoccupé par le fait qu’aux Etats-Unis et en Russie, les gens qui étaient en charge des sites nucléaires pendant des années, n’ont pas la volonté aujourd’hui, ou peut-être même les compétences, de le faire correctement. C’est donc une des raisons pour lesquelles il faut trouver un moyen de réduire les risques. En particulier, j’ai fortement mis l’accent sur le fait que nos missiles balistiques intercontinentaux représentaient une menace, parce qu’il existe le danger d'un début de guerre fortuit si, par exemple, un système d’alerte russe ou américain commettait une erreur, en indiquant le lancement d'une fausse attaque.
Après, c’est la responsabilité de l’un ou l’autre président de prendre la décision rapide de lancer ses missiles balistiques intercontinentaux avant l’arrivée de missiles similaires de l’autre côté ; et bien sûr, si son système d’alerte n'est pas fiable, si une alerte se révèle fausse – ce président aura accidentellement débuté une guerre nucléaire. Aujourd’hui ce n’est pas juste une possibilité théorique ; je sais qu’il y a eu au moins deux fausses alertes en Russie et au moins trois fausses alertes aux Etats-Unis. C’est très sérieux. Le risque est faible, mais c’est le risque faible d’un événement véritablement catastrophique.
Le danger c’est qu’un groupe terroriste puisse mettre la main sur des matières fissiles – du combustible, de l'uranium fortement enrichi. Ils pourraient ensuite créer une bombe nucléaire artisanale
RT : Parlons maintenant du terrorisme nucléaire. Après les attentats terroristes à Bruxelles, on a signalé des tentatives d'intrusion terroriste dans des installations nucléaires en Belgique. C'est également en Belgique que sont stockées des armes nucléaires tactiques américaines. Les armes nucléaires américaines sont-elles suffisamment en sécurité ?
W. P. : Selon moi, le danger d’attaque terroriste nucléaire ne provient pas d’un groupe terroriste qui s’emparerait d'armes nucléaires américaines ou russes, parce que, dans les deux cas, elles sont très bien sécurisées. Le danger c’est qu’un groupe terroriste mette la main sur des matières fissiles – du combustible, de l'uranium fortement enrichi. Et s’ils pouvaient en obtenir, s’ils pouvaient en acheter ou en voler – et ceci n’est pas aussi bien protégé que les armes – ils pourraient ensuite créer une bombe nucléaire artisanale. Artisanale, mais toujours très efficace et qui pourrait être montée sur un missile, ou transportée dans un camion. Et s’ils arrivaient à le faire, il y aurait un risque d'engin nucléaire lancé sur Moscou ou sur Washington. Cela présente donc un danger commun pour les Etats-Unis et la Russie, et nous devons travailler ensemble pour faire tout notre possible afin de minimiser la probabilité qu’un groupe terroriste ne se munisse d’une bombe ou même de la matière fissile nécessaire à sa fabrication.
RT : Vous estimez impossible qu’un groupe de terroristes puisse s’infiltrer dans une centrale nucléaire ?
W. P. : Je ne pourrai jamais dire que c’est impossible, mais je dirai que c’est un risque inférieur par rapport à celui de l’obtention de matière fissile par des terroristes. Nous devrions nous concentrer sur une menace plus grande, qui représente en même temps le pire danger provenant des organisations terroristes.
Pour la Russie, aussi bien que pour les Etats-Unis, l’idée que si sa puissance est réduite, le risque d’une guerre nucléaire devienne moindre ne me semble pas valide
RT : Le Conseil consultatif du Pentagone propose de produire des armes nucléaires pour une «utilisation limitée», une puissance réduite et un ciblage plus précis – ne rendent-ils pas l’usage des armes nucléaires plus tentant ? Même dans le cas d'une attaque, et non seulement d’une rétorsion ?
W. P. : Je suis totalement opposé à la promotion de ce qu’on appelle les «armes nucléaires tactiques», je pense que c’est très dangereux. Pour la Russie, aussi bien que pour les Etats-Unis, l’idée que si sa puissance est réduite, le risque d’une guerre nucléaire devienne moindre ne me semble pas valide. Une fois qu’un belligérant utilise une arme nucléaire, même s'il s'agit d'une arme nucléaire «tactique» comme on dit, il n’y a aucune garantie que cela ne se transforme pas en une guerre nucléaire globale. Donc, pour moi, c’est une présomption très dangereuse de croire que vous pouvez utiliser des armes nucléaires à la puissance réduite sans provoquer une guerre nucléaire mondiale. Par ailleurs, quand on parle d’une arme nucléaire à la puissance réduite, il s’agit toujours de plusieurs kilotonnes – on parle alors d’une explosion aux conséquences dévastatrices. Donc, en somme, je suis contre les armes nucléaires tactiques. Il est très discutable que l’utilisation d'armes nucléaires tactiques ne se transforme pas, dans les faits, en une guerre nucléaire globale.
RT : L’administration de Donald Trump a imposé de nouvelles sanctions économiques contre l’Iran, et le nouveau président estime que l'accord nucléaire avec l'Iran devrait être renégocié. Cela vous semble-t-il possible ? Quelles seraient les conséquences si les Etats-Unis décidaient d’annuler cet accord ?
W. P. : Je ne crois pas qu’une telle chose soit une bonne idée. Nous ne pouvons pas renégocier l’accord avec l’Iran. Il s’agit de négociations multilatérales, il a fallu la collaboration de nombreux pays, notamment les Etats-Unis, la Russie, les pays d’Europe et la Chine, pour aboutir à cet accord. Il est donc tout à fait irréaliste de renégocier tout cela. Annuler cet accord, selon moi, serait une très grave erreur. J’espère que le président Trump, après avoir étudié ce problème, prendra une décision plus mesurée sur sa façon de voir les choses. Le général James Mattis lui a conseillé de ne pas y toucher, et j’espère qu’il suivra cette recommandation.
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