Les juges d'instruction convoquent-ils vraiment François Fillon trop rapidement ?

Les juges d'instruction convoquent-ils vraiment François Fillon trop rapidement ?© Lionel BONAVENTURE Source: AFP
François Fillon.
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L'ancien magistrat Philippe Bilger revient sur les interrogations du camp Fillon sur la rapidité de l'instruction menée contre son candidat. Pour lui, rien dans la procédure actuelle ne démontre «une malignité ou précipitation choquante.»

RT France : Suite à l'annonce de la convocation de François Fillon devant les juges le 15 mars prochain, ses soutiens s'interrogent sur la rapidité et le calendrier de la procédure judiciaire engagée contre lui. Peut-on réellement la considérer comme inhabituellement rapide ? 

Philippe Bilger (P. B.) : Il est normal que la justice ait enquêté à la suite de la publication de l'article du Canard enchaîné. Il y a eu une enquête très complète qui a été diligentée. On a ouvert une information à la fois pour des raisons de prescription mais j'estime également qu'on ne pouvait pas faire autrement que d'ouvrir une information. Une citation directe aurait été trop désinvolte à l'égard d'un ancien Premier ministre. De fait l'ouverture d'information est récente et la mise en examen va être faite le 15 mars. A partir du moment où l'on considère que cette période très particulière de la campagne présidentielle permet de faire des actes d'enquêtes et d'instruction, je en vois pas pourquoi on aurait interdit à ces trois juges d'en pratiquer. Je ne suis pas persuadé que l'Etat de droit soit dévasté. Il faut bien voir que l'enquête qui a été transmise aux juges d'instruction doit être presque complète. Cela ne demande donc pas des années aux juges pour en prendre connaissance. Le fait que la mise en examen soit prévue le 15 mars ne démontre pas forcément qu'il y a derrière une malignité ou une précipitation choquante.

Comme il a du mal à récuser les présomptions qui pèsent sur lui, il s'en prend au système et à l'Etat de droit

Il n'aurait pas été absurde de la part des juges de se retenir et d'attendre. Mais dans ce cas n'aurait-on pas reproché à la justice de laisser traîner une affaire qui peut éventuellement éclairer les citoyens sur l'avenir politique ? Je me demande si malheureusement François Fillon ne tombe pas dans une démagogie habituelle. Je le dis d'autant plus volontiers que je le soutenais d'un point de vue politique. Je pense qu'en février, il aurait dû sortir par la grande porte. Comme il a du mal à récuser les présomptions qui pèsent sur lui, il s'en prend au système et à l'Etat de droit en affirmant que la justice est politisée. Je trouve que c'est une très mauvaise défense. Je ne suis pas persuadé qu'elle soit convaincante pour les citoyens. Il y a eu un tel effarement lorsqu'on a appris que François Fillon n'était peut-être pas un modèle d'intégrité absolue, alors qu'il avait gagné la primaire là-dessus. Peut-être que cela va peser beaucoup plus que les reproches que l'on peut faire à l'institution judiciaire d'aller trop vite ou d'être partiale, ce que, pour ma part, je ne crois pas.

On peut considérer que cette procédure altère un peu l'image de François Fillon mais ce n'est pas de la faute de la justice

RT France : Lors de sa conférence de presse, François Fillon a eu une rhétorique rappelant celle du Front national qui consiste à opposer la démocratie et le vote du peuple à l'institution judiciaire. Ce type d'attaque vous paraît-elle dangereuse pour l'équilibre des pouvoirs ?

P. B. : Si, tout à fait. C'est très démagogique. Au fond, il est évident qu'il y a deux ordres : l'ordre politique et l'ordre judiciaire. Lorsque l'ordre politique devient dominant, l'ordre judiciaire n'a aucune raison de s'effacer. L'inverse est d'ailleurs vrai. Je ne vois pas en quoi le fait d'avoir été saisie d'une affaire – que la justice n'invente pas, elle la reçoit – peut porter atteinte au jugement du peuple. François Fillon a trahi un engagement. Il affirmait qu'il renoncerait à la présidentielle en cas de mise en examen, visiblement il ne le fera pas. Il a toute la latitude qu'il veut pour trahir cet engagement mais je ne vois pas en quoi la justice, qui a été saisie et qui confère qu'elle doit le mettre en examen, viole les règles démocratiques. Ce n'est pas elle qui va faire l'élection. Imaginons que François Fillon se retrouve au second tour face à Marine Le Pen, la justice n'aura rien à voir avec cela. On peut considérer que cette procédure altère un peu l'image de François Fillon mais ce n'est pas de la faute de la justice. Il était normal d'ouvrir une enquête à la suite de l'article du Canard enchaîné. On peut éventuellement s'interroger sur la date de publication de cet article car à partir du moment où l'article paraît, la justice n'a pas d'autre choix que d'enquêter.

On trouvera toujours en face de certaines accusations des abstentions qu'on peut considérer comme coupables

RT France : C'est justement l'un des arguments du camp filloniste : pourquoi la justice n'a-t-elle par exemple pas poursuivi Jean-Marie Le Guen pour ses liens avec le Qatar après la parution de Nos très chers émirs de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot. Une telle défense vous semble-t-elle valable ?

P. B. : Dans un Etat de droit idéal, on pourrait ouvrir des informations pour absolument toutes les situations où le doute s’immisce. On pourrait bien sûr considérer que les accusations contre Jean-Marie Le Guen sont suffisantes pour ouvrir une information. Mais je ne peux pas vous dire si cette abstention précise résulte d'une volonté d'étouffement ou si on a simplement considéré que les éléments étaient trop vagues ou trop flous. On trouvera toujours en face de certaines accusations des abstentions qu'on peut considérer comme coupables. Il n'était pas concevable que, face à un candidat prestigieux à l'élection présidentielle, contre lequel des présomptions non négligeables ont été revélées, on laisse tomber l'enquête. Aujourd'hui, bien sûr, ceux qui défendent François Fillon affirment que «la magistrature est politisée, elle est à gauche». Simplement parce qu'elle met en cause François Fillon. Seulement demain, on pourra avoir des hommes politiques de gauche mis en cause par la magistrature. Elle sera alors qualifiée de droite. Il est très difficile d'avoir de tels procès d'intention. Lorsqu'un homme politique est obligé de les avoir c'est qu'il s'engage sur un chemin trouble. Comme s'il avait besoin d'aborder la périphérie car le centre lui est trop dangereux.

Lire aussi : L'UDI «suspend» son soutien à la campagne de François Fillon, selon Jean-Christophe Lagarde

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