La violence de l'arrestation de Théo provoque indignation et révolte. Face à cette situation extrêmement tendue, le sociologue Sébastian Roché revient sur le besoin de mener un «grand chantier national» de la police.
RT France : Après trois jours de mobilisation et de nuits de violences dans les rues d'Aulnay-sous-Bois, la famille de Théo a appelé à un retour au calme. En parallèle, le gouvernement a annoncé vouloir agir avec «fermeté» contre les policiers incriminés. Cela peut-il suffire à apaiser la situation à Aulnay selon vous ?
Sébastian Roché (S. R.) : Le fait que le gouvernement dise qu’il faut enquêter sur ces violences et le fasse savoir clairement est une bonne chose. Dans le passé, notamment après la mort des deux adolescents Zyed et Bouna qui a déclenché les plus grandes émeutes d’Europe en 2005 à Clichy-sous-Bois, les responsables politiques avaient commencé par dire que les policiers étaient hors de cause. Adopter une démarche plus prudente et respectueuse de l’enquête judiciaire est la bonne attitude pour ne pas déclencher une crise plus grave. La défiance est un terreau favorable à l’émeute, mieux vaut prévenir. Mais, cela ne suffira pas car les relations police-population sont mauvaises en France, et encore plus dans les quartiers pauvres où les populations minoritaires sont très présentes. Les contrôles d’identité à répétition sont mal vécus. Ils sont plus souvent agressifs et même violents. C’est trois fois plus souvent le cas pour les jeunes d’origine nord-africaine que pour les jeunes d’origine française (on peut à cet égard consulter le projet «Polis» mené par le CNRS et le Max Plank, Freiburg). C’est une différence considérable.
Il faut revoir la formation des policiers en France, mais pas simplement des agents. Cela doit être fait également pour les cadres
RT France : Les policiers en cause font partie d’une brigade spécialisée de terrain (BST). A la lumière de la gravité des faits, faut-il revoir la formation éthique des policiers ? Peut-être même du fonctionnement des polices de proximité ?
S. R. : En France, la question de la «police de proximité» a été transformée en une querelle politique entre la gauche et la droite. Cette dernière s’y est opposée par dogmatisme, et pour dénoncer le supposé «laxisme» de la gauche. Ailleurs en Europe, on sait très bien que la «police de voisinage» n’est pas molle. Néanmoins, elle se soucie de la légitimité de la police, de rechercher l’adhésion de la population, ce qui est perçu comme une vertu. C’est dommage pour la France, qui se prive d’un outil indispensable. Les BST sont censées mieux connaître le quartier que les autres unités de voie publique. Mais, cette intervention prouve que ce n’est pas le cas. Cette distance entre police et population se traduit par un antagonisme rampant, et des explosions ponctuelles de violences et d'émeutes. Bien sûr, il faut revoir la formation des policiers en France, mais pas simplement des agents. Cela doit être fait également pour les cadres. C’est à eux de s’assurer que le service fonctionne bien et respecte le droit des citoyens. Il faut donc placer le service à la disposition de la population et l’égalité de traitement au cœur de la formation des agents.
Pour renverser cette situation, il faudrait que le ministre de l’Intérieur en fasse un grand chantier national
RT France : La défiance entre la police et les citoyens risque-t-elle de se renforcer ? Quelles mesures ou politiques pourraient être mises en place pour rétablir la confiance et la sécurité aussi bien pour les populations que pour les forces de l'ordre ?
S. R. : La police française souffre d’une faible légitimité dans l'opinion et délivre des services jugés d’une faible qualité (par exemple pour l’accueil des victimes), comparativement aux autres police européennes. Dans les études comparatives (European Social Survey, 2010), la France se situe dans le tiers inférieur des pays de l’Union européenne. Elle se trouve au niveau de la Grèce ou du Portugal, de pays dont l’expérience démocratique est bien plus récente et la richesse nationale bien plus limitée. Pour renverser cette situation, il faudrait que le ministre de l’Intérieur en fasse un grand chantier national, qu’il décide de la production d’une doctrine sur les relations police-population et sur la lutte contre la discrimination (qui n’existe pas en France). Au cœur de cette doctrine, on doit trouver la recherche de la confiance. Ce nouveau cadre débouchera sur un meilleur encadrement des contrôles d'identité au niveau local, et une formation des agents remise à jour. Une petite réforme de la formation réalisée isolément n’aura pas d’effet bénéfique.
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