Universitaire spécialiste de l'Afrique, Bernard Lugan est l'auteur de nombreux livres. Il anime un blog consacré à l'actualité et à la géopolitique de l'Afrique. Il dirige la revue par internet L'Afrique réelle www.bernard-lugan.com

Le wahhabisme à la conquête de l’Afrique de l’Ouest 

Le wahhabisme à la conquête de l’Afrique de l’Ouest  Source: Reuters
Des combattants du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO), un groupe terroriste lié à Al Qaïda, dans le Nord du Mali, le 7 août 2012.
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Le terrorisme wahhabite conquiert les pays africains. Des pratiques jusque-là inconnues sont activement propagées par les islamistes. Bernard Lugan, spécialiste de l'Afrique, analyse l'ampleur de cette tendance menaçante.

Dans toute l’Afrique de l’Ouest se livre actuellement une véritable guerre entre un islam enraciné dans des traditions locales et un islam à vocation universaliste et révolutionnaire, importé d’Arabie saoudite. Ce dernier aurait, selon les estimations, réussi à convertir entre 20% et 40% des musulmans ouest africains. Est-ce alors la fin de l’exception religieuse négro-africaine ?

 

L’islam n’a désormais plus de frontières en Afrique 

Le terrorisme islamique actuellement actif au Mali, au Niger, au Tchad, au Burkina Faso au Nigeria, au Cameroun, mais également plus au sud, dans la bande sahélo-guinéenne et en Côte d’Ivoire, est une nouveauté présentant cinq grandes caractéristiques :

1. Ce terrorisme s’ancre sur d’anciennes réalités ethno-régionales et sur les réseaux du commerce transsaharien.

2. Il se meut dans des sociétés africaines de plus en plus wahhabisées.

3. Depuis 2012, il est régulièrement réensemencé à partir de la Libye.

4. Ses acteurs changent régulièrement d’appellations et d’affiliations, comme l’ont montré récemment les revendications faites à la suite des attentats de Bamako, de Ouagadougou et de Bassam.

5. Ce djihadisme sert aux descendants des opprimés d’hier à se venger des héritiers de ceux qui islamisèrent leurs ancêtres et les réduisirent en esclavage. Il s’agit donc d’un phénomène clairement révolutionnaire dirigé à la fois contre l’islam traditionnel, contre la chefferie et contre les ethnies musulmanes historiquement dominantes.

Les partisans d’un islam importé d’Arabie saoudite tentent de prendre le contrôle des populations musulmanes africaines

En arrière-plan, il importe de ne pas perdre de vue que, longtemps cantonné au Sahel, l’islam n’a désormais plus de frontière en Afrique. En raison des migrations intérieures et des conversions, les musulmans sont en effet devenus majoritaires dans nombre de régions du sud, phénomène particulièrement remarquable en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Nigeria.

Le phénomène que nous observons est celui d’une tentative de prise de contrôle des populations musulmanes africaines par les partisans d’un islam importé d’Arabie saoudite. Pour ces derniers, l’islam traditionnel ouest africain doit en effet être «purifié» car il est hérétique et cela pour deux grandes raisons :

1. En Afrique de l’Ouest, au sein d’un sunnisme quasi exclusif, domine le malékisme, école de droit musulman qui, en plus de la sunna et des hadiths, utilise également dans sa jurisprudence la coutume des anciens habitants de Médine. Transposée en Afrique, cette école a donc tout naturellement pris en compte la coutume locale préislamique, ce qui explique l’existence de cet islam festif, thérapeutique et même thaumaturgique que dénoncent les wahhabites.

2. L’islam traditionnel ouest africain est également largement influencé par le soufisme qui y a pris la forme confrérique. Ainsi, la Tijaniyya, majoritaire au Sénégal et fortement implantée au Cameroun, où elle ancre la domination des Peul et des Haoussa.

Pour les wahhabites, tout ce qui n’est pas prescrit dans le Coran doit ainsi être combattu

Son fondateur, Ahmed al Tijani prétendait descendre d’Hassan le petit-fils du Prophète Mohammed. En 1881, le Prophète en personne lui serait apparu pour lui annoncer qu’il avait été choisi pour être, auprès de lui, l’intercesseur des croyants ayant suivi la voie qu’il lui révéla. Dernier porteur de la parole divine, Ahmed al Tijani est donc désigné par ses adeptes sous le nom de «sceau des saints» (khatm al-awliyâ), celui avec lequel s’achève la transmission du message divin. A Fès, autour de son tombeau, les pèlerins se tournent vers La Mecque pour s’adresser à Allah en demandant à Ahmed al Tijani et au Prophète d’intercéder en leur faveur.

Pour les wahhabites, associer le nom d’Allah et du Prophète à celui qu’ils considèrent comme un «charlatan», est à la fois blasphème et polythéisme car, Allah, dieu unique, méritant seul prière et invocation, il est interdit de demander à d’autres ce qui ne relève que de Lui.

La purification de cet islam considéré comme déviant et hérétique par les wahhabites est donc une nécessité passant par le retour au seul Coran et par le refus de toute tradition humaine, par définition polluante du message divin. Pour les wahhabites, tout ce qui n’est pas prescrit dans le Coran doit ainsi être combattu. Les confréries sont quant à elles durement attaquées. Leurs maîtres sont qualifiés de sorciers avec leur culte de possession, l’utilisation des tambours, de la danse, la croyance aux amulettes et aux esprits. Le refus des barbes longues, la «factorisation» des prières à la mosquée, le rituel de la mort qui prévoit des funérailles trois jours après le décès, et non dans les heures qui le suivent.

L’islam d’inspiration wahhabite donne aux terroristes djihadistes la justification théologique de leurs actes. Il leur sert également de terreau de recrutement en permettant à certaines franges de la population ouest africaine de dépasser leurs déceptions, leurs désillusions et leurs frustrations.

Les normes visibles du wahhabisme s’affirmèrent au grand jour : burqa, séparation des sexes, toutes pratiques jusque-là inconnues au sud du Sahara

La progression de cet islam fondamentaliste se fit en trois temps :

1. Elle fut d’abord silencieuse. Agissant dans une semi clandestinité, les missionnaires wahhabites commencèrent par recruter des noyaux de fidèles au sein des communautés de l’ouest africain.

2. Dans un second temps, disposant de relais, ils utilisèrent leurs pétrodollars pour acheter des complicités dans l’administration, ce qui leur permit de construire mosquées, écoles, centres de santé, hôpitaux et ateliers, qui devinrent les vitrines de l’islam «authentique».

3. Durant la troisième phase, les normes visibles du wahhabisme s’affirmèrent au grand jour : burqa,  séparation des sexes, nouveaux rites mortuaires, prière de nuit (tahajjud) et la plus visible par les musulmans, la prière les bras croisés,toutes pratiques jusque-là inconnues au sud du Sahara. Ayant désormais pignon sur rue, les imams saoudiens, qataris et pakistanais expliquèrent aux populations africaines que leur retard était dû à ce que leurs dirigeants ont voulu imiter l’Occident. Le chemin du progrès et de la libération passe donc par le renversement de ces derniers, par le rejet des valeurs impies et par l’adhésion à l’islam authentique.

Le wahhabisme accepte l’existence de dirigeants locaux s’ils respectent et font respecter la charia

Enfin, nous devons bien voir qu’il n’y a pas de différence religieuse entre wahhabisme et salafisme, la seule divergence étant d’ordre politique. Alors que le salafisme prône le califat universel, le wahhabisme, car il est la religion de l’Etat saoudien, accepte l’existence de dirigeants locaux s’ils respectent et font respecter la charia. Le salafisme est donc la version non saoudienne, une forme exportée du wahhabisme. 

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Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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