Réagissant au souhait du président français de voir une armée européenne émerger, le spécialiste en Défense Philippe Migault explique pourquoi il s'agit là d'une idée absurde portée par un chef d'Etat qui ne sait rien des affaires militaires.
Emmanuel Macron devait en finir avec le monde ancien. Il prétendait faire de la politique autrement. Sa présidence jupitérienne était censée le situer au-dessus de la mêlée. Quant à la parole du chef de l’Etat, rompant avec la politique d’occupation permanente du terrain d’un Nicolas Sarkozy ou d’un François Hollande, elle devait redevenir aussi précieuse que rare.
Tout cela est bien fini. En chute libre dans les sondages, conscient de son impopularité, qu’il affecte d’assumer avec l’air résolu d’un Churchill n’ayant rien d’autre à offrir que du sang, de la sueur et des larmes, le président de la République fait feu de tout bois pour reprendre la main vis-à-vis de son opinion publique. Avec les éternelles grosses ficelles du mauvais communiquant politique. Celle du président chef de guerre, qu’il a réendossé hier en prônant la constitution d’«une vraie armée européenne», étant sans doute la plus mauvaise qu’il puisse endosser.
Totalement ignorant du monde des armées, dénué de toute culture stratégique, il n’a aucune appétence pour le sujet
Car Emmanuel Macron est le premier président de la République n’ayant jamais passé une seule minute sous les drapeaux. Né en 1977, trop jeune pour faire son service national, il n’a jamais porté un uniforme autrement que par goût du déguisement. Ou bien pour se refaire un semblant de popularité dans les armées après la démission du général de Villiers. Totalement ignorant du monde des armées, dénué de toute culture stratégique, il n’a aucune appétence pour le sujet, ne s’intéressant à ce dernier qu’à des fins strictement politiciennes. Ses déclarations d’hier en attestent.
Tout simplement aussi parce que l’armée européenne, ils savent à quoi s’en tenir. Les Français au feu. Les autres à l’arrière, avec les infirmières.
Il est facile de rêver d’une «vraie armée européenne». Hollande, Sarkozy, Chirac, Mitterrand… : presque tous les présidents de la Ve République s’en sont faits les défenseurs. Mais cela n’a jamais rien donné, hormis une brigade franco-allemande n’ayant jamais combattu, des forces d’action rapide mort-nées, quelques Etats-majors communs – à composante essentiellement française – dirigeant des opérations de seconde zone et des coalitions fantomatiques… Et les raisons qui ont prévalu à ces échecs demeurent les mêmes : en dehors des Français, qui rêvent d’une Europe puissance, nul dans l’UE aujourd’hui, dans la CEE hier, n’aspire à cet objectif. L’OTAN reste irremplaçable, tant pour les Européens que – ne jouons pas les hypocrites – pour les autorités françaises, aussi bien civiles que militaires.
Parlez avec un aviateur français, un marin français, d’une «vraie armée européenne» : il vous rira au nez. Il vous répondra Alliance Atlantique, procédures de coopération rôdées, habitude partagée de l’action en coalition, process d’entraînements similaires. Il vous rappellera tous les efforts financiers qu’épargne l’OTAN aux Européens. Il vous parlera du F-18 sur le Charles de Gaulle, du Rafale sur les porte-avions américains, du matériel en grande partie américain, C-135, C-130, Reaper… Il soulignera que le principal avion de combat européen dans les années à venir, la récente décision d’achat belge le rappelle, devrait être le F-35 américain.
Un fantassin ou un cavalier vous répondra fréquemment différemment. Pas parce qu’il rêve d’une armée européenne. Pas parce qu’il est particulièrement atlantiste. Tout simplement parce que notre armée de terre, depuis 1945, a conservé l’habitude de conduire ses propres opérations, en Afrique, ou au Moyen-Orient, en fonction de sa propre culture, de ses règles d’engagement spécifiques. Tout simplement aussi parce que l’armée européenne, ils savent à quoi s’en tenir. Les Français au feu. Les autres à l’arrière, avec les infirmières.
Qui veut combattre pour l’UE ? Avec Macron ? Personne.
Emmanuel Macron veut construire une «vraie armée européenne». Soit. Sous quel commandement ? Avec un chef d’Etat-major changeant tous les six mois, comme la présidence de l’UE ? Avec qui ? Les Allemands ? Ils ne veulent plus se battre depuis longtemps. Les Britanniques ? A l’heure du Brexit, il serait pour le moins étrange que Londres choisisse de couper les ponts avec le continent sauf, précisément, dans le domaine où la souveraineté doit s’exercer par excellence, la Défense. Et les autres ? Qui voudra combattre avec nous ? Combattre avec Emmanuel Macron ? L’Italie, que le président français traite en puissance de seconde zone et ses habitants en mauvais élèves de la classe européenne ? Les Espagnols, dont la crise économique a provoqué la quasi-disparition de l’industrie de défense ? Les Grecs ? Un commerce sur deux est fermé dans certains quartiers d’Athènes, dont la population endure, depuis des années, la politique d’austérité à la schlague exigée par l’UE à la demande de l’Allemagne. Combattre pour l’Europe, vraiment ? Pour quelle Europe ? Celle de Macron, qui traite Polonais, Hongrois, Slovaques, Autrichiens, comme des populistes attardés ? Comme des nazis, parce qu’ils ont le malheur d’être catholiques, de vouloir le rester et refusent de voir leur identité chamboulée par l’immigration ? Oui, qui veut combattre pour l’UE ? Avec Macron ? Personne.
Qu’importe si, au sommet de l’Etat, on sait parfaitement que la Russie n’a aucunement l’envie, ni les moyens, de nourrir un projet d’agression contre la France, l’OTAN ou l’UE.
Evidemment le président français, soucieux de retrouver un peu de sa superbe originelle – largement factice – se veut gaullien pour mieux jouer au stratège. Renouant avec le discours de la défense «tous azimuts», y compris vis-à-vis des Etats-Unis d’Amérique, il fait mine, pour la bonne cause – la sienne – d’aller à contre-courant de la politique néoconservatrice du quai d’Orsay et de la DGRIS. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, l’ennemi reste le même. Pas l’islamiste, non. Le Russe.
Lorsqu’Emmanuel Macron évoque ces «puissances autoritaires qui réémergent et se réarment aux confins de l'Europe», il ne cite pas la Turquie, ou l’Algérie, accumulant les armes depuis des années à 800 kilomètres de Marseille tout en nous réclamant, en permanence, des actes de contrition pour notre passé colonial. C’est à «la Russie, qui a démontré qu’elle pouvait de nouveau se montrer menaçante», qu’il pense. La peur du Russe impérialiste, conservateur, maniant le sabre et le goupillon, digne successeur du bolchévique au couteau entre les dents, demeurant encore chez bien des âmes simples, c’est assez habile. Qu’importe si, au sommet de l’Etat, on sait parfaitement que la Russie n’a aucunement l’envie, ni les moyens, de nourrir un projet d’agression contre la France, l’OTAN ou l’UE. Comme sur l’automobile et le diesel, on nage, par pur opportunisme politicien, dans le dogmatisme le plus décorrelé des réalités.
Son discours, sa vision, sa « vraie armée européenne », sont de la poudre de perlimpinpin
Alors qu’il accumule les bourdes sur le centenaire de la victoire de 1918, Emmanuel Macron aurait dû choisir un autre terrain que celui de la politique de défense pour retrouver un semblant de crédibilité. Son discours, sa vision, sa « vraie armée européenne », sont de la poudre de perlimpinpin.
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