Les actuels pourparlers de paix en Syrie sont un évènement sans précédent pour l’historien John Laugland qui dévoile les glissements tectoniques affectant la géopolitique et révélés par cette rencontre.
Le premier, c'est qu'elles ont lieu avec la participation de l'Iran, et, bien sûr, sous l'égide de la Russie. C'est un symbole fort du retour de l'Iran sur la scène internationale après de longues années d'exclusion. Avec ses propres troupes et celles de son allié, le Hezbollah, l'Iran est devenu incontournable en Syrie. Sa présence à la table et parmi les grandes puissances régionales signifie une petite victoire dans la lutte qui oppose le berceau du chiisme à ses ennemis sunnites dans la péninsule arabe.
Le deuxième, c'est que ces négociations interviennent après deux événements majeurs qui ont changé le donne: la victoire des forces syriennes à Alep, et le revirement de la Turquie sur la question syrienne. Ankara a tout simplement jeté l'éponge. A Astana, le vice premier ministre turc, Mehmet Simsek, a déclaré, «Il faut être pragmatique. Les faits sur le terrain ont changé. La Turquie ne peut plus insister sur un accord sans Assad. Ce n'est pas réaliste.» Dans ses quelques lignes laconiques, tout est dit.
La raison principale pour laquelle on peut espérer que les négociations réussissent, c'est le changement d'administration à Washington
Le troisième élément frappant, c'est l'absence, au moins comme participants actifs, non seulement des Etats-Unis, de l'Union européenne, et des pays du Golfe - pays qui avaient tous soutenu, militairement, politiquement et financièrement, l'opposition armée, et qui portent une responsabilité lourde dans le déclenchement de la guerre civile comme dans sa longue durée - mais aussi des Kurdes, les alliés principaux des Américains sur le terrain. C'était le prix à payer pour la participation de la Turquie. Ces absences multiples s'expliquent, tout simplement, par la déroute militaire des forces soutenues par l'Occident. Certes, les Kurdes n'ont pas été battus, mais leur parrain américain, si.
Les négociations sont-elles pour autant vouées à l'échec ? Certes, les risques sont multiples. Un certain nombre de milices islamistes sont exclues d'office, l'Etat islamique et le Front Al-Nosra en premier lieu mais aussi Ahrar al-Cham, un groupe rebelle salafiste, ainsi que d'autres. Mais le but politique de ces pourparlers est de créer un centre de gravité incluant une partie de l'opposition armée pour mieux exclure les autres. Peut-être les différences entre ces groupes, qui se battent entre eux maintenant à Idlib, règlera la question. Peut-être leurs parrains du Golfe, frustrés, les lâcheront-ils. Dans ces hypothèses, les négociations auront une chance de réussir.
Mais la raison principale pour laquelle on peut espérer qu'elles réussissent, c'est le changement d'administration à Washington. Dans son discours d'investiture du 20 janvier, le président Trump a seulement dit quelques mots sur la politique étrangère de son administration.
«Nous chercherons à garder l’amitié et les bonnes grâces des autres pays du monde, mais ils doivent comprendre que chaque pays a le droit de faire passer ses intérêts avant ceux des autres.
Nous ne cherchons pas à imposer notre mode de vie à quiconque, mais nous voulons qu’il serve d’exemple aux autres.
Nous voulons être un exemple d’excellence.
Nous allons renforcer nos anciennes alliances et en conclure d’autres afin d’unir le monde pour éradiquer le terrorisme de l’islam radical de la face de la Terre».
Selon le réalisme en relations internationales prôné par Trump, la diplomatie dépend des rapports de force dans le monde
Cette déclaration est révolutionnaire. Tout d'abord, le laconisme de Trump est en contraste flagrant avec tous les discours d'inauguration de ses prédécesseurs depuis vingt-cinq ans - Clinton, Bush et Obama - qui dissertaient tous longuement sur la politique étrangèreet sur le rôle des Etats-Unis dans le monde. Ces présidents ont récolté ce qu'ils ont semé, leurs présidences ayant souvent été dévorées par la politique étrangère. Par contre, on a l'impression que Trump s'intéresse peu à la politique étrangère, et qu'il préférerait, dans un monde idéal, ne pas en avoir.
Mais surtout, sa courte déclaration est l'annonce d'une rupture radicale avec le messianisme qui a façonné la politique étrangère américaine depuis au moins la première élection de Bill Clinton en 1993, et avec les résultats que l'on connaît. Trump s'est contenté d'énoncer un seul but en politique étrangère, en contradiction avec les buts infinis de la démocratisation universelle prônés par les autres. Son seul but concret, c'est celui d'éradiquer «le terrorisme de islam radical».
Certes, ce n'est pas rien. Mais le nouveau président américain, qui a répété à maintes reprises pendant la campagne qu'il voyait d'un bon oeil une alliance conjoncturelle avec la Russie contre l'islam radical, ne peut pas ne pas soutenir ces négociations, au moins tacitement. Elles interviennent, donc, à un moment très propice de l'histoire.
Selon le réalisme en relations internationales prôné par Trump, la diplomatie dépend des rapports de force dans le monde. La présence des principaux acteurs régionaux autour de la table, sous l'égide de la superpuissance qu'est la Russie, est presqu'un cas d'école de pratique réaliste. Ces discussions rappellent celles de Minsk qui ont mis fin en 2015, au moins sur le papier, à la guerre civile en Ukraine, dans la mesure où celles-ci se résument à la convocation du petit trublion par les grands qui cherchent à lui imposer leur ordre.
Surtout retenez ceci : à la différence des négociations sous patronage américain qui ont échoué de façon répétée à Genève en 2012, 2014 et 2016, le parrain de ces négociations d'Astana, contrairement aux Etats-Unis qui étaient absents sur le terrain en Syrie et qui n'y menaient la guerre que par interposition de milices à leur solde, est prêt à mettre dans la balance son propre pouvoir, ses propres armées et ses propres hommes pour garantir une éventuelle paix. Si vis pacem, para bellum.
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