Par Philippe Migault Tous les articles de cet auteur
Philippe Migault est directeur du Centre européen d'analyses stratégiques, analyste, enseignant, spécialiste des questions stratégiques.

Porte-avions européen : une usine à gaz estampillée UE

Porte-avions européen : une usine à gaz estampillée UE© JEAN-PAUL PELISSIER Source: Reuters
Le porte-avions Charles de Gaulle (image d'illustration).
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Pour RT France, le spécialiste des questions stratégiques Philippe Migault revient sur l'idée d'un porte-avions européen. «Un projet complètement fou», explique-t-il avec, à la manœuvre, l'Allemagne.

On pourrait nous croire vaccinés. On pourrait croire que les Européens, et les Français notamment, ont depuis longtemps compris que ce n’est pas l’Europe le problème, c’est l’UE. L’Union Européenne, la philosophie qui guide son édification, la méthodologie selon laquelle elle s’est bâtie. Mais non. Angela Merkel vient d’endosser un projet complètement fou proposé par son successeur à la tête de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer : celui d’un porte-avions européen. Ayant échoué dans tous leurs projets de corps d’armée européen, de force de réaction rapide commune, ayant tout juste réussi à mettre sur pied une brigade franco-allemande qui n’est jamais allé au feu, les Européens proposent donc de se lancer dans un programme plus ambitieux encore.

Tous les grands programmes militaires européens des vingt dernières années, Eurofighter, A400M, se sont soldés par des surcoûts, des délais, voire ont failli capoter au nom de la pratique du «juste retour industriel», mais qu’importe ! On va tenter de faire plus compliqué encore !

C’est le syndrome de l’euro. Les nations de l’UE n’ont jamais réussi à coordonner leur politique économique, leur fiscalité, n’ont jamais voulu mettre en place un mécanisme de solidarité permettant de compenser la faiblesse d’un Etat-membre, structurelle ou conjoncturelle. Mais elles ont quand même lancé l’euro. En pariant qu’une fois le plus dur, en apparence, réalisé – une monnaie commune – le reste suivrait. Or le reste, on le connaît. Les nations du sud de l’Europe ont été les grandes perdantes de l’affaire. Celles du nord les grandes bénéficiaires. 

Mais l’administration Macron est tellement européiste, elle s’est déjà montrée tellement prête à diluer les compétences françaises dans des projets européens fumeux, qu’on ne peut exclure, à l’approche des Européennes, que les wishful thinkers de LREM rattrapent au bond la proposition allemande. En foulant aux pieds, une fois encore, le principe de réalité.

Qu’est-ce qu’un porte-avions ? Depuis 40 ans et la qualification des premiers Super-Etendard pour l’emport de bombes AN-52, c’est une composante du dispositif de dissuasion nucléaire français, un atout au service de la sanctuarisation du territoire national et de ses habitants. Ce n’est donc pas seulement un instrument de projection de puissance. C’est l’outil de souveraineté par excellence. Or la souveraineté en matière de défense – en toutes matières théoriquement…– n’est pas plus divisible que le point en géométrie. Comment dès lors concevoir que l’on puisse prendre part à un projet de porte-avions commun ?

Allons-nous décider, au nom de l’Europe, de dissoudre la force aéronavale nucléaire ?

Allons-nous décider qu’il y aura un porte-avions français – le Charles de Gaulle – spécifiquement dévolu à la CNA (composante nucléaire aéroportée), évoluant aux côtés d’un autre navire ne remplissant pas de mission nucléaire ?

Si ce n’est pas le cas, et que nous parions sur la solution européenne pour succéder au Charles de Gaulle, allons-nous décider, au nom de l’Europe, de dissoudre la force aéronavale nucléaire (FANU) ?

Ou bien allons nous prier nos partenaires européens de ne pas pénétrer dans la soute à munitions contenant nos munitions atomiques ?

Faudra-t-il que nous n’embarquions à bord que des marins dont les nations auront renoncé, au préalable, à tout caveat faisant obstacle à l’usage de l’outil atomique par la France ? Voire à tout usage d’avion de combat à double capacité, classique et nucléaire ?

Ou bien espérons-nous que ce navire pourrait être la première pierre d’une capacité européenne de dissuasion nucléaire ?

Et dans ce cas, dans la mesure où la France est, en Europe, la seule nation disposant en propre des savoir-faire et des technologies afférentes au bombardement nucléaire depuis une plateforme navale, allons-nous partager ces technologies de souveraineté sans autre forme de procès ?

Des technologies et des capacités opérationnelles que nous avons développées, sur fonds propres, depuis près de 50 ans, qui nous ont coûté des milliards d’euros alors que les autres nations se contentaient de vivre confortablement sous le parapluie nucléaire américain sans investir une lire ou un deutschemark ?

Ces questions semblent surréalistes aujourd’hui. Mais il faut bien les poser. Car si nous décidons de nous lancer dans une telle usine à gaz elles se poseront. Et il y en a bien d’autres encore.

Un porte-avions, modèle français, ce n’est pas seulement un navire apte à délivrer des frappes atomiques. C’est aussi un navire à propulsion nucléaire, atout majeur en termes d’autonomie de ravitaillement, de liberté de manœuvre.

Faudra-t-il obtenir l’autorisation des Verts au Bundestag et au Bundesrat, ou à Bruxelles, pour continuer à utiliser des turbines nucléaires ?

Ou bien y renoncerons-nous au nom de la concorde européenne et du développement durable au profit du fioul, tellement plus propre ? Sachant que les Allemands ont renoncé au nucléaire pour se chauffer au lignite, énergie propre dont nous bénéficions à Paris à chaque fois que les vents soufflent de l’est, poser la question c’est déjà un peu y répondre. On peut toujours, notez bien, investir quelques centaines de millions d’euros pour mettre au point des turbines fonctionnant avec un fioul «vert», à base de pommes de terre issues du Triangle de Weimar. Ce serait un tel symbole…

Poser la question des compétences des partenaires européens

Et si notre beau porte-avions respectueux de l’environnement, au démantèlement pré-programmé, garanti sans rejets, voit le jour, quels appareils, portera-t-il ? Avec quelles armes ? Nous en avons déjà parlé au sujet de la CNA mais au-delà de cette dernière ? Un SCAF franco-germano-espagnol est-il envisagé ?

Les Espagnols n’ont pour l’heure pas l’argent pour acheter les F-35B américains américains prévus pour leur porte-aéronefs Juan Carlos 1er et n’ont plus d’industrie aéronautique digne de ce nom… Quant à l’Allemagne elle n’a jamais construit un avion de combat seule depuis 1945, encore moins un avion embarqué, son unique expérience aéronavale, le porte-avions Graf Zeppelin, mis en chantier par Hitler, n’ayant jamais été achevé.

Cette question des compétences est centrale. Quelle plus-value peuvent nous apporter des partenaires n’ayant depuis longtemps plus aucune expérience des véritables porte-avions, les Français ayant été les seuls à ne pas céder à la mode des porte-aéronefs à tremplin ? Allons-nous une fois encore lancer des études conjointes alors que nous avons déjà perdu 214 millions d’euros dans un projet franco-britannique qui, lui, aurait pu être crédible, mais n’a jamais vu le jour ?

Et qu’en sera-t-il des règles d’engagement ? Nous l’avons dit : un porte-avions sert à projeter de la puissance, en clair à combattre et tuer loin du territoire national, perspective qui fait tourner de l’œil 95% des Allemands. Comment concevoir qu’ils puissent prendre part à un tel projet, totalement à l’inverse de leur culture politique et stratégique ?

Mais imaginons, imaginons. Imaginons que l’Allemagne, totalement énervée, au sens littéral du mot, retrouve un peu de sa combattivité, renoue un peu avec ce militarisme dont elle a si peur et si honte. Pourquoi s’arrêter à un porte-avions ? Il en faut trois – et non pas deux – pour assurer la permanence à la mer d’un groupe aéronaval. S’il s’agit de doter l’Europe d’une vraie capacité aéronavale autonome, il faut donc, dès à présent, partir sur cette base pour disposer d’un groupe aéronaval réellement opérationnel. Chiche Angela ? En plus ce sera l’occasion de faire des économies d’échelle…

On le voit, tout cela, une fois encore n’est pas sérieux. Il n’y a en Europe que deux nations disposant d’une capacité aéronavale réellement moderne et opérationnelle – ou en cours de le redevenir – la France et le Royaume-Uni. Londres vient d’acquérir deux grands navires qui resteront en service sans doute jusqu’à l’horizon 2060-2070, voire plus. Elle n’a plus de besoin. L’aéronavale française, Emmanuel Macron l’a promis, ne s’arrêtera pas avec le Charles de Gaulle.

Mais envisager de l’adosser à des partenaires incompétents, ou ayant leur mot à dire en matière de commandement, revient à planifier son abaissement.

Lire aussi : La «vraie armée européenne» de Macron, de la poudre de perlimpinpin

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