Bien que totalisant 25% du PIB de tout le continent, l’Afrique du Sud est en crise, classée parmi les 5 pays les moins performants du continent, devançant à peine des pays en faillite, analyse le spécialiste de l’Afrique Bernard Lugan.
En Afrique du Sud, l’année 2015 a été marquée par des violences «xénophobes», des mouvements sociaux incessants, une insécurité galopante (plus de 12 000 meurtres) et une situation politique empoisonnée par le discrédit qui entoure désormais la personne du président Jacob Zuma dont le terme du mandat est prévu en 2019.
Le tableau économique et social de l’Afrique du Sud est sombre :
- Le chômage touche plus de 40% des actifs quand les chiffres officiels sont de 25% ;
- Le revenu de la tranche la plus démunie de la population noire est inférieur de près de 50% à celui qu’il était sous le régime blanc d’avant 1994. Un habitant sur trois, soit 18 millions de Noirs sur une population de 53 millions d’habitants, survit grâce aux aides sociales, le Social Grant.
- La croissance recule. De 4,8% entre 2004 et 2008, elle n’était plus de 1,4% en 2014 et de 1,3% en 2015. Or, en 2000, il avait été acté par 189 Etats signataires que les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) dont le principal était le recul de la pauvreté, ne pourraient être atteints sans un minimum de croissance annuelle de 7% durant plusieurs années.
- Les investissements étrangers stagnent en raison de la montée des tensions sociales et des magouilles liées au Black Economic Empowerment qui n’a servi qu’à enrichir les cadres de l’ANC.
- Le Rand, la monnaie nationale, a perdu plus de 25% par rapport au dollar depuis le mois de janvier 2015.
- L’industrie minière est pénalisée par les coupures de courant à répétition, la compagnie publique Eskom ayant vécu sur l’héritage laissé par le régime blanc et n’ayant pas procédé aux investissements indispensables.
- Toutes les branches du secteur industriel sont en crise, à commencer par les industries de main d’œuvre (textile, vêtement, chaussures), qui n’ont pu résister aux importations chinoises. Quant aux secteurs de la mécanique dans lesquels, avant 1994, l’Afrique du Sud produisait la majeure partie des pièces dont ses industries avaient besoin, ils sont aujourd’hui frappés de plein fouet car ils ne sont plus compétitifs en économie ouverte.
- Les mines qui représentent 10% du PIB sud africain, qui emploient 8% de la population active et qui sont le premier employeur du pays avec 500 000 emplois directs, ont perdu près de 300 0000 emplois au cours des dix dernières années.
Les pertes de production et de revenus qui se conjuguent avec des coûts d’exploitation en hausse constants ont pour conséquence la fermeture des puits secondaires et la mise à pied de milliers de mineurs. Or, dans les zones d’extraction, toute l’économie dépend des mines. Parallèlement à cette baisse structurelle, l’effondrement des cours des minerais achève de plomber ce secteur économique vital pour l’Afrique du Sud.
Pour relancer la production, il est donc urgent d'investir des sommes colossales, mais le climat social décourage les investisseurs au point que la question se pose désormais d’un glissement d’activité vers les pays émergents dans lesquels le monde syndical est inexistant. Le chômage va donc encore augmenter.
- L’agriculture a elle aussi perdu plusieurs centaines de milliers d’emplois car les interventions et les contraintes de l’Etat-ANC au sujet de la main d'œuvre ont eu pour résultat d'inciter les fermiers blancs à mécaniser, ce qui a amplifié le mouvement de migration des zones rurales vers les villes, essentiellement vers les régions de Johannesburg et du Cap.
Bien que totalisant ¼ du PIB de tout le continent, l’Afrique du Sud est donc en crise. L'état des lieux de son économie a été dressé dans le Rapport Economique sur l’Afrique pour l’année 2013, rédigé par la Commission économique de l’Afrique (ONU) et l’Union africaine. Pour la période 2008-2012, l’Afrique du Sud a ainsi été classée parmi les cinq pays «les moins performants» du continent, devançant à peine les Comores, Madagascar, le Soudan et le Swaziland, quatre pays en faillite...
Le climat social est donc lourd car, au lieu de se combler, comme l’ANC le promettait en 1994, les inégalités se sont au contraire davantage creusées. En deux décennies, l'ANC a dilapidé le colossal héritage laissé par le régime blanc et a transformé le pays en un Etat du «tiers-monde» dérivant dans un océan de pénuries, de corruption, de misère sociale et de violences, réalité encore en partie masquée par quelques secteurs ultraperformants, mais de plus en plus réduits et encore dirigés par des Blancs. Pour tenter de se justifier, le parti gouvernemental, l'ANC, se défausse sur l’héritage du «régime d'apartheid» ; or, plus personne ne croit à cette fable, en dehors naturellement des journalistes français.
A tout cela s’ajoute maintenant une crise de régime avec la contestation de la personne même du président Zuma qui, jusque-là avait réussi à surmonter les scandales de ses frasques extraconjugales et de ses abus de biens sociaux. Or, le voilà qui a fini l’année 2015 acculé par l’opinion publique. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase fut d’avoir écarté Nhlanhla Nene, le ministre des Finances qui s’était opposé aux tripatouillages de l’une de ses intimes, madame Dudu Myeni, présidente du conseil d’administration de la compagnie d’aviation nationale, la South African Airways, impliquée dans une sombre affaire de pots de vin au sujet de l’achat de nouveaux appareils.
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Contesté sur sa droite par l’opposition de l’Alliance démocratique, sur sa gauche par Julius Malema qui dit avec justesse qu' : «En Afrique du Sud, la situation est pire que sous l’apartheid. La seule chose qui a changé, c’est qu’un gouvernement blanc a été remplacé par un gouvernement de Noirs», et par le puissant syndicat des métallurgistes, le Numsa, voilà qu’il est désormais attaqué au sein même de l’ANC. Au mois d’octobre 2015, face à de puissantes manifestations d’étudiants protestant contre l’augmentation des frais d’inscription il fut contraint de reculer et de retirer la mesure. Dans ce climat délétère, l’opposition veut enclencher une procédure de destitution qui n’a aucune chance d’être adoptée.
Les élections locales de 2016 verront un recul de l’ANC, mais pas un effondrement et la véritable échéance sera 2017, avec la prochaine conférence de l’ANC où les comptes se régleront «en famille». Le véritable rapport de forces y apparaîtra alors puisque c’est à cette occasion que sera désigné le futur candidat du parti aux élections présidentielles de 2019, donc le futur président. En attendant, Jacob Zuma bétonne sa position en s’appuyant sur les Zoulous, son ethnie.
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