Le projet de réforme du code du travail, fruit d'«une intense campagne du patronat» ?

Le projet de réforme du code du travail, fruit d'«une intense campagne du patronat» ?© Michel Euler / POOL Source: AFP
Emmanuel Macron et son conseiller Pierre-André Imbert lors d'une discussion préliminaire avec Pierre Gattaz, président du Medef le 23 mai 2017.
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La réforme du travail sera le premier grand chantier du quinquennat d'Emmanuel Macron. Alors que l'avant projet de loi a été révélé par la presse, l'économiste Henri Sterdyniak en décortique les points-clé et leurs effets potentiels sur l'emploi.

RT France : Dans l'«avant-projet de loi habilitant le gouvernement à prendre, par ordonnances, des mesures pour l'emploi» daté du 12 mai 2017, la première ordonnance souhaiterait élargir le champs des négociations par accords d'entreprise, notamment et en priorité dans le cadre du contrat de travail. Si une telle ordonnance était passée en ces termes, qu'est-ce que cela pourrait entraîner concrètement pour les salariés ?

Henri Sterdyniak (H. S.) : Actuellement pour un grand nombre de dispositifs, l'entreprise doit se plier à des règles nationales. On autoriserait là l'entreprise à modifier ces règles nationales en particulier les règles de licenciement, de contrats à durée indéterminée ou déterminée. Eventuellement – on ne le sait pas à l'heure actuelle – cela pourrait permettre de toucher à la fixation des salaires ou à des règles de santé et de sécurité.

Une entreprise pourrait décider par exemple qu'elle a le droit de faire des contrats à durée déterminée sans limite de temps ou qu'elle a le droit de préciser dans les contrats d'embauche qu'une personne peut être automatiquement licenciée si l'entreprise perd tel ou tel contrat. Une entreprise pourrait éventuellement dans son accord inscrire que les salaires baissent si le chiffre d'affaire diminue. Les entreprises auraient donc beaucoup plus de libertés qu'elles n'en ont actuellement.

Avec cette flexibilité, il y a un risque que les entreprises se concurrencent par le bas, qu'elles fassent pression sur les salaires et les conditions de travail

RT France : Est-ce que ces libertés octroyées au patronat sont de nature à permettre d'augmenter les embauches ?

H. S. : C'est la position du patronat. Il dit aujourd'hui que le salariat en France est trop rigide, qu'il fait peser un poids trop lourd sur les entreprises qui sont contraintes de subir les chocs économiques sans pouvoir licencier ni baisser les salaires. Les entreprises assurent que si on leur donnait plus de liberté, en échange elles embaucheraient plus.

A l'inverse, on peut dire, qu'en principe, une entreprise embauche lorsqu'elle a une demande à satisfaire, quand elle a des travaux à effectuer. Or avec cette flexibilité, il y a un risque que les entreprises se concurrencent par le bas, qu'elles fassent pression sur les salaires et les conditions de travail ce qui dégraderait la situation des travailleurs. Or, des travailleurs avec une situation dégradée entraînent une baisse de la demande. Globalement, l'effet serait négatif. Là est toute la question de l'arbitrage à faire. En ce moment il y a une intense campagne du patronat pour dire : «Atténuez le droit du travail et on va embaucher.» Le gouvernement a promis au patronat de le faire, il le fera.

Le gouvernement a comme contrainte qu'il faut que l'accord soit acceptable pour certains syndicats

RT France : La place des syndicats semble mise à rude épreuve dans ce document de travail. D'un côté un projet d'ordonnance expose l'idée d'une fusion des Institutions représentatives du personnel, de l'autre des concessions importantes comme les «chèques syndicaux» et la prise en compte de la question des administrateurs salariés sont formulées. Les syndicats dans leur forme actuelle sont-ils menacés par ces projets d'ordonnances au profit de représentants sans étiquette ou non rattachés aux organisations classiques ?

H. S. : Il y a de nombreux points à soulever autour de cette question. Tout d'abord, la réforme limite le nombre de représentants du personnel dans les entreprises. Ce qui est bien sûr problématique, car dans le même temps on annonce vouloir améliorer le rôle des accords d'entreprise. Il est difficile de dire à la fois «on veut promouvoir la négociation au sein des entreprises» tout en limitant le nombre de représentants du personnel.

Actuellement les représentants du personnel, les délégués syndicaux doivent être mandatés par des organisations syndicales nationales représentatives. Or l'idée du patronat est de faire apparaître des travailleurs non affiliés à ces postes. Cela comporte le risque de permettre au patronat d'imposer ses vues et de faire ce qu'on appelle des «syndicat maisons», c'est-à-dire des syndicats entièrement contrôlés par le chef d'entreprise.

Néanmoins, le gouvernement a comme contrainte qu'il faut que l'accord soit acceptable pour certains syndicats. Il ne peut se heurter à un front de l'ensemble des syndicats. C'est pour cela qu'il y a tout de même quelques mesures favorables comme l'idée que les syndicats seraient financés par une cotisation des entreprises – le chèque syndical – ou encore celle d'augmenter la part des administrateurs salariés dans certaines entreprises. Le tout est de savoir aujourd'hui si cela suffira pour faire passer la pilule face à l'ensemble des mesures.

Si d'un côté on donne des allocations chômage aux travailleurs non-salariés et aux démissionnaires mais que de l'autre on vide une partie des chômeurs actuellement en leur disant qu'ils ne font pas assez d'efforts pour retrouver un emploi, c'est une politique extrêmement contestable

RT France : La réforme et l'élargissement de l'assurance chômage à tous les actifs dont les salariés démissionnaires – présente dans ce document de travail mais également dans les promesses de campagne d'Emmanuel Macron – devra-t-elle forcément aller de pair avec une baisse des conditions d'indemnisation comme le craint une partie des observateurs ?

H. S. : Je ne sais pas. La réforme actuellement n'est pas cohérente. Il est difficile de dire quoi que ce soit sur ce sujet. Elargir l'accès aux indemnisations du chômage aux salariés démissionnaires ne pose pas un problème très grave puisqu'une partie importante des démissionnaires retrouvent leurs droits un peu plus tard : si vous démissionnez et que vous cherchez un nouvel emploi au bout de trois mois vous retrouvez vos droits à l'assurance-chômage.

L'étendre aux travailleurs non-salariés suppose que ces travailleurs cotisent à l'assurance chômage. Le problème reste que, jusqu'à présent, le gouvernement n'a jamais éclairci ce point. Il parait difficile de dire que les non-salariés seront couverts sans cotiser. S'ils cotisent, il n'y aura que peu de souci. S'ils ne le font pas, cette réforme n'est pas possible. 

Par ailleurs, le gouvernement a dit vouloir réduire les dépenses de l'assurance chômage en contrôlant plus sévèrement la recherche d'emploi des chômeurs. Le problème est qu'aujourd'hui en France il manque 4 millions d'emplois. Les gens peuvent chercher, il y aura toujours ces 4 millions d'emplois manquants. Cela risque d'être un prétexte pour exclure des gens de l'indemnisation. Si d'un côté on donne des allocations chômage aux travailleurs non-salariés et aux démissionnaires mais que de l'autre on prive une partie des chômeurs actuels de leurs indemnisations en leur disant qu'ils ne font pas assez d'efforts pour retrouver un emploi, c'est une politique extrêmement contestable.

Lire aussi : Réforme du code du travail : Edouard Philippe veut «aller vite»

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