L'appel de Benoît Hamon à rassembler la gauche étant cristallisé autour de sa candidature «relève de la fiction» pour le politologue Jean Petaux. A l'heure où le candidat peine à unir son propre parti, la scission du PS est-elle inévitable ? Analyse.
RT France : L'échec de l'appel de Benoît Hamon au rassemblement de la gauche avec Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot était-il prévisible ?
Jean Petaux (J. P.) : Evidemment que c'était prévisible. Aucune des personnalités citées n'est actuellement obligée d'une quelconque manière de rallier la candidature de Benoît Hamon. D'autant plus que la proposition de Benoît Hamon est théorique et sa stratégie relève de la fiction. Quand il dit «je vais proposer à Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot de me rejoindre et que l'on fusionne nos forces», on voit bien que c'est une fusion destinée à se cristalliser sur le nom et la personnalité de Benoît Hamon. C'est comme cela qu'il le présente et l'entend, lui. Si Benoît Hamon veut créer un rassemblement, il peut se rallier lui-même à Jean-Luc Mélenchon ou Yannick Jadot. Ce ne sera évidemment pas le cas. Nous sommes ici dans ce qui relève purement de la posture de sa part.
RT France : Le rassemblement semble plus qu'incertain aussi dans son propre parti. Après la victoire de Benoît Hamon, certains députés ont annoncé leur départ pour le mouvement En Marche, d'autres ont appelé à un droit de retrait de sa campagne. Va-t-on vers une scission définitive au sein du PS ?
J. P. : Je pense qu'on pourra définitivement employer le mot de scission après l'élection présidentielle. En fonction du résultat et de qui aura remporté la présidentielle, on pourra voir si le Parti socialiste peut se maintenir et garde sa configuration héritée du Congrès d'Epinay, il y a maintenant 46 ans. Ou est-ce que dans le cadre d'une victoire d'Emmanuel Macron à l'élection présidentielle, cela ne va pas être le dernier élément qui va faire exploser et couper le parti en deux avec deux blocs dont l'un se poserait en opposition à Emmanuel Macron et un autre sans doute majoritaire qui le rejoindrait. On ne le saura vraiment qu'en mai prochain.
Le parti socialiste peut connaître à l'avenir d'autres coupures, d'autres départs sans pour autant disparaître
RT France : Un PS post-scission aura-t-il encore un avenir ?
J. P. : Il ne faut pas non plus avoir une représentation très monolithique et homogène du parti socialiste tel qu'on l'a connu depuis le Congrès d'Epinay. Il ne faut pas sur-représenter l'unité du PS. Il a connu un an après son renouveau à Epinay en 1971, une première scission. En 1972, le parti adopte une stratégie d'union de la gauche avec le parti communiste, qui représente à l'époque une force trois fois plus puissante que le PS, et une partie des radicaux. Cette base programmatique et sa nouvelle ligne politique avec la barre très à gauche vont entraîner le départ d'une partie des socialistes avec des personnalités comme André Santini, le maire d'Issy-les-Moulineaux, ou Eric Hintermann. Ces personnes-là vont créer le parti social-démocrate qui rejoindra le parti de centre-droit UDF. Il y a ensuite au début des années 1990, le départ de Jean-Pierre Chevènement qui va créer en mai 1993 le Mouvement des citoyens. Cette organisation politique donnera ensuite naissance au Mouvement républicain citoyen (MRC) en 2003. C'est une scission du PS où l'aile gauche et chevénementiste du parti va se retirer. Mais à chaque fois, ces départs ne représentent que 2 ou 3% des militants.
La dernière scission importante que va connaître le parti, c'est évidemment le départ de jean-Luc Mélenchon en novembre 2008. Il fonde le Parti de gauche le 1er février 2009. Cette scission représente le départ de 6 à 7% de l'effectif socialiste. Tout cela pour dire que le parti socialiste peut connaître à l'avenir d'autres coupures, d'autres départs sans pour autant disparaître. C'est pour cela, que l'on ne saura qu'après la présidentielle sous quelle forme sera incarné l'avenir de ce parti.
L'une des raisons du succès actuel d'Emmanuel macron est dû au fait qu'il est resté très flou
RT France : Le PS est désuni et très bas dans les sondages. Les Républicains sont actuellement paralysés par l'enquête pour emploi fictif qui éclabousse François Fillon. Cette incertitude autour des deux grands partis traditionnels offre-t-elle un boulevard à Emmanuel Macron ou rend-elle cette élection encore plus ouverte ?
J. P. : Incontestablement depuis la victoire de Benoît Hamon sur Manuel Valls, Emmanuel Macron a vu un espace au centre-droit du PS se dégager et se libérer. Les difficultés actuelles rencontrées par François Fillon peuvent aussi s'avérer positives pour la campagne d'Emmanuel Macron. François Fillon se retrouve attaqué jusque dans son propre camp alors qu'on pouvait penser jusqu'à présent que la droite avait trouvé en lui un candidat rassembleur et dynamique. Si l'on ajoute à cela, que Benoît Hamon va venir neutraliser en quelque sorte Jean-Luc Mélenchon, les deux candidats étant tellement proches, ils vont se prendre des voix l'un à l'autre. Cette situation sur tous les plans semble très bonne pour Emmanuel Macron. J'ai néanmoins tendance à penser que le soleil qui brille aujourd'hui pour lui risque d'être voilé assez vite. Je suis persuadé que l'une des raisons du succès actuel d'Emmanuel Macron est qu'il est resté très flou et ambigu sur son programme. Il n'a pratiquement rien dit. Plus, il va devoir sortir de ce flou et préciser son programme et rentrer dans le détail de son projet, plus sa popularité va baisser. Il va devoir annoncer en gros ce qu'il soutient et ce qu'il supprime. Car la politique aujourd'hui, c'est expliquer «qui sera bénéficiaire de mon programme et qui sera sacrifié par ma politique».
Emmanuel Macron a littéralement déjà vécu ses meilleurs moments et maintenant les ennuis vont commencer pour lui
Plus Emmanuel Macron devra détailler son contenu programmatique, plus il fera de mécontents. C'est évident. Aujourd'hui, tout le monde a l'impression de pouvoir gagner au «Loto Macron», mais plus les numéros vont sortir, plus des électeurs seront absents de la grille gagnante. Il n'a pour l'instant dit qu'une seule chose de précise : sa volonté de rembourser les lunettes et les soins dentaires à 100%. Mais qui va être contre quelque chose comme cela ? Toute personne sait que si elle ne porte pas déjà de lunettes, elle devra en porter un jour ou l'autre en vieillissant. Tout le monde est forcément d'accord avec ça. S'il arrive à construire un programme entier sur des sujets qui mettront tout le monde d'accord, il sera très fort. Mais je ne pense pas que l'on puisse contenter tout le monde et son frère. Je pense qu'Emmanuel Macron a déjà mangé son pain blanc. Il a littéralement déjà vécu ses meilleurs moments et maintenant les ennuis vont commencer pour lui.
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