Entre l'opposition croissante des Etats-Unis à la Chine et leur hostilité à l'égard de l'Iran, l'idée de Donald Trump de se rapprocher de la Russie pourrait mener à un bouleversement de l'équilibre mondial, estime le journaliste John Wight.
L’administration de Donald Trump s’est-elle embarquée dans une politique étrangère visant à enfoncer un coin stratégique entre la Russie, la Chine et l’Iran ? Compte tenu du précédent créé par la stratégie de Nixon et Kissinger vis-à-vis de la Russie et de la Chine dans les années 1970, la question est pertinente.
La politique étrangère de Donald Trump, dès qu’il est entré en fonction, peut être réduite à une simple, sinon simpliste, proposition de paix avec la Russie et de conflit avec la Chine et l’Iran. Le problème d'une telle politique est, bien sûr, que tout conflit avec la Chine ou l’Iran rendra la paix avec la Russie difficile à atteindre, étant donné que les deux sont des alliés et des partenaires historiques de Moscou. Cela placerait donc la Russie dans une situation difficile.
Il y a ceux qui continuent à faire confiance à Donald Trump, confiance qui est fondée sur rien de plus concret que le simple fait qu’il n’est pas Barack Obama
Malgré tout, il y a ceux qui continuent à faire confiance à Donald Trump, confiance qui est fondée sur rien de plus concret que le simple fait qu’il n’est pas Barack Obama ou Hillary Clinton. C'est de l'analphabétisme politique le plus élémentaire, en particulier à la lumière du premier discours de l’ambassadeur aux Nations unies du nouveau président, Nikki Haley, adressé au Conseil de sécurité, dont le sujet était la reprise du conflit dans l’Est de l’Ukraine. «Les Etats-Unis continuent à condamner et appellent à mettre fin à l’occupation russe de la Crimée le plus vite possible», a dit Nikki Haley. «La Crimée fait parie de l’Ukraine. Nos sanctions liées à la Crimée resteront en place jusqu'à ce que la Russie restitue le contrôle sur la péninsule à l’Ukraine.»
On pourrait trouver exactement les mêmes mots dans un grand nombre de discours prononcés au Conseil de sécurité de l’ONU par le prédécesseur de Nikki Haley, Samantha Power. Ils montrent que l’administration de Donald Trump a l’intention de maintenir le mensonge selon lequel la Crimée a été arrachée à l’Ukraine contre la volonté de l’écrasante majorité de ses citoyens, et que le gouvernement ukrainien de Kiev a une autorité juridique sur ceux qui refusent d’accepter la légitimité du coup d’Etat soutenu par les Etats-Unis et leurs alliés européens qui l’ont porté au pouvoir en 2014.
Concernant la Chine, l’école de pensée affirmant que Donald Trump ne fait qu’énoncer une position ferme de négociateur afin de redémarrer les relations commerciales entre Pékin et Washington avec des conditions plus favorables pour ce dernier est délirante.
C’est une position qui ne parvient pas à prendre en compte le fait que la Chine se prépare actuellement à la possibilité d’un conflit militaire contre les Etats-Unis dans un avenir proche.
Le coût relativement faible des importations chinoises a contribué à réduire le coût de la vie des Américains, surtout au cours des pires années de la récession mondiale
C'est compréhensible, au regard des déclarations de Donald Trump à l’égard du différend territorial dans la mer de Chine méridionale ; c’est compréhensible si on prend en compte les déclarations du nouveau président américain sur la politique de la Chine Unique, selon laquelle Washington accepte la position de Pékin qui estime que Taïwan est plus une province séparatiste de la Chine qu’un Etat indépendant, politique qui pourrait être renégociable. De manière prévisible, cela n'a pas eu un très bon écho dans la capitale chinoise. Avant l’élection de Donald Trump, l’Extrême-Orient était déjà une région où les tensions s'étaient intensifiées au cours de ces dernières années, ce qui s’est traduit par une forte augmentation des dépenses en matière de défense en Chine et au Japon, ainsi qu'à Singapour, en Corée du Sud et au Vietnam.
Quant à la déclaration de Donald Trump selon laquelle la Chine est coupable de manipulation de devise... elle montre qu'il est évident qu’il vit dans un monde inversé. Comment les Etats-Unis ont-ils réussi à sauvegarder un modèle économique soutenu par une dette non viable et par l’hyper consommation, si ce n’est en manipulant leur devise ?
Effectivement, sans le statut du dollar en tant que devise de réserve internationale dominante et sans la Chine qui était prête à en acheter sans discontinuer, l’économie américaine se serait effondrée bien avant aujourd’hui. Oui, les Etats-Unis étaient le plus grand marché d’exportation pour la Chine depuis des années, mais le coût relativement faible des importations chinoises a contribué à réduire le coût de la vie des Américains, surtout au cours des pires années de la récession mondiale, leur permettant ainsi de maintenir un niveau supérieur de consommation, ce qui est essentiel pour l’économie américaine.
Au lieu de dévaluer sa devise, la Chine a fait exactement le contraire, se débarrassant de bons du Trésor des Etats-Unis ces dernières années afin d’augmenter la valeur de sa devise, le yuan, par rapport au dollar. Il est difficile de dire avec certitude, si les motifs de Pékin sont entièrement économiques, ou s'il y a un motif stratégique, l’économie américaine étant vulnérable à cet égard. Mais, compte tenu du conflit territorial actuel mentionné plus haut et de la préoccupation croissante de la Chine face à l’augmentation des capacités navales américaines dans la région, il serait naïf de le négliger.
Les Etats les plus coupables de la «déstabilisation des relations» au Moyen-Orient sont Israël et l’Arabie saoudite
Quant à l’Iran, il faut mentionner que l’administration Trump est déterminée à collaborer avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou pour exercer une pression sur ce pays, pôle solide d’opposition à l’expansionnisme israélien et à l’hégémonie américaine dans la région depuis des années. Le conseiller de Donald Trump à la Sécurité nationale, Michael Flynn, a récemment menacé l’Iran, en réponse à un test de missile, disant qu'il ne faisait que «déstabiliser les relations au Moyen Orient».
C’est totalement absurde. Les Etats de la région qui sont les plus coupables de la «déstabilisation des relations» sont Israël et l’Arabie saoudite, qui sont les deux anciens alliés de Washington, dont le systématique bruit de bottes face à Téhéran est la véritable cause de la montée des tensions. En outre, les démarches de l’Arabie saoudite au Yémen constituent une infraction à toute conception de légalité ou de justice, mais, pour toute réponse, Washington continue de fermer les yeux.
Il faudrait dire que Michael Flynn a déjà été qualifié d’islamophobe avant de devenir conseiller à la Sécurité nationale. Dans un discours prononcé l’année passée, il avait décrit l’islam comme un «cancer».
Son ignorance est étonnante et édifiante, surtout si l'on prend en compte le rôle de Washington dans le massacre de millions de musulmans au cours des dernières années, et son rôle dans la destruction de l’Irak, de la Libye, plongeant la région dans le chaos. La menace salafiste et djihadiste induite par tout cela a tué plus de musulmans que de membres de n’importe quel autre groupe religieux ou culturel et ce sont les musulmans qui ont fait le gros des combats sur le terrain pour y faire face – en particulier l’armée irakienne, l’armée syrienne, les volontaires iraniens, le Hezbollah, les Kurdes, etc.
Il est trop tôt pour espérer que Donald Trump mette fin à la politique étrangère de Washington fondée sur l’exceptionnalisme américain
Les premières semaines du président Trump à son poste ont fourni suffisamment de preuves qu’il était trop tôt pour espérer qu’il mette fin à la politique étrangère de Washington fondée sur l’exceptionnalisme américain.
Pour revenir à la question posée en introduction – ce que la Russie doit prendre en compte, lorsqu’il s’agit de la politique étrangère de l’administration Trump à ce stade, c’est qu’il est fort probable que la nouvelle administration soit motivée par le désir d’affaiblir ou de fractionner l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), dont la Russie et la Chine sont les membres fondateurs. La stratégie Nixon-Kissinger, au début des années 1970, a conduit les Etats-Unis à normaliser leurs relations avec la Chine pour tirer profit de la rupture sino-soviétique, creusant ainsi un fossé entre les deux pays, ce qui était un avantage stratégique de Washington.
A l’époque, la stratégie a superbement fonctionné du point de vue de Washington. Leur permettre de faire de même une seconde fois – en permettant cette fois-ci aux Etats-Unis de normaliser leurs relations avec Moscou au détriment de Pékin – serait une erreur historique qui perturberait l’équilibre global, du point de vue de la Chine, mais aussi de celui de la Russie.
Du même auteur : Donald Trump va-t-il déclencher une troisième Intifada en Palestine ?
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.