John Laughland est un universitaire britannique spécialisé en géopolitique et philosophie politique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages traduits en sept langues.

May chez Trump : une obsession, une noyade et une ceinture de sauvetage

May chez Trump : une obsession, une noyade et une ceinture de sauvetage© Kevin Lamarque Source: Reuters
Le président américain Donald Trump et le Premier ministre britannique Theresa May
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Analysant la rencontre des dirigeants américain et britannique, l'historien John Laughland rappelle qui a sauvé qui, qui a pu voir la bêtise ou l'arrogance et combien d'eau Theresa May et Donald Trump ont mis dans leur vin.

Il y une mauvaise habitude en France, encouragée par la malencontreuse expression «les Anglo-Saxons», de considérer que les Etats-Unis et le Royaume-Uni constituent un ensemble politico-culturel. Unis par un libéralisme économique et une vision impérialiste du monde, ces deux pays seraient en réalité les deux revers d'une même médaille.

L'élite britannique est depuis la Seconde Guerre mondiale obsédée par le maintien de sa «relation spéciale» avec les Etats-Unis

Il peut sembler saugrenu de vouloir nuancer cette vision simpliste au lendemain de la visite du nouveau Premier ministre britannique, Theresa May, chez le nouveau président des Etats-Unis. Incontestablement, le symbolisme de cette visite était très fort, comme le voulait la diplomatie britannique. Pour elle, le fait que le locataire du 10 Downing Street soit le premier chef de gouvernement étranger à être reçu par le nouveau président américain est une grande victoire. En effet, l'élite britannique est depuis la Seconde Guerre mondiale obsédée par le maintien de sa «relation spéciale» avec les Etats-Unis, tel un homme qui se noie et qui s'accroche à une bouée de sauvetage. Londres supplie chaque nouveau président américain de prononcer la phrase «relation spéciale» dès le début de son mandat. Barack Obama, plutôt anglophobe, l'avait fait avec réticence; Donald Trump, en revanche, a véritablement savouré cette phrase lors de sa conférence de presse avec le Premier ministre, rappelant aux journalistes avec une sincérité évidente que sa propre maman était écossaise.

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Plus fort encore était le symbolisme anti-européen de la visite de Madame May. Intervenant dix jours après son discours clé sur son intention d'effectuer une rupture franche avec l'Union européenne, et de rompre tous les liens juridiques avec cette organisation, ce séjour outre-atlantique du Premier ministre consiste à mettre en œuvre on ne peut plus clairement sa vision d'un Royaume-Uni mondial qui ne sera plus enfermé dans le seul cadre européen mais, au contraire, tourné vers le grand large. La perspective d'un accord commercial avec Washington, évoquée par les deux dirigeants dans leurs discussions et en public, est une aubaine pour le gouvernement britannique. Celui-ci ressent le besoin impératif de trouver rapidement une alternative économique au bloc européen, qu'il pourra présenter aux électeurs pour leur montrer que le pays ne sera pas isolé après le Brexit.

Pour les Britanniques, une énième preuve de la bêtise américaine ; pour les Américains, sans doute une énième preuve de l'arrogance britannique

Nonobstant ces éléments, le rapport entre Londres et Washington est en réalité un rapport diplomatique comme les autres, caractérisé par des points de désaccord comme des points d'accord. Oscar Wilde plaisantait sur le fait que l'Angleterre et l'Amérique sont deux pays divisés par une langue commune, et ce n'est pas une simple boutade. Le fait qu'Américains et Britanniques parlent anglais les rend tous deux très sensibles à tout ce qui les sépare. Ces différences étant d'autant plus visibles pour chacun d'eux que les deux peuples n'ont pas besoin d'interprète. C'est une anecdote, mais de nombreux journalistes britanniques se sont vu refuser l'accès à la conférence de presse de Theresa May, car ceux-ci avaient communiqué à la sécurité de la Maison blanche leurs dates de naissance selon le format britannique (JJ/MM/AAAA) et non pas selon le format américain (MM/JJ/AAAA). D'aussi petites choses renforcent les grands préjugés. Pour les Britanniques, ce refus était une énième preuve de la bêtise américaine ; pour les Américains, il était sans doute une énième preuve de l'arrogance britannique.

Chacun des deux pays a mis de l'eau dans son vin pour ménager l'autre

Même si Theresa May se différencie de ses collègues européens qui, sans doute, veulent reporter aux calendes grecques le jour où il seront obligés de serrer la main de Donald Trump, les gouvernements britannique et américain sont en désaccord sur un grand nombre de questions que la fausse bonhomie de la visite de Theresa May à la Maison blanche n'a pu occulter. Ils sont d'accord sur le Brexit mais en désaccord sur la torture. Londres est viscéralement attaché à l'OTAN tandis que Donald Trump est otano-sceptique. Londres veut depuis 2011 la tête de Bachar el-Assad ; Donald Trump est neutre sur la question et préfère une alliance avec Moscou contre les islamistes.

Chacun des deux pays a mis de l'eau dans son vin pour ménager l'autre. La veille du déplacement de Theresa May aux Etats-Unis, son ministre des affaires étrangères, Boris Johnson, a annoncé un revirement à 180 degrés de la Grande-Bretagne sur la question syrienne. Comme la Turquie, dont ses ancêtres sont originaires, le ministre a déclaré ne plus exiger le départ d'Assad.

Exactement comme Ankara, Londres se plie désormais devant le fait accompli que l'Etat syrien semble avoir remporté une victoire décisive sur les islamistes, au moins à Alep. Une vision qui, d'ailleurs, fait abstraction des victoires récentes et considérables de l'Etat islamique à Palmyre. De même, Theresa May a pu arracher au président Trump l'affirmation selon laquelle il serait «à 100%» pour l'OTAN, une alliance qu'il avait qualifiée d'«obsolète» il y a une dizaine de jours.

Ces rapprochements partiels vont-ils suffire pour combler le vide qui sépare les deux Etats anglophones sur la grande pierre d'achoppement qu'est la Russie ? Depuis des années, les rapports entre Londres et Moscou sont exécrables, pire encore qu'avec tout autre Etat occidental. Le 26 janvier, la veille de la visite du chef de l'exécutif britannique à la Maison blanche, le ministre de la Défense avait qualifié le porte-avion russe Amiral Kouznetsov de «navire de la honte» alors que celui-ci traversait la Manche pour rentrer en Russie. Chez Donald Trump, c'est tout le contraire, comme le prouvent ses nombreuses déclarations sur sa volonté d'entretenir de bonnes relations avec Vladimir Poutine, répétées une fois de plus devant Theresa May. Le président américain n'a pas, contrairement au Premier ministre britannique, insisté sur le maintien des sanctions contre la Russie.

Si les Américains font cavalier seul et se rapprochent de la Russie, Theresa May les suivra

Néanmoins, Theresa May a préparé le terrain pour un assouplissement sur cette question aussi. Dans le discours qu'elle à prononcé devant les républicains, elle a certes répété sa méfiance à l'égard de Poutine. Mais elle a cité comme modèle l'approche que Ronald Reagan avait eue à l'égard de Mikhaïl Gorbachev. C'était une façon très délicate de larguer une bombe de destruction massive sur le consensus diplomatique britannique. Car le président Reagan avait une telle confiance dans le dirigeant soviétique, qu'il était à un cheveu de signer avec lui, à Rejkyavik en 1986, un accord pour réduire l'arsenal nucléaire américain à zéro, ce qui aurait signifié l'abandon total de la politique de la dissuasion. Nous avons donc appris au moins une chose à Washington le 27 janvier : si les Américains font cavalier seul et se rapprochent de la Russie, Theresa May les suivra.

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