Après l'abandon de nombreux soutiens, les choses s'accélèrent pour François Fillon, à un point où on ne se pose plus la question de la légitimité des candidats, où tout effondrement et ascension semble possible, estime le politologue Eddy Fougier.
RT France : Le fait que François Fillon est en train de perdre de nombreux soutiens au sein des Républicains, que cela signifie-t-il du point de vue électoral ?
Eddy Fougier (E. F.) : Si on écoute François Fillon lui-même, il dit que certains élus partent, mais ce qui compte, c’est le point de vue du peuple. Cela va être mesuré dimanche – parce qu’il a appelé à un grand rassemblement en faveur de sa candidature dimanche place du Trocadéro à Paris. Donc là aujourd’hui, il joue le peuple contre les médias, la justice, le parti, les élus. Donc, je dirais, c’est un petit peu le «match», c’est le dernier round, comme on dit en boxe. On sent qu’il est au bord du KO, si on veut utiliser cette métaphore de la boxe. Donc ça va être très compliqué pour lui, si ce n’est impossible.
Pour que François Fillon puisse se qualifier, il faudrait un effondrement de Marine Le Pen, ce qui semble impossible à ce stade-là
J’essaie de suivre quasiment en direct les événements, et on voit que les choses s’accélèrent. Cela s’est accéléré le 1er mars, et il semble aujourd’hui que tout cela s’accélère encore. Aujourd’hui a été publié un sondage qui montre qu’Alain Juppé serait en tête s’il devait être le candidat des Républicains, alors que François Fillon serait troisième. Donc cela signifie effectivement qu’Alain Juppé se qualifierait pour le second tour, alors que François Fillon serait éliminé. D’autant que dans ce sondage il y a un petit détail, c’est qu’Emmanuel Macron est premier. Cela voudrait dire qu’il est devant Marine Le Pen. Cela signifie que, pour que François Fillon puisse se qualifier, il faudrait un effondrement de Marine Le Pen, ce qui semble impossible à ce stade-là.
Beaucoup d’élus – je lisais chez vos confrères de la radio RTL qu’il y en avait plus de 80 – ont quitté François Fillon, et ça fait beaucoup. Un autre sondage qui n’est pas du tout favorable a montré que sept Français sur dix considéraient qu’il devait arrêter, également un certain nombre de rumeurs assez fortes sur le fait que Nicolas Sarkozy aurait accepté la candidature d’Alain Juppé, alors que jusqu’à présent Nicolas Sarkozy était celui qui soutenait le plus François Fillon. Tout ça fait que c’est une question de jours avant que François Fillon n'abandonne.
Alain Juppé a été largement battu dans des circonstances très claires lors de ces primaires des Républicains. Donc il n’a pas la légitimitépopulaire de cet électorat pour se présenter
RT France : François Fillon ayant été désigné par une primaire, est-ce légitime qu’Alain Juppé se présente, seulement à la condition que François Fillon se retire ? Sa candidature est-elle légitime, du fait de sa défaite lors de la primaire ?
E. F. : On est dans un jeu entre deux candidats, et il n’y a pas de légitimité pour les deux candidats. Effectivement, Alain Juppé a été largement battu dans des circonstances très claires, avec une participation importante lors de ces primaires des Républicains au mois de novembre. Donc il n’a pas la légitimitépopulaire de cet électorat pour se présenter. Mais de l’autre côté, il est évident que François Fillon a de moins en moins de légitimité pour représenter les Républicains avec le plus de chances de réussite possible. Alors, aujourd’hui on n’a même plus cette question de légitimité, c’est avant tout la question pour les Républicains d’avoir un candidat, et un candidat qui puisse s’exprimer. Parce que là, il ne peut quasiment plus s’exprimer – on voit qu’au cours de sa campagne il ne fait qu’essayer de répondre aux questions des journalistes sur les affaires, il tente d’éviter le contact avec un public qui ne soit pas celui des militants, parce qu’il sait que cela va être compliqué. Il n'est plus à même de faire campagne dans une situation classique.
Donc aujourd’hui, on est dans une telle situation d’urgence – on est à 6-7 semaines du premier tour – qu’on ne se pose même plus la question de légitimité. Essayons de trouver la solution la moins pire possible. Et Alain Juppé pourrait être cette solution. Je ne sais pas si cela va se faire, mais j’ai le sentiment que les choses s’accélèrent et qu’on va vers cette situation assez extrême. Quoi qu'il en soit, cette campagne présidentielle est extraordinaire. On est au point où on pourrait se dire que François Hollande va se présenter, et il gagnerait facilement. J’ai entendu dire qu’il y a même un écrivain qui a appelé François Hollande à se présenter. On est dans une situation où tout est possible.
Cette légitimité-là, ce capital qu'avait François Fillon auprès de ses électeurs, n’existe plus, quoi qu'il en soit
C’est vrai que les débats qui existaient lors de la primaire des Républicains qui consistaient à le dire : on va choisir François Fillon parce qu'il est honnête, il va mettre en place des réformes, par rapport à Nicolas Sarkozy qui a beaucoup annoncé mais n’a pas nécessairement mis en place les reformes qu’il avait annoncées, par rapport à Alain Juppé qui dans le passé aussi a été impliqué dans des affaires et qui, finalement, ne va pas mettre en place les réformes. Donc, on choisit l’honnêteté et celui qui va mettre en place les réformes. Donc, cette légitimité-là, ce capital qu'avait François Fillon auprès de ses électeurs, n’existe plus, quoi qu'il en soit.
Il y a la légitimité de l’élection, mais ce capital n’existe plus, parce qu'aujourd’hui des électeurs républicains le soutiennent, mais avec des doutes par rapport à son honnêteté. Et ils savent très bien que même s’il devait être élu, il n’arriverait pas à mettre en place ses réformes. Compte tenu du rejet dont il fait l’objet, on imagine mal François Fillon arriver devant les Français en disant : vous allez faire des efforts, on va diminuer les dépenses publiques, alors qu'il a effectivement utilisé lui-même la dépense publique à des fins personnelles – sa légitimité de ce point de vue, est largement mise en cause. Donc, il a la légitimité populaire mais il n’a plus de légitimité politique, je crois.
Si François Fillon reste candidat, se qualifie pour le second tour, bat Marine Le Pen et devient président – ce qui est une hypothèse de plus en plus difficile pour lui – le parti survivra car le vainqueur a toujours raison
Nous ne sommes plus au stade aujourd’hui où on se demande s’il est le meilleur candidat pour gouverner à droite, on se demande s’il est le meilleur candidat pour pouvoir aller jusqu’au premier tour déjà et pour pouvoir se qualifier pour le second tour. Ce candidat semble plus être aujourd’hui Alain Juppé ou éventuellement un autre – je parle de François Bayrou aussi – que François Fillon.
RT France : On entend parler de la mort des Républicains, que le parti ne va pas survivre aux élections, car il n'y a plus d'unité en son sein. Quelles seront les conséquences pour le parti après tout ce chaos ?
E. F. : Ça dépendra du résultat des élections. Si François Fillon reste candidat, se qualifie pour le second tour, bat Marine Le Pen et devient président – ce qui est une hypothèse de plus en plus difficile pour lui – le parti survivra car le vainqueur a toujours raison. En revanche, s’il va jusqu’au bout et est éliminé au premier tour, je ne sais pas comment les Républicains vont le surmonter, ce sera terrible. Déjà Fillon n’est pas populaire au sein des Républicains. Il y a beaucoup de gens qui le détestent, mais qui ont accepté le résultat des primaires. Il y a ceux qui se posent de plus en plus de questions sur sa candidature. Il y a ceux qui ont carrément décidé de ne plus soutenir sa candidature, donc ça fait beaucoup de monde. Et s’il devait échouer, il est effectivement vraisemblable qu’il y ait des dissensions très fortes, des règlements de compte et même des divisions peut-être entre un pôle de centre-droit et un pôle qui soit plus marqué à droite. Après, ça dépend du vainqueur de la présidentielle, au cas où François Fillon n’arriverait pas jusqu’au bout.
Le parti a été divisé très fortement et il a fallu le retour de Nicolas Sarkozy pour ramener de l'ordre. Là, ça serait encore plus grave et les Républicains ne survivraient pas à un tel échec
Si c’est Marine Le Pen – en fait, il n’y aurait plus de droite, tout exploserait. Si c’est Emmanuel Macron – il est vraisemblable qu’une partie du centre se joigne à une majorité nouvelle pour soutenir le nouveau président Macron. Cela est l'une des hypothèses. Mais si Alain Juppé l’emporte, ce sera compliqué, parce qu'il représente le centre, le centre-droit. Il a critiqué fortement François Fillon dans l'entre-deux tours de la primaire, mais il sera le président, il sera le boss, donc, on le soutiendra. Soit le parti survit en gagnant finalement les législatives assez largement car il a beaucoup de députés et une majorité assez large pour mener sa politique, et tout se passera pas si mal que ça. Soit il échoue et là – c’est la catastrophe avec vraisemblablement la fin du parti.
Quand nous avons eu la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012, il ya eu des élections pour désigner le président, justement il y avait François Fillon et Jean-François Copé – cela été terrible, et le parti a manqué d'exploser. Le parti a été divisé très fortement et il a fallu le retour de Nicolas Sarkozy pour ramener de l'ordre. J'imagine que là, ça serait encore beaucoup plus grave et que les Républicains ne survivraient pas à un tel échec. D'autant que la droite, depuis que le président est élu par le peuple directement, n'a jamais été éliminée au premier tour, cela serait un événement considérable.
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