Les libéraux qui ont gagné les élections aux Pays-Bas seront néanmoins dans une position moins bonne que celle qu'ils avaient auparavant à cause de l'éparpillement des voix, estime le chercheur Laurent Leylekian.
RT France : Avez-vous été surpris par les résultats aux Pays-Bas ? Vous semblent-ils logiques ?
Laurent Leylekian (L. L.) : On peut être surpris. On prévoyait effectivement la poussée du Parti de Geert Wilders, qui est un parti d’extrême droite, et cela n’est pas advenu. Mark Rutte et son Parti libéral restent en tête. La poussée annoncée n'a pas eu lieu et ça a été une surprise effectivement. On pouvait penser, surtout avec le dernier épisode de la passe d’armes entre les Pays-Bas et la Turquie que les partis identitaires feraient un meilleur score.
Cela traduit une confusion, les gens sont déroutés, ils ne savent plus pour qui voter
RT France : La particularité de cette élection c’est qu’on se retrouve avec une participation extrêmement haute et que quasiment tous les partis ont gagné des places. Comment l'expliquer ?
L. L. : C’est vrai qu’il y a une contradiction, parce que d’habitude, quand vous avez une forte participation – dans le cas présent elle a augmenté d'environ 7% – ça favorise les grands partis traditionnels de gouvernement. Mais ce n’est pas ce à quoi on assiste, au contraire on a un émiettement. Il semble que cela traduit une confusion, les gens sont déroutés, ils ne savent plus pour qui voter. Et cet éparpillement fait aussi que des formations traditionnelles comme le Parti du travail, équivalent du Parti socialiste français, sont réduits à une peau de chagrin, et que même les libéraux qui gagnent ces élections, sont dans une bien moins bonne posture qu'ils ne l'étaient par le passé. C'est une victoire à la Pyrrhus parce que la position dominante qu'ils avaient à la chambre en 2012, ils ne l'ont plus.
Mark Rutte ferait une grosse erreur en croyant que ce vote, qu’il a effectivement gagné, vaut blanc-seing pour les politiques libérales.
RT France : Parmi les grands thèmes de la campagne promus principalement par Geert Wilders comme la question de l’islam et de la Turquie figurait l'appartenance à l’Union européenne. Il parlait notamment de «Nexit». Les résultats de cette élection montrent-ils que, finalement, les Néerlandais sont encore très attachés à l’Union européenne ?
L. L. : Non, je ne le crois pas. Il ne faut pas surinterpréter ces résultats. Effectivement le Parti libéral reste dominant, mais néanmoins il ne me semble pas que les gens adhèrent à la ligne libérale. Vous avez, non seulement aux Pays-Bas, mais dans toute l’Europe, la demande récurrente et croissante d’une Europe de protection en un sens social. Le Parti chrétien-démocrate ou le CDA (l’Appel chrétien-démocrate, Pays-Bas), a plutôt augmenté son nombre de sièges. Les gens veulent plus de protection, plus d’identité. Il est possible effectivement que la radicalité des propos de Geert Wilders ait fait peur, mais cela n’empêchera pas l’Union européenne de devoir faire son aggiornamento et de cesser avec ces contenus qui ramènent l’Europe à une espèce de hall de gare. C'est ça la vision libérale. J’estime que Mark Rutte ferait une grosse erreur en croyant que ce vote, qu’il a effectivement gagné, vaut blanc-seing pour les politiques libérales.
RT France : On avait l’habitude de dire que cette élection était la première à risque pour l’Europe cette année avant la France, l’Allemagne et l’Italie. Croyez-vous que lors des législatives françaises, on va assister à un phénomène similaire d'éparpillement ?
On ne sortira pas de cette situation tant que les grands partis n’accepteront pas de revoir totalement les logiciels sur lesquels ils sont fondés
L. L. : On voit déjà aujourd’hui le même schéma en France avec le Parti socialiste qui est à la peine, avec Benoît Hamon. On voit que François Fillon est également empêtré dans des affaires qui font qu'il risque de ne pas être présent au second tour. Je pense qu’on ne sortira pas de cette situation tant que les grands partis n’accepteront pas de revoir totalement les logiciels sur lesquels ils sont fondés, c'est-à-dire ce compromis libéral-socialiste avec un peu de libéralisme et un peu de socialisme et surtout, rien qui ressemble à la défense d’une identité.
Il me semble que la position qui consiste à dire que «si les frigos sont pleins, il n’y aura pas de problème», ce qui est la position de base des libéraux – ce n’est pas vrai. Et je voudrais souligner que cela pose également un problème d'autre nature. Lors de ces élections aux Pays-Bas, on a vu apparaître des partis ethno-nationalistes étrangers. Vous avez vu que Denk entre au Parlement néerlandais, et c’est un parti constitué de Hollandais d’origine étrangère. Mais il y a même des dissensions au sein de Denk. Ils adoptent des positions souvent qualifiées de sexistes, de racistes, de négationnistes. Comme ça, on arrive un une espèce de libanisation de l’Europe.
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