Débutée en octobre, l'offensive contre Daesh à Mossoul entame sa phase la plus périlleuse. Pour le chercheur Pascal Le Pautremat, face à des combattants fanatisés utilisant les civils et leurs propres familles comme boucliers, la bataille sera ardue.
RT France : Le commandant des forces américaines en Irak et en Syrie a déclaré que les forces spéciales américaines intervenaient de manière plus intense et au plus près du terrain avec les forces irakiennes. Est-il possible que les Etats-Unis changent prochainement de stratégie au sol ?
Pascal Le Pautremat (P. P.) : Il faut d'abord aborder cette question sous l'angle tactique. Par définition, la guerre urbaine est difficile, meurtrière et complexe. Elle use les hommes et entraîne beaucoup de pertes, tant parmi les combattants que parmi les civils. Il faut donc beaucoup de professionnalisme pour les soldats qui sont en pleine opération. Dans la logique des relations établies entre la nouvelle armée irakienne et les militaires américains, il existe une forte cohésion entre les conseillers américains et leurs militaires irakiens qui ont été formés par les premiers. Est-ce que cela veut dire pour autant que les Américains vont amplifier leurs opérations au sol ? Difficile de le savoir. Peut-être. Peut-être pas. Dans tous les cas, leur présence sera maintenue de manière constante en essayant toujours de combiner des opérateurs sur le sol menées par les unités les plus affinées pour ce type de combat, appuyés par des éléments aériens : des hélicoptères et avions de combat mais aussi, de manière de plus en plus récurrente, par des drones.
Il y a une véritable nécessité que, toutes nationalités confondues, les acteurs sur le terrain collaborent.
RT France : La division d'or, les forces spéciales irakiennes combattant directement contre Daesh à Mossoul, est au cœur des combat depuis le 17 octobre 2016 et ont déjà subi de nombreuses pertes. Pourront-ils aller jusqu'au bout ? Comment les autres pays impliqués dans l'offensive pourraient-ils les soutenir ?
P. P. : Ce qu'il faut principalement ce sont des véhicules blindés afin de permettre aux unités d'infanterie d'avancer dans la ville. La progression des forces irakiennes va devoir se faire en sécurisant les quartiers rue après rue, maison après maison, au gré de combats souvent âpres. Ces opérations sont appuyées par des blindés et des obusiers, quitte à détruire des bâtiments où pourraient se trouver des tireurs adverses, embusqués. En somme, on retrouve la combinaison traditionnelle, nécessaire lors des guerres urbaines, entre infanterie, moyens mécanisés et blindés. C'était déjà le genre d'opérations menées lors de la guerre d'Irak, notamment à Falloudja en 2004 . Ce qui peut changer la donne, c'est une bonne couverture aérienne afin de permettre une protection rapprochée des personnels au sol, lors de leur progression et reconquête de l’espace urbain.
Il faut également savoir s'inscrire dans la durée et accepter psychologiquement le fait que, par définition, ces offensives sont longues. Elle peuvent durer des mois, parfois même entrecoupées de répits pour reprendre intensément. Cela peut ainsi s’étendre sur une année voire plus. Les batailles urbaines sont donc longues, fastidieuses, parfois démoralisant. Il ne faut pas oublier que face aux Irakiens, aux Kurdes et les conseillers occidentaux, il y a les éléments suicides de l'Etat islamique qui sont extrêmement efficaces.
J'ai vu encore récemment des vidéos de renseignement filmées avec des drones sur lequelles on voit très clairement les véhicules kamikazes qui progressent de rue en rue pour remonter vers les points névralgiques où sont massés les soldats irakiens. Ces conditions de combat périlleuses sont très lourdes à accepter et gérer, quelle que soit la nationalité ou la religion des militaires. La perte de camarades et de chefs emblématiques sur le terrain sont des situations difficiles à encaisser. En ce sens, il y a une véritable nécessité que, toutes nationalités confondues, les acteurs sur le terrain collaborent facer à cet ennemi commun.
Les guerres urbaines coûtent des vies civiles et en coûteront de plus en plus
RT France : Selon les ONG sur place et l'ONU, près de 750 000 civils seraient encore bloqués à l'intérieur de la ville. Y a-t-il encore un moyen de les protéger et d'éviter de nouvelles pertes ou doit-on se résoudre à un bilan humain tragique ?
P. P. : Malheureusement, il y aura des pertes civiles car il y a en face de nous des hommes totalement fanatisés qui utilisent les civils comme boucliers humains. Il n'y a aucun doute à avoir là-dessus. Ce sur quoi on peut être plus prudent c'est sur le nombre de personnes concernées - c'est-à-dire prises en otage par les combattants de Daesh dans cet objectif.Vous avez aussi des fanatiques qui ont leurs propres familles sur place et qui les exposent d'autant plus qu'elles sont convaincues de la légitimité du combat à mener. Là aussi, il faut s'attendre à des pertes parmi ces familles de djihadistes.
Il y a, enfin, les civils qui sont bloqués au milieu de la bataille, qui n'ont pas pu être évacués ou qui n'ont pas voulu partir. Ils n'ont plus d'autres choix que de s'enterrer, se retrancher en attendant que l'enfer s'arrête au dessus d'eux. On se souvient que de grandes batailles comme celle de Stalingrad ont témoigné de faits assez extraordinaires. On s'attendait à ce qu'il n'y ait aucun survivant et pourtant on a vu sortir des décombres des milliers de personnes (plus de 20 000 sur les quelques 520 000 habitants) qui avaient fait preuve d'un instinct de survie exceptionnel qui impose le respect.
Malheureusement, les guerres urbaines engendrent de lourdes pertes parmi les civils. Elles semblent appelées à l’être de plus en plus, puisque l'humanité se concentre majoritairement dans les zones urbanisées. Et lorsque les guerres surviennent, elles frappent principalement ces espaces-là.
L'objectif turc, sous-jascent, est évidemment de faire ombrage aux relations irako-iraniennes. La Turquie, en ce sens, joue le jeu de l'Arabie Saoudite.
RT France : Depuis le début de l'offensive, le gouvernement irakien a toujours insisté pour que ce soit ses troupes qui libèrent la ville. Pourquoi est-ce aussi essentiel pour la reconstruction du pays ?
P. P. : C'est en effet très recherché, très espéré et très attendu par Bagdad. L'enjeu pour eux est de rappeler que la souveraineté irakienne est prioritaire - même si cela ne signifie pas forcément de minimiser les attentes et aspirations du Kurdistan autonome. Il s'agit surtout d'envoyer un signal clair à destination d'Ankara. Pourquoi ? Parce que le président Recep Tayyip Erdogan, avec cynisme et paradoxalement, a imposé à plusieurs reprises l'envoi d'unités turques dans des zones irakiennes. Cela n'a pas échappé à Bagdad qui a bien souligné qu'elles n'étaient pas les bienvenues. L'Etat irakien connaît la duplicité et la forte animosité du régime turc actuel à l'égard des Kurdes ainsi que sa volonté de peser dans la balance de la reconstruction du nouvel Etat irakien. L'objectif turc, sous-jascent, est évidemment de faire ombrage aux relations irako-iraniennes. La Turquie, en ce sens, joue le jeu de l'Arabie Saoudite. Toutes ces raisons expliquent à quel point il est fort et symbolique pour Bagdad que la libération de Mossoul soit principalement menée par son armée.
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