Si les affaires s'accumulent autour du FN, Marine Le Pen ne baisse pas dans les sondages. Le politologue Jean Petaux analyse cette situation liée au discours contre le «système» du parti qui séduit l'électorat anti-Union européenne.
RT France : Une commission du Parlement européen recommande la levée de l'immunité de Marine Le Pen. Vous attendez-vous à ce que son immunité soit levée ?
Jean Petaux (J. P.) : La coutume (sans que cela puisse être confondu avec une obligation) veut que le Parlement européen siégeant en assemblée plénière entérine les votes intervenus au sein des commissions parlementaires, surtout quand il s’agit de la commission juridique. Sans qu’une date n’ait été effectivement fixée pour ce vote de levée (ou pas) de l’immunité parlementaire de Marine Le Pen, le jeudi 2 mars a été évoqué. Il faut rappeler aussi que cette levée de l’immunité parlementaire de la présidente du Front national en France ne concerne absolument pas l’affaire des «assistants parlementaires» faussement employés au Parlement européen. Elle porte sur la diffusion, sur Twitter, le 17 décembre 2015, du cadavre décapité du journaliste américain James Foley odieusement assassiné par Daech. Pour ces faits, graves - diffusion d’images violentes - Marine Le Pen risque 75.000 € d’amende et 3 ans de prison ferme (peine maximum bien évidemment).
Elle utilise la forte position qui est la sienne au niveau de l’opinion publique pour attaquer l’appareil judiciaire, remettre en cause son indépendance et se présenter, comme toujours, comme la victime de tout ce qui peut être assimilé au fameux «système»
RT France : Marine Le Pen a déjà vu son immunité levée en 2013 et cela n'a pas eu de conséquences graves pour sa carrière politique. Est-ce que maintenant des conséquences plus graves peuvent avoir lieu ?
J. P. : Aujourd’hui Marine Le Pen joue le peuple contre la justice et surtout l’illégalité contre le droit. Elle utilise la forte position qui est la sienne au niveau de l’opinion publique (elle est donnée en tête par tous les instituts de sondage à moins de 60 jours du premier tour de la présidentielle, avec une progression régulière dans les intentions de vote qui la situent désormais aux environs de 26-27% des voix) pour attaquer l’appareil judiciaire, remettre en cause son indépendance et se présenter, comme toujours, comme la victime de tout ce qui peut être assimilé au fameux «système». Terme «valise», totalement imprécis, sans aucune valeur heuristique, mais qui «parle» aux électeurs potentiels de Marine Le Pen. Le «système» c’est tout ce qui n’est pas «elle» (ou «eux»).
Par exemple Marine Le Pen met en cause le «système bancaire» français, disant qu’aucune banque française ne veut lui faire crédit pour financer sa campagne. Elle se présente donc «victime» des puissances financières et s’en va donc emprunter auprès des banques russes qui l’accueillent à bras ouverts. Voilà comment on peut retourner une opinion qui aurait pu (légitimement) reprocher à la présidente du FN de se rapprocher dangereusement de Vladimir Poutine et de son propre «système» en liant son sort politique à celui d’une grande puissance étrangère, la Russie.
C’est une grave erreur d’interprétation qui a été commise par celles et ceux qui ont imaginé que «l’affaire des faux assistants parlementaires» européens du FN allait faire autant de mal, en étant révélée, que le «Pénélopegate»
RT France : Quelles seraient les conséquences pour la position de Marine Le Pen lors de la présidentielle si son immunité parlementaire est levée ? Va-t-elle subir une chute dans les sondages ou une montée car elle sera vue comme martyre par ses partisans ?
J. P. : Incontestablement votre deuxième option est la plus probable. Elle va pouvoir ajouter un nouveau chapitre au martyrologue qui est le sien. De toute manière le Parlement européen peut bien lui retirer 20 fois son immunité parlementaire pour 20 motifs différents, son électorat, fidèle en cela à la «ligne FN», très anti-européen, considère que l’Europe est une «machine pourrie» qui n’aura de cesse d’attaquer Marine Le Pen sur tous les plans. La présidente du FN a raison, du point de vue tactique, de vouer aux pires tourments de l’enfer l’institution européenne puisque son électorat déteste l’Europe. C’est une grave erreur d’interprétation qui a été commise par celles et ceux qui ont imaginé que «l’affaire des faux assistants parlementaires» européens du FN allait faire autant de mal, en étant révélée, que le «Pénélopegate» a pu en faire à François Fillon. C’est tout l’inverse qui s’est produit.
L’électorat FN (et même au-delà de lui) a donné raison à Marine Le Pen d’avoir voulu prendre de l’argent au Parlement européen pour rémunérer des personnes qui ne travaillaient pas conformément aux règles fixées par le Parlement européen lui-même. Puisque c’est de l’argent européen et que l’Europe est malfaisante, prendre de l’argent à une puissance malfaisante n’est peut-être pas légal mais c’est parfaitement moral. C’est du moins le raisonnement de l’électeur FN «lambda». On sait cela depuis «Robin Hood» volant l’argent (malhonnêtement acquis) au sheriff de Nottingham pour le redonner aux pauvres dans la forêt de Sherwood. Donc je ne crois pas du tout que Marine Le Pen va connaître, consécutivement à une éventuelle levée de son immunité parlementaire, une baisse dans les sondages portant sur les intentions de votes en sa faveur. Bien au contraire.
Marine Le Pen doit faire l’objet du même traitement judiciaire (et médiatique) que ses autres adversaires et concurrents à la présidentielle de 2017. Pas plus acharné mais pas plus bienveillant
RT France : Comment expliquez-vous le fait que cette procédure n’ait lieu que maintenant vu que les tweets incriminés de Marine Le Pen datent de décembre 2015 ?
J. P. : Quinze mois pour une telle procédure cela n’a rien d’exceptionnel et c’est plutôt dans l’ordre des délais habituels. Que les collègues parlementaires européens de Madame Le Pen aient intégré le calendrier politique et électoral français dans leur décision et leur vote en commission ce mardi 28 février, le contraire serait étonnant par ailleurs. Nul n’ignore (surtout les députés européens) en Europe que Marine Le Pen est en mesure d’emporter l’élection présidentielle française le 7 mai prochain et que, si tel était le cas, compte tenu du statut judiciaire du Président de la République française, elle bénéficierait d’une immunité judiciaire totale et absolue du jour de sa prise de son fonction à son dernier jour à l’Elysée, au terme de son mandat de cinq années. De là à penser que certains aient l’intention de faire avancer rapidement certains dossiers pour l’arrêter avant l’entrée dans le palais présidentiel situé rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris, il n’y aurait là rien que de très logique.
Comme une bonne judoka Marine Le Pen se sert de ses rivaux pour accroître sa force dans l’opinion.
Marine Le Pen doit faire l’objet du même traitement judiciaire (et médiatique) que ses autres adversaires et concurrents à la présidentielle de 2017. Pas plus acharné mais pas plus bienveillant que tous les autres. Le souci principal qui existe avec elle réside dans le comportement de ses adversaires. On sait très bien que toute une partie de la gauche radicale française (de l’extrême-gauche aux anarchistes et autres «Antis-Fa» - comprendre les groupuscules plus ou moins violents «Anti-fascistes» -, aux «héritiers» de «Nuit Debout»), a besoin du FN pour survivre, ne serait-ce qu’en existant seulement «contre». Pour ceux-là, pour ces «révolutionnaires» de pacotille, le FN et sa présidente, représentent une «raison d’être» unique et permanente. Comme une bonne judoka Marine Le Pen se sert de ses rivaux pour accroître sa force dans l’opinion. Et ça marche ! Elle encourt finalement peu de risques judiciaires avant le 23 avril. Il faudrait pour se faire qu’elle soit entendue par un juge d’instruction, qu’il lui soit signifié une mise en examen et que son affaire (la diffusion d’images violentes) soit renvoyée devant un tribunal correctionnel en moins de 60 jours, délai qui nous sépare désormais du premier tour de la présidentielle, le 23 avril… Inenvisageable ! Elle va donc, néanmoins, continuer à se présenter comme une grande victime potentielle du «système politico-judiciaire» en place, confortant ainsi l’opinion de ses électeurs et de ses supporters.
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