L'accès à internet et aux technologies ne sont pas vraiment synonymes de libertés, estime l'analyste politique Catherine Shakdam en décryptant les dangers de la censure sur les réseaux sociaux.
Si George Orwell nous regarde de là-haut, il doit être impressionné. Il paraît que ce qu'il a écrit dans son roman 1984, son avertissement face au contrôle du gouvernement et à l'obscurantisme intellectuel, serait en train de devenir réalité à notre insu.
Où nos médias nous ont-ils conduits ?
Notre besoin d’être «connecté» nous a rendus largement dépendants des technologies de l’information
A mesure que notre monde est devenu de plus en plus dépendant des médias, nous nous sommes exposés à la morsure de la censure, au contrôle et à la déesse en constante évolution qui répond au nom de «social trends» (tendances sociales).
Autrement dit, notre besoin d’être «connecté» nous a rendus largement dépendant des technologies de l’information.
Notre complexe des médias modernes
Les médias sociaux, la presse écrite et les chaînes de télévision sont plus que jamais impliqués dans un cycle politique, au service non des gens, mais de leurs propriétaires, et par extension des intérêts que chacun d’entre eux représente.
Aussi honnête que nous puissions considérer notre industrie des médias, on ne peut nier que sa nature capitaliste implique un degré de manipulation – ou pour être plus diplomatique, de «cadrage».
Avec les réseaux sociaux, cette réalité est encore plus prononcée. Je ne dis pas que tous ces réseaux sont intrinsèquement mauvais, mais seulement que les pouvoirs qu’ils possèdent pourraient être mal utilisés ou que quelqu'un pourrait en abuser.
Qu'a dit Malcom X à ce propos ? «Les médias sont l’entité la plus puissante sur terre. Ils ont le pouvoir de rendre les innocents coupables et les coupables innocents. C’est ça le pouvoir. Ils contrôlent les opinions des masses.»
Les réseaux sociaux sont des entités privées, non gouvernementales, et à ce titre, ils suivent des règles tout à fait différentes du gouvernement
OK, nous vivons à l’ère de la propagande ? Qu'y a-t-il encore de nouveau ? Ce n'est pas du problème de la propagande que je veux parler. A la place, je voudrais considérer les relations que nous entretenons avec les réseaux sociaux et les entreprises qui les possèdent et les contrôlent.
Nous vivons avec l'idée que les réseaux sociaux doivent s’incliner devant notre liberté d’expression et notre droit à donner notre avis, qu'ils doivent les respecter. Cependant, les réseaux sociaux sont des entités privées, non gouvernementales, et à ce titre, ils suivent des règles tout à fait différentes. Leur nature d’entreprise signifie qu’ils ont droit à leurs propres règles et règlements.
Prenez, par exemple, Facebook. Ce n'est aucunement un secret que cette locomotive des réseaux sociaux a été plusieurs fois accusée de manipulation, d’espionnage et de censure.
En mai 2016, Alex Hern écrivait pour The Guardian : «Facebook censure internet tous les jours, déforme votre vision du monde autour de vous pour tirer des profits corporatifs pour son entreprise, et change radicalement le paysage médiatique d’une manière potentiellement apocalyptique.»
Electronic Intifada a indiqué ce mois-ci que de célèbres éditeurs palestiniens avaient vu leurs comptes Facebook bloqués dans le cadre d'un «marché» entre Tel Aviv et Mark Zuckerberg pour la lutte contre le terrorisme. Le rapport dit : «Les éditeurs des deux services en ligne palestiniens les plus lus ont vu leurs comptes Facebook désactivés. Les administrateurs des pages Facebook de Qods, qui a plus de cinq millions de «J'aime»et de Shehab News Agency en ayant plus de six, ont constaté ne plus avoir accès à leurs comptes.»
L'éminent journaliste d’investigation Glenn Greenwald a réagi de la manière suivante : «Beaucoup de ceux qui prétendent croire en la liberté d’expression ne s’en soucient pas, parce que ce sont les Palestiniens, mais il s’agit d’une énorme menace.»
Alors que Facebook s'est finalement excusé, en expliquant le blocage par une sorte de bug, beaucoup d'«utilisateurs» ont vu dans cette action une tentative d'apaiser l'opinion publique et peut-être les actionnaires.
Presque toutes les plateformes de réseaux sociaux ont été accusées d’actes répréhensibles
«Les pages ont été supprimées par erreur et restaurées dès que nous avons pu comprendre ce qui s'était passé», a expliqué à Electronic Intifada le porte-parole de Facebook.
Facebook n’est pas seul dans cette bataille menée pour la liberté d’expression.
Presque toutes les plateformes de réseaux sociaux ont été accusées d’actes répréhensibles : censure, profilage social, espionnage, monétisation d'informations - vous les connaissez tous.
Twitter a également traversé des périodes turbulentes lorsque son ancien PDG a admis avoir filtré les outrages envers le président des Etats-Unis Barack Obama. Si la «protection» peut paraître innocente, ses implications sont inquiétantes.
Où les réseaux sociaux ont-ils encore joué ? Qu'ont-ils encore fait avec nos données et notre besoin d’interagir avec le cyberespace ? Souvenez-vous de l'affaire du partage des données Facebook avec WhatsApp? Eh bien, ce mois-ci, l'Allemagne a riposté en statuant que la confidentialité n’était pas - encore - une autre marchandise à vendre.
Et puis, il y a bien sûr une vendetta personnelle ! Le 9 septembre, comme RT l'a remarqué : «Facebook a supprimé le post écrit par le Premier ministre norvégien Erna Solberg qui critiquait le réseau social pour avoir censuré la photo emblématique de la guerre du Vietnam "Napalm Girl"».
Depuis quelques mois énormément de personnes ont eu le déplaisir d’être giflé par les «politiques» de Facebook. Je suis l'une de ces personnes. Mon crime ? Ne pas être moi ! Aussi ridicule que cela puisse être, j'ai dû prouver que j'étais bien moi, et on m'a autorisé à reprendre mes activités sur mon compte.
Si la répression pure et simple n'attise pas vos sentiments, que diriez-vous du bon vieux espionnage et profilage socio-politique ?
Le blocage n'a duré que quelques heures - des heures très frustrantes, je peux le dire. D’autres ont cependant été moins chanceux. Cet été seulement, Marwa Osman, commentateur pour RT, une de mes plus proches amies, a été privée de son compte pour avoir osé exprimer ses opinions politiques.
Si la répression pure et simple n'attise pas vos sentiments, alors que diriez-vous du bon vieux espionnage et profilage socio-politique ?
En août 2015, Politico a publié au sujet de Google, notre aimbable géant des réseaux sociaux : «Selon les recherches que j'ai dirigées ces dernières années, Google Inc. a amassé beaucoup plus de pouvoir pour contrôler les élections — en effet, pour contrôler un large éventail d’opinions et de croyances, que n'importe quelle entreprise dans l'histoire.»
Voyez donc : les technologies et l'accès à ces dernières ne sont pas synonymes de libertés.
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