De quoi le soutien de pontes du PS à Emmanuel Macron témoigne-il ? Choix de conviction ou opportunité d'éviter une déroute prévisible ? Emmanuel Macron doit-il craindre le soutien des hollandistes ? Analyse avec le politologue Thibaut Rioufreyt.
RT France : Les défections d'élus et de ténors de l'aile droite du Parti socialiste (PS), à l'instar de Jean-Yves Le Drian, en faveur du mouvement d'Emmanuel Macron peuvent-elles réellement avoir une influence sur les intentions de vote en faveur de Benoît Hamon ?
Thibaut Rioufreyt (T. R.) : Je pense que dans le cas présent, ce sont plutôt les élus qui suivent les électeurs que l'inverse. Il peut bien sûr y avoir un effet d'entraînement mais j'ai le sentiment que l'orientation des flux électoraux est déjà en partie faite. Il faudra voir si cela se cristallise. On sait qu'à peu près 50% des personnes qui se disent prêtes à voter pour Emmanuel Macron ne sont pas sûres de leur choix. Les intentions de vote en sa faveur ne sont pas stabilisées.
Si on s'intéresse au poids des derniers ralliements des ténors du Parti socialiste, on peut dire que celui de Bertrand Delanoë est symboliquement très fort. Néanmoins, il n'est plus dans la course électorale et il pèse beaucoup moins dans le parti qu'avant. Le cas de Jean-Yves Le Drian peut peut-être faire plus mal à Benoît Hamon. C'est un poids lourd régional avec un ancrage territorial fort. Il faut d'autant plus rappeler que Jean-Yves le Drian est breton, tout comme Benoît Hamon. Il est possible que, dans ce cas, au niveau local un certain nombre d'électeurs qui auraient voté pour le candidat de la gauche s'orientent vers Emmanuel Macron.
Cependant dans l'ensemble, cela reste deux électorats sensiblement différents. Le problème de Benoît Hamon est davantage celui de parvenir à rallier des gens qui veulent voter Jean-Luc Mélenchon que ceux qui se positionnent en faveur d'Emmanuel Macron. Le vainqueur de la primaire de la gauche a opté pour un positionnement fortement marqué à gauche ; il a fait le choix de la clarté idéologique et se refuse, à ce titre, à chercher les électeurs tentés par Macron en recentrant sa campagne. Mais en signant un sorte de pacte de non-agression avec Jean-Luc Mélenchon, il se prive en même temps de la possibilité de rallier à sa gauche.
Emmanuel Macron constitue une porte de sortie pour ceux qui ont déjà perdu leur mandat et pour ceux qui en ont peur
RT France : Ces choix de ralliement sont-ils selon vous motivés par des accointances idéologiques ou par stratégie électoraliste d'élus ayant peur de tout perdre après le quinquennat décrié de François Hollande ?
T. R. : Je pense que cela dépend des ténors en question. Pour des gens comme Bertand Delanoë, qui avait publié juste avant le congrès de Reims un livre qui s'appelait De l'audace et dans lequel il se disait socialiste et libéral ou comme Jean-Yves Le Drian - qui vient de la gauche bretonne très influencée par la démocratie chrétienne, plutôt un centre-gauche assez modéré, je pense qu'il y a des convictions idéologiques proches. Jean-Yves Le Drian était avec François Hollande dans les Clubs Témoin de Jacques Delors et dans les transcourants dans les années 1990 où il ne voulait pas choisir entre Laurent Fabius et Lionel Jospin. Ce ralliement correspond donc assez bien à sa sensibilité idéologique.
Pour l'instant, il n'y a donc pas hémorragie du côté des parlementaires. C'est pour l'instant avant tout un phénomène qui touche les élus locaux
Pour autant, il y a un certain nombre de parlementaires ou d'élus locaux moins connus qui ont rejoint Emmanuel Macron car ils ont eu peur de perdre non seulement leur investiture parlementaire, mais également leurs mandats locaux. Le parti socialiste a connu une véritable hémorragie ces dernières années. Ils avaient quasiment tous les départements, toutes les régions et la plupart des grandes villes et en ont perdu beaucoup. Si cette crise est plus ancienne que la candidature d'Emmanuel Macron, la candidature de ce dernier constitue aujourd'hui une porte de sortie pour ceux qui ont déjà perdu leur mandat lors des élections cantonales, régionales et européennes – et qu'on oublie un peu – et pour ceux qui en ont peur.
S'agissant des départs des députés, la situation est particulière. Il y a eu effectivement une tribune publiée dans Le Figaro des députés qui avaient déjà annoncé penser à rejoindre Emmanuel Macron : Gilles Savary, Christophe Caresche. Ils annoncent que 40 autres parlementaires sont derrière eux, mais ils ne donnent pas leurs noms ! Pour l'instant, il n'y a donc pas hémorragie du côté des parlementaires. C'est pour l'instant avant tout un phénomène qui touche les élus locaux.
Si ces ralliements donnent le sentiment à une partie de son électorat que tous les vieux barons du parti socialiste essayent de sauver leur peau politique en allant chez lui, il y aura un vrai risque
RT France : A voir les hommes politiques les plus loyaux envers François Hollande rejoindre son mouvement, Emmanuel Macron ne risque-t-il pas d'en souffrir, lui qui se présente comme le candidat du renouveau politique ?
T. R. : Encore une fois, cela dépend de qui le rejoint. Dans le cas de Bertrand Delanoë, c'est un coup gagnant, il a une bonne image. Pour Jean-Yves Le Drian également cela ne pose pas de problème majeur. Mais si ces ralliements se multiplient et donnent le sentiment à une partie de son électorat que tous les vieux barons du Parti socialiste essayent de sauver leur peau politique en allant chez lui, il y aura un vrai risque en terme de communication et donc en terme électoral. Emmanuel Macron avait déjà compris et anticipé ce risque en annonçant que lors des législatives 50% des investitures seraient réservées à des candidats issus de la société civile. C'est une des raisons pour lesquelles il n'y a pas eu pour l'instant d'hémorragie du côté des parlementaires socialistes. Il est vrai que si ce mouvement continue – si Claude Bartolone ou Stéphane Le Foll le rejoignent aussi par exemple – cela peut commencer à devenir un problème.
On assistera à une guerre ouverte entre les différents leaders. Il est possible que Benoît Hamon ne parvienne pas à garder le contrôle. Pour l'instant il a pris les primaires et non pas le parti. Est-ce que la situation pourrait aller jusqu'à une scission ? C'est difficile à dire
RT France : Doit-on s'attendre à voir le parti socialiste connaître une nouvelle scission au lendemain de la présidentielle ? Ou va-t-on voir l'aile droite du parti reprendre la main après l'échec du candidat des frondeurs ?
T. R. : On se focalise énormément sur l'élection présidentielle mais la question du devenir du parti socialiste va surtout dépendre des élections législatives. Faisons un peu de politique fiction. Si Emmanuel Macron passe au second tour et bat Marine Le Pen, ce qui est le scénario avancé pour l'instant – mais qui peut évoluer, il reste encore une quarantaine de jours avant l'élection et de nombreux rebondissements peuvent encore survenir – il est possible, avec l'inversion du quinquennat, que les électeurs votent également pour le candidat d'En marche ! pour les législatives. Mais Macron aura-t-il une majorité ? Ce n'est pas sûr. Est-ce que des députés se présenteront comme candidats à des circonscriptions sous le drapeau socialiste tout en soutenant Emmanuel Macron ? Il y a des alliances possibles mais tout cela reste très flou. Je ne pense donc pas que le Parti socialiste explosera directement après l'élection présidentielle. Les discussions sérieuses commenceront après les élections législatives.
On annonce souvent la mort du Parti socialiste mais c'est un parti très résilient
Il y aura probablement un Congrès extraordinaire lors duquel va se décider la ligne du parti et le futur Premier secrétaire. Si le score de Benoît Hamon est très faible et que les législatives se révèlent pire que celle de 1993 où le parti avait à peine 40 députés, ce sera pire que le Congrès de Reims. On assistera à une guerre ouverte entre les différents leaders. Il est possible que Benoît Hamon ne parvienne pas à garder le contrôle. Pour l'instant il a pris les primaires et non pas le parti. Est-ce que la situation pourrait aller jusqu'à une scission ? C'est difficile à dire. On annonce souvent la mort du Parti socialiste mais c'est un parti très résilient. Benoît Hamon et Manuel Valls ont un point commun : celui d'être convaincus que tout doit se passer au sein du parti. Je ne suis pas sûr que si Benoît Hamon perd le Congrès et qu'un partisan de l'aile droite prenne le contrôle, on assiste réellement à une scission. Il faut par ailleurs se rappeler que les précédentes scissions – comme celle de 2008 avec Jean-Luc Mélenchon – n'ont pas représenté en terme d'effectifs un nombre de départs si important. Je ne vois donc pas d'explosion du parti. En revanche, on va assister à un phénomène intéressant de clarification. Est-ce que tous les sociaux libéraux du parti vont le quitter – malgré les tentatives de Manuel Valls pour les garder au bercail – rejoindre Emmanuel Macron ? Dans une telle situation, même si le parti socialiste survit, il ne sera plus le même. On aura une gauche sociale-libérale portée par Emmanuel Macron et une autre en voie de recomposition au sein du Parti socialiste.
Si François Hollande soutient Emmanuel Macron, ce sera peut-être le baiser de la mort
RT France : On compare bien souvent François Hollande et Emmanuel Macron, notamment sur les programmes. La victoire d'Emmanuel Macron en mai prochain pourrait-elle permettre la réhabilitation et un avenir politique au président sortant ?
T. R. : Le réhabiliter, non. Il y a un rapport compliqué entre les deux hommes – non pas pour des questions psycho-politiques ou personnelles. Si François Hollande soutient Emmanuel Macron, ce sera peut-être le baiser de la mort. Le second n'en veut surtout pas. Pour des raisons d'image, mais aussi parce qu'Emmanuel Macron ne souhaite pas refaire du François Hollande. Emmanuel Macron est celui qui a inspiré François Hollande, même si ce dernier s'inscrivait déjà dans cette tendance. Le sentiment de ressemblance est un peu biaisé à cause de cela. Ils sont d'ailleurs très différents sur un point. Emmanuel Macron a décidé d'assumer totalement l'orientation sociale-libérale de son programme, là où François Hollande a choisi de faire du social-libéralisme sans le dire. Il décevait forcément son aile gauche mais n'est pas allé suffisamment loin pour séduire les centristes et une partie des gens de droite. Je pense que la conclusion stratégique d'Emmanuel Macron a été de se dire : «Pour pouvoir faire pleinement ce que je veux, je ne peux pas le faire seulement au sein du parti socialiste et seulement au sein de la gauche.» En terme de stratégie, ils sont radicalement différents. Il y a chez François Hollande la stratégie de l’ambiguïté, du flou, de la synthèse molle et d'une sorte d'éclectisme là où Emmanuel Macron prône une clarification idéologique au prix du sacrifice du clivage gauche/droite. A cet égard, ils ne se ressemblent pas.
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