Le gouvernement vient de dévoiler le contenu des ordonnances qui visent à réformer le code du travail,. Pour l'économiste Philippe Béchade cette réforme va globalement dans le sens de la précarisation des salariés.
RT France : Le Premier ministre Edouard Philippe et la ministre du Travail Muriel Pénicaud ont rendu publiques, le 31 août les ordonnances portant réforme du Code du travail. Quel sentiment vous laisse leurs propos ?
Philippe Béchade (P. B.) : Le gouvernement a un peu essayé d'équilibrer ses ordonnances en rendant plus généreuses les indemnités de départ. Seulement, il y a un gros hic : les indemnités de licenciement seront plafonnées pour des salariés ayant plus de 20 ans d'ancienneté dans une entreprise. Or, ces indemnités, jusqu'à présent, coûtent cher. Alors que licencier quelqu'un qui a un, deux ou trois ans d'ancienneté – même en augmentant les indemnités de ruptures – cela ne coûte en réalité pas grand chose. On assiste à une précarisation des seniors qui, du point de vue des ressources humaines, coûtent très chers, même si leurs rémunérations sont tout à fait justifiées par leur ancienneté et leurs compétences, et encore plus cher à licencier. Cette réforme est la porte ouverte à une vague de licenciements de ces profils. Les entreprises pourraient réaliser 20% à 25% d'économies avec des plans de licenciements. On voit bien qui est le grand gagnant.
On essaie de faire passer le concept selon lequel cet assouplissement va rendre le marché du travail plus fluide. Je n'y vois que la précarisation des salariés
RT France : Ces ordonnances vous apparaissent-elles comme plus favorables aux entrepreneurs qu'aux salariés ?
P. B. : Evidemment. L'argument selon lequel on indemnise mieux des salariés licenciés avec peu d'ancienneté peut éventuellement rassurer mais, en vérité, cela va jouer sur des sommes dérisoires. Cela donne une apparence, un simulacre de justice sociale mais ça n'en est pas.
L'autre aspect notable est la possibilité pour les entreprises, via la réforme des règles de licenciement, de renvoyer sans motif réel ou du moins désignant un motif à leur convenance.
En outre, la possibilité de négocier les conditions hors accords de branche pour les entreprises de vingt salariés – y compris avec des salariés non syndiqués – veut tout simplement dire que l'entreprise dicte sa loi aux salariés. Ce qui était manifestement un souhait d'une partie des patrons de PME et TPE. Quelle est la contrepartie à tous ces points pour le salarié ? Aucune.
Je ne vois pas bien le caractère équilibré de cette loi. Ce qui est évident c'est qu'on essaie de faire passer le concept selon lequel cet assouplissement va rendre le marché du travail plus fluide. Je n'y vois que la précarisation des salariés.
Si selon le gouvernement, un code du travail protecteur est «un esprit» nuisible au business, la situation est claire.
RT France : La ministre Muriel Pénicaud a déclaré qu'avec ces ordonnances, le gouvernement changeait «l'état d'esprit du code du travail». Comment décririez-vous «l'état d'esprit» que cette réforme propose ?
P. B. : A mon sens, c'est un élément de langage. A moins qu'à travers ce soi-disant état d'esprit, on reprenne l'expression de Bruno Roger-Petit qui disait que le Code du travail était «le petit livre rouge de l'emploi». Si effectivement selon le gouvernement, un code du travail protecteur est «un esprit» nuisible au business, la situation est claire.
Financièrement entre l'augmentation des indemnités de licenciement de ceux qui ont peu d'ancienneté dans une entreprise et la baisse de ceux qui en ont beaucoup, c'est très gagnant pour l'entreprise
RT France : Edouard Philippe a, quant à lui, déclaré qu'il était difficile de se faire un avis sur des points de réforme «aussi techniques». Sont-ils aussi pointus et arides que le gouvernement les présente ?
P. B. : Je n'ai pas lu les deux cents pages. Il faudra regarder dans le détail. Tout n'est certainement pas à jeter. Il semble y avoir une ambition de fluidifier le dialogue dans l'entreprise, avec par exemple la fusion du comité d'entreprise, du CHSCT et de la représentation syndicale. A mon avis, toute simplification est bonne à prendre. Il faudra voir plus en détail, si ces ordonnances vont renforcer le droit à l'information des délégués syndicaux et du personnel.
Pour l'instant, la seule chose qui m’apparaît très clairement dans ces ordonnances c’est que financièrement entre l'augmentation des indemnités de licenciement de ceux qui ont peu d'ancienneté dans une entreprise et la baisse de ceux qui en ont beaucoup, c'est très gagnant pour l'entreprise. Sans aucun doute.
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