Et si le quinquennat d'Emmanuel Macron débutait par une cohabitation ? Le sénateur UDI Yves Pozzo di Borgo revient sur l'enjeu des législatives, l'ambition de la droite et du centre, ainsi que sur les avantages d'un gouvernement de consensus.
RT France : Au premier tour, avec l'UDI vous souteniez François Fillon. Vous avez par la suite appelé à voter en faveur d'Emmanuel Macron afin de faire barrage au Front national. Quel sentiment vous laisse cette campagne et cette élection ?
Yves Pozzo di Borgo (Y. P. d. B.) : Il est vrai qu'Emmanuel Macron n'était pas mon candidat mais il est élu. C’est maintenant mon président et celui de tous les Français. C’est le propre de l’élection. J’espère simplement qu’il saura faire les réformes que la France attend. J’espère aussi – même si dans son programme il n’y avait rien de concret sur l’Europe – qu’il sera un président très européen. Tel que je l’ai connu lorsque j'ai travaillé avec lui au passage de sa loi au Sénat, j’ai pu apprécier ce qu’il valait. C’est quelqu’un de très pragmatique. J’espère qu’il saura prendre des décisions courageuses et pragmatiques pour la France.
Pour la droite et le centre, l'enjeu sera de faire en sorte que ses cinq années ne soient pas les cinq années terribles que nous avons eues avec François Hollande
Il faut savoir maintenant avec qui il gouvernera. C'est la première fois que nous avons eu autant d’abstention et autant de votes blancs à un deuxième tour d'une élection présidentielle. C'est un signe qui montre que les Français ne sont pas si enthousiastes que cela à l’élection d'Emmanuel Macron. Il ne faut pas oublier que seuls 45% des inscrits ont voté pour lui. Ce n’est pas énorme. Pour nous, la droite et le centre, l'enjeu sera de faire en sorte que ses cinq années à venir ne soient pas les cinq années terribles que nous avons eues avec François Hollande. Faire en sorte que cela soit cinq ans constructifs.
On pourrait commencer une nouvelle ère de cohabitation avec un Emmanuel Macron président et un Premier ministre qui pourrait être François Baroin
RT France : Que faut-il attendre des élections législatives ?
Y. P. d. B. : Il est vrai que les élections législatives qui se dérouleront en juin seront cruciales pour mettre en place le nouveau gouvernement. Il y a trois possibilités. Soit Emmanuel Macron gagne et dans ce cas-là pendant cinq ans il dirigera avec sa majorité. Soit Emmanuel Macron ne l'emporte pas et c’est la droite et le centre – les Républicains et les centristes de l’UDI – qui gagnent. Dans ce cas-là, nous entrerons dans un processus de cohabitation que la France a déjà connu trois fois. C’est d'ailleurs un bon système. Les trois cohabitations que le pays a connues ont toujours été des périodes plutôt fastes pour la France. On pourrait commencer une nouvelle ère de cohabitation avec un Emmanuel Macron président et un Premier ministre qui pourrait être François Baroin - qui mène actuellement la campagne législative pour la droite et le centre.
Cette hypothèse où aucune majorité n'est trouvable sera peut-être une chance pour la France et un moyen de recomposer le spectre politique
Il y a enfin une troisième thèse. Compte tenu de l’éclatement de la vie politique constituée pratiquement en quatre grands courants – celui de Marine Le Pen, celui de Macron, le courant de la droite et du centre et celui de gauche, nous allons avoir des législatives où il sera très difficile de dire qui va gagner. Nous pouvons avoir comme nous avons eu déjà en 1958 une Assemblée nationale où il n’y a aucune majorité. Je pense que, s’il n’y a aucune majorité, nous entrerons dans un processus nouveau. Dans ce cas de figure, on peut dire qu’il y aura une recomposition de la vie politique. Nous pourrons alors arriver à trouver un Premier ministre de consensus – je pense que Emmanuel Macron saura le faire – qui regroupera dans son gouvernement des républicains, des centristes, des gens d’En Marche! et des gens de gauche du parti socialiste – pas tous mais une partie.
Je crois que cette troisième hypothèse où aucune majorité n'est trouvable sera peut-être une chance pour la France. Cela sera peut-être un moyen de recomposer le spectre politique. L'enjeu sera surtout de faire ce que François Hollande n'a pas fait, ce que même Nicolas Sarkozy n'a pas fait – il avait juste commencé. C'est-à-dire des réformes de fond, des réformes sur le nombres de fonctionnaires, une réforme fiscale, car la pression fiscale étouffe la France. Il faudra aussi réformer la retraite : on ne peut pas rester avec la retraite à 62 ans. Il faut passer à 65 ans ou peut-être même plus. Ces réformes seront difficiles. Il y aura sans doute des gens comme Jean-Luc Mélenchon qui feront en sorte que la rue manifeste contre ces projets.
Nous avons besoin, avec toutes les réformes à faire, d’avoir un consensus beaucoup plus large que le camp du gagnant
Nous avons donc besoin, avec toutes les réformes que nous avons à faire, d’avoir un consensus beaucoup plus large que le camp du gagnant. Il est donc vrai que cette troisième hypothèse sans majorité serait peut-être mieux pour la France. Une situation un peu comme celle de l'Allemagne : où la majorité est tenue par des socialistes et le CDU. C’est-à-dire la droite et la gauche qui gouvernent ensemble le pays.
RT France : Pensez-vous Emmanuel Macron capable de porter ces réformes dont vous parlez ?
Emmanuel Macron n’était pas mon candidat mais je pense qu’il a de l’énergie et de l’intelligence pour vouloir le faire. Il lui faut maintenant une majorité pour le faire. S'il a une majorité de cohabitation avec nous, nous saurons assumer les réformes. S'il n’y a pas de majorité et que la classe politique se recompose, peut-être aurons-nous une majorité d’alliance qui pourra permettre ces réformes. Mais quoiqu'il arrive, il faut les faire. Sinon la France sera très en retard.
Son programme sur l'Europe est celui de Bruxelles
RT France : Emmanuel Macron a dit être toujours attaché à l’Europe. Quel sera son attitude vis-à-vis des dossiers internationaux notamment sur l’Europe et la Russie ?
Y. P. d. B. : Sur l'Europe c'est assez curieux : il n'y a que deux lignes dans le programme d'Emmanuel Macron dessus. Il est vrai qu’il est dans la logique de la doxa européenne. Il y a beaucoup de gens autour de lui comme Jean Arthuis ou François Bayrou qui sont vraiment des responsables très européens. C’est pourquoi on a eu tendance à dire qu’il avait le meilleur programme européen même s'il n'a pas de programme. Pour moi, son programme est celui de Bruxelles. On sait néanmoins qu’il est suffisamment intelligent et qu’il veut faire l’Europe. C’est quand même positif.
Je pense que le pragmatisme d'Emmanuel Macron va prendre le pas sur tous les anti-russes qui traînent dans le parti socialiste, au Quai d’Orsay et dans son entourage.
En ce qui concerne la Russie, je voudrais quand même rappeler qu’au premier tour, 67% de l’électorat français a voté pour un candidat qui souhaite l’amélioration des relations entre la France et la Russie.
Emmanuel Macron a interdit l'accès à votre média à son quartier général, ce n'est évidemment pas acceptable pour la liberté de la presse. C'est à mon sens une décision stupide mais je pense que c’est quelqu’un de pragmatique et qu'il le sera sur la Russie. On a bien vu cela quand il s'est rendu à Moscou, il y a un an et demi, en tant que ministre de l’Economie. On a bien senti qu'il avait une vision pragmatique des relations avec la Russie. Je pense que ce pragmatisme va prendre le pas sur tous les anti-russes qui traînent dans le parti socialiste, au Quai d’Orsay et dans son entourage. Je pense qu'il fera en sorte d’améliorer les relations entre l’Union européenne et la Russie et entre la France et la Russie.
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