Le général Jean-Bernard Pinatel, expert en géopolitique, revient sur l'avancée des combats à Mossoul, après les lourdes pertes subies par l'armée irakienne. Il fustige l'hypocrisie de croire que cette guerre urbaine peut épargner les civils.
RT France : L'armée irakienne a annoncé mercredi 11 janvier avoir repris 80% de la partie Est de Mossoul, après plus de trois mois d'offensive. Qu'en est-il en réalité ?
Jean-Bernard Pinatel (J.-B. P.) : Aujourd'hui l'armée irakienne a repris 40-45% de la ville de Mossoul selon la carte de leur avancée qui date du mardi 10 janvier. Il est certain qu'aux alentours de Mossoul, des zones étaient tenues par les combattants de Daesh mais aujourd'hui, l'encerclement de la ville atteint ses faubourgs. Dans la ville elle-même, la Division d'or, soit les forces spéciales irakiennes à 80% chiites, a repris un peu plus de la moitié de la partie la plus ouverte et la plus moderne de la ville, située à l'Est du Tigre. En revanche, dans toute la partie Ouest et dans la vieille ville, les combats n'ont pas encore commencé. Cette zone est bouclée mais rien n'a été repris. Si on est optimiste, on peut dire que 45% de la ville a été reprise mais de mon point de vue, je dirais plutôt 40%.
Une division occidentale quand elle a 30% de pertes, on la retire du front et on la met en récupération. La Division d'or a perdu quasiment 50% de ses effectifs mais n'arrêtera pas le combat
RT France : Sur le terrain comment les forces sont-elles réparties ?
J.-B. P. : Il y a des troupes qui assurent essentiellement le bouclage de toutes les zones reprises [à Daesh]. Ils assurent le nettoyage et la sécurité dans l'ensemble des territoires reconquis. Ils sont 85 000 à s'en charger. Mais il n'y a que 15 000 hommes de la Division d'or qui, depuis le 17 octobre, conduisent l'assaut de la ville. Ce sont des forces spéciales qui ont été formées, équipées et entraînées au combat urbain par les Américains. En trois mois, 4 000 de ses membres ont péri, 3 000 autres ont été blessés. Elles ont donc vu leur potentiel militaire divisé par deux. Cela explique la pause d'un mois dans l'offensive. Mais ce sont des troupes excessivement motivées. Les chiites, qui représentent 80% des combattants de cette divison, agissent dans le cadre d'une fatwa du grand Ayatollah Sistani. Ce dernier a déclaré que Daesh était l'ennemi public numéro un. Une division occidentale quand elle a 30% de pertes, on la retire du front et on la met en récupération. La Division d'or n'arrêtera pas le combat même si elle n'a plus le même potentiel qu'au début de l'offensive, sachant que la situation va devenir de plus en plus difficile.
Du côté de Daesh, on estime qu'au début de l'offensive ils devaient être entre 3 000 et 5 000 combattants. Mais personne n'a de chiffre exact et on ne connaît pas non plus les pertes qu'ils ont pu subir. Je pense qu'ils sont plutôt près de 5000 au regard de leur résistance mais personne ne le sait, pas même les Irakiens.
Il ne faut pas croire qu'il y a d'un côté des guerres sales et barbares menées par les Russes et, de l'autre, des guerres propres menées par les Occidentaux
RT : L'ONU s'est alarmé que depuis le début de l'offensive 47% des blessés étaient des civils alors que d'ordinaire, selon les Nations unies le ratio de civils touchés est plutôt de 20%. Y a-t-il une spécificité dans la bataille de Mossoul qui explique cette catastrophe humanitaire ?
J.-B. P. : Non aucune. Il faut simplement comprendre que Mossoul est une ville qui compte 1,5 million d'habitants. Dans ce genre de cas, les pertes civiles sont impossibles à éviter. Et encore les combats jusqu'à présent ne touchaient pas les zones les plus habitées. Mais vous savez, c'est assez formidable que quand les Russes attaquent Alep, on multiplie par deux ou par trois le nombre de victimes et de blessés et que quand les Américains soutiennent les Irakiens, on parle de guerre propre. Ce n'est pas vrai. La guerre urbaine est une guerre dans laquelle les civils sont durement touchés. D'autant plus ici, qu'ils sont prisonniers des combattants de Daesh. Dans toutes les guerres qu'ont menées les Américains, les civils ont été sévèrement touchés. Il y a un rapport qui est sorti aux Etats-Unis le 15 décembre et qui fait le point sur les civils tués entre 2001 et 2011 par les Américains en Afghanistan, au Pakistan et en Irak. Il estime qu'il y en a eu de 1,2 à 2 millions. Il ne faut pas croire qu'il y a d'un côté des guerres sales et barbares menés par les Russes, et de l'autre des guerres propres menées par les Occidentaux. Quand on fait la guerre dans une zone urbaine avec une forte présence civile, immanquablement, les civils trinquent.
Dans tous les combats urbains, il y a des pertes civiles supérieures aux pertes militaires.
RT France : Dans une ville où les civils et les combattants de Daesh sont extrêmement mélangés, le soutien de la coalition internationale par voie aérienne n'est-il pas incompatible avec la protection des civils ?
J.-B. P. : Il faut bien comprendre, pour qu'il n'y ait pas de confusion : il n'y a pas de bombardements aériens sur Mossoul, les frappes aériennes ou les coups de canon sont donnés sur des cibles militaires précises et totalement identifiées. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu'avec les combattants, cachés dans les sous-sols ou juste à côté, il n'y a pas de civils qui malheureusement seront touchés. On ne peut jamais dire dans un combat urbain qu'on ne traite que des objectifs militaires. C'est de la rigolade. De Stalingrad à Beyrouth, dans tous les combats urbains quand les civils n'ont pas été correctement évacués ou s'ils ont été gardés prisonniers comme c'est le cas à Mossoul, il y a des pertes civiles supérieures aux pertes militaires.
Ce n'est pas parce qu'on aura repoussé l'Etat islamique militairement à Raqqa que le problème du wahhabisme s'arrêtera
RT France : Croyez-vous, comme plusieurs experts et responsables de pays voisins de l'Irak, qu'après la reprise de Mossoul, la dispersion des combattants et de leur idéologie deviennent un problème sécuritaire majeur ?
J.-B. P. : Il est évident que les gens qui combattent pour Daesh sont des convertis au wahhabisme. Ce ne sont pas des radicalisés que l'on peut déradicaliser, ce sont des convertis. Comme au temps des premiers chrétiens qui mourraient sur la croix pour ne pas renier leur foi, les wahhabites font pareil. Ils sont persuadés que leur mort les emmènera au paradis près d'Allah. C'est ce qui explique leur résistance farouche. Quand on a quelques kamikazes, on peut dire que ce sont des gens qui ont été manipulés mais quand, comme c'est le cas aujourd'hui, des personnes se font sauter tous les jours on est dans une autre dimension. Il est évident que cela posera problème après l'offensive. Ce n'est pas parce qu'on aura repoussé l'Etat islamique militairement à Raqqa que le problème du wahhabisme s'arrêtera. On a laissé faire pendant trop longtemps cette prédication en France ou ailleurs. La Russie connaît ce problème au Daghestan ou en Tchétchénie. Ce sont des gens qui se sont infiltrés car on a laissé prêcher des imams wahhabites radicaux. On a laissé les Frères musulmans s'installer alors que, même si leurs méthodes peuvent paraître plus «douces», ils poursuivent le même but. Tout cela ne se réglera pas avec la reprise de Mossoul.
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