La tentative de coup d'Etat en Turquie ayant échoué, le président Recep Tayyip Erdogan reste au pouvoir. Mais rien dans cette histoire n'est aussi évident qu’on pourrait le croire, soupçonne l'écrivain américain Robert Bridge.
10. Recep Tayyip Erdogan a pu prendre l'avion pour Istanbul en pleine crise
Ayant appris que son gouvernement faisait l’objet d’une tentative de renversement, Recep Tayyip Erdogan a pris son avion privé et a quitté audacieusement la station balnéaire méditerranéenne de Marmaris pour se rendre à Istanbul. Pour ajouter un peu de suspense à cette pièce de théâtre politique, son avion a été suivi par deux jets pilotés par des partisans des rebelles. Mais l'avion du président n'a pas essuyé un seul tir et le dirigeant turc a pu atterrir à Istanbul en toute sécurité, avant de rassembler la population autour de lui.
Pourquoi les F-16 n'ont pas tiré, c’est un mystère
«Au moins deux F-16 harcelaient l'avion de Recep Tayyip Erdogan, lorsqu'il était en l'air sur le chemin d’Istanbul. Ils ont verrouillé son avion dans leurs viseurs, ainsi que deux autres F-16 qui le protégeaient», a confié à Reuters un ancien officier militaire proche des événements.
«Pourquoi ils n'ont pas tiré, c’est un mystère», s'étonne-t-il.
Les pilotes rebelles ont-ils hésité dans le feu de l'action ?
9. Les tentatives turques de bloquer les publications massives de WikiLeaks
Ces tentatives ont été un fiasco. Un fiasco total. Malgré les effort d'Ankara pour bloquer l'accès aux mails du gouvernement sur la période allant de 2010 au 6 juillet 2016, WikiLeaks a réussi à dévoiler au public 294 548 courriers électroniques.
«WikiLeaks s'est empressé de les publier en réponse aux purges opérées par le gouvernement turc après le coup», a indiqué WikiLeaks dans son communiqué de presse.
«Nous avons vérifié le matériel et la source qui n'est aucunement liée à ceux qui sont derrière la tentative du coup ni au parti politique ou à un Etat rival», ajoute le site lanceur d'alerte qui a affirmé ne soutenir aucune des parties dans cette crise, mais être au service de la «vérité».
On peut pardonner à Recep Tyyip Erdogan la mise en question de l'impartialité de WikiLeaks (les mails publiés ont été attribués à akparti.org.tr, premier domaine du gouvernement turc).
Il y a toujours eu des rumeurs que le gouvernement d'Erdogan était au courant que le pétrole de l’Etat islamique passait par le territoire du pays
La diffusion de ces documents pourrait en fin de compte mettre le gouvernement dans une situation embarrassante, sans parler des alliés d'Ankara qui ont laissé les forces de l'OTAN dirigés par les Etats-Unis qui mènent une guerre illégale contre l'Etat Islamique en Syrie utiliser le territoire turc comme une rampe de lancement. Il y a toujours eu des rumeurs selon lesquelles le gouvernement d'Erdogan était au courant, au moins du fait, que le pétrole de l’Etat islamique passait par le territoire du pays pour atteindre le marché noir.
8. La Turquie décrète l'état d'urgence
Le président Erdogan a annoncé le 20 juillet qu'il allait introduire l'état d'urgence pour trois mois après cette tentative manquée de coup d'Etat manquée. Le chef de l’Etat turc a répondu aux critiques indiquant qu'une telle mesure constituait une violation des libertés civiles en affirmant que cela ne violerait aucune liberté démocratique.
«Le but de l'état d'urgence est de prendre de la façon la plus efficace et la plus rapide des mesures pour éliminer la menace pour la démocratie dans notre pays», a-t-il confié à l’Agence Anadolu.
Le président est en train de «jouer sa dernière carte», en essayant de mettre l'ensemble du pays sous son contrôle
Ayant déclaré l'état d'urgence, le gouvernement turc peut passer outre le Parlement –qui, lors de la tentative de coup, a subi une attaque des avions de chasse rebelles – et faire passer de nouvelles lois. Certaines libertés civiles pourraient être limitées ou suspendues, si le gouvernement agissait de la sorte, ajoute l'agence de presse.
Le président est en train de «jouer sa dernière carte», en essayant de mettre l'ensemble du pays sous son contrôle, a confié à RT Maged Botros, professeur de sciences politiques à l'Université Helwan au Caire.
«Recep Tayyip Erdogan voudrait reconstruire l'empire Ottoman... Du coup, il a besoin d'avoir une emprise forte à l'intérieur du pays, sur les branches du gouvernement», ajoute le professeur Botros.
Entre-temps, tous les intellectuels turcs ont reçu l'interdiction de quitter le pays. Est-ce que certains d'entre eux seront balayés lorsque le président essayera de faire le ménage ?
7. Le clerc en exil aux Etats-Unis nie toute implication dans le coup
Le gouvernement d’Erdogan continue de réprimer les partisans de Fethullah Gülen, le clerc solitaire qui vit en exil aux Etats-Unis et que le gouvernement turc considère comme le responsable de la tentative de coup d’Etat.
Le mouvement de Fethullah Gülen, Hizmet, aurait séduit un grand nombre de citoyens à travers le pays. Certains d’entre eux occuperaient des postes importants dans diverses organisations gouvernementales– des écoles aux forces de l’ordre, en passant par l’AKP, le parti au pouvoir.
Si le coup avait réussi, Fethullah Gülen aurait-il pris un avion pour la Turquie ?
Cependant, Fethullah Gülen, qui vit en exil en Pennsylvanie depuis 1999, a non seulement nié toute implication dans le coup, mais également déclaré que cela pourrait avoir été «mis en scène» par le régime turc.
«Je ne crois pas que le monde croie aux accusations faites par le président Erdogan», a déclaré Fethullah Gülen à un petit groupe de journalistes. «Il est possible que ce coup ait été mis en scène et serve à alimenter d’autres accusations [contre Fethullah Gülen et ses partisans]».
On se demande alors : Si le coup avait réussi, Fethullah Gülen aurait-il pris un avion pour la Turquie ?
«Evidemment, ma patrie me manque beaucoup», a-t-il déclaré au Guardian. «Mais il y a un autre facteur important, la liberté. Je suis ici, loin des troubles politiques de la Turquie et je vis libre».
Bien que le président turc ait affirmé que Fethullah Gülen était la tête pensante de la tentative de coup d’Etat, il n’aurait jamais formulé de demande formelle aux Etats-Unis en vue de l’extradition du clerc. Cependant, certaines informations disent que le gouvernement turc a réclamé son extradition, une demande ignorée par les autorités américaines.
6. Rafle rapide et arrestation de l'opposition rebelle
La purge des personnes suspectées d’être partisans de Fethullah Gülen a déjà commencé, des milliers de personnes ont déjà été arrêtées. Beaucoup d'observateurs se demandent comment ces individus ont pu être découverts aussi vite, en quelques jours seulement.
La façon dont le gouvernement a rapidement pris la mesure du coup a même donné aux théoriciens du complot l'idée que le chef de l’Etat avait tout organisé en vue de resserrer son emprise sur le pouvoir, en se débarrassant de l’influence de Fethullah Gülen, à la fois au sein du gouvernement et de l’armée.
Au moins un responsable turc au sein de la présidence a rejeté l’idée que Recep Tayyip Erdogan était derrière ce coup d'Etat.
Exécuter les personnes qui ont pris part à ce coup d'Etat manqué signifierait la fin du rêve turc d’adhérer à l'Union européenne
«C’est vraiment irrespectueux de voir des gens qui n’étaient pas là, qui n’ont pas vu ce qu’ont fait les putschistes, se prononcer, installés confortablement chez eux, et répandre des rumeurs sur ce qui s'est passé en Turquie», a-t-il confié le 25 juillet au Jerusalem Post.
Par contre, le président turc n'a pas exclu la possibilité d'exécuter les personnes qui ont pris part à ce coup d'Etat manqué, même si une telle façon de régler les choses signifierait la fin du rêve turc d’adhérer à l'Union européenne.
«Le peuple croit que ces terroristes doivent mourir», a déclaré le président Erdogan dans une interview à CNN après avoir frôle la mort politique. «Pourquoi devrais-je les tenir en prison et les nourrir pendant les années qui viennent ? C'est ce que disent les gens», a-t-il ajouté.
5. Le contrecoup médiatique d'Erdogan
Le gouvernement du président Erdogan qui s'était plaint des réseaux sociaux dans le passé n'a pas hésité à employer cet outil de communication pour étouffer dans l'œuf cette tentative et condamner les ennemis d'Etat.
Le président turc a, par exemple, mené une riposte électronique, en faisant appel à l'aide des opérateurs téléphoniques. D'après les informations de Bloomberg, «Samedi, à 2h22, heure locale, alors que le coup avait déjà commencé, [Erdogan] envoyait des textos aux clients de Turkcell Iletisim Hizmetleri AS, en les appelant à «reprendre les rues et leur pays contre ce cadre étroit».
Plus tard, un message téléphonique du gouvernement turc a invité les abonnés de Vodafone Group Plc à se réjouir de l'échec du coup.
Le PDG de Turkcell, Kaan Terzioglu a déclaré à Haberturk TV que sa société avait aidé le président Erdogan et le Premier ministre Binali Yildirim à délivrer des messages après que les auteurs de la tentative de coup ont tenté de détruire des installations satellites de télévision qu'ils utilisaient pour parler au public.
Le président Erdogan a en fin de compte utilisé à partir de son avion privé le service FaceTime de son iPhone pour annoncer à ses abonnés qu'il était en vie et toujours aux commandes du pays.
Le nouveau sentiment qu'Erdogan éprouve apparemment envers les réseaux sociaux c'est «si tu ne peux les vaincre, joins-toi à eux et procède ensuite aux arrestations de masse».
4. L'OTAN ne viendra pas au secours
Certains observateurs ont trouvé incroyable qu'il n'y ait pas eu d'assistance de l'OTAN pendant la tentative du coup d'Etat malgré le fait que la Turquie a sur le site de sa base aérienne Incirlik 50-90 bombes nucléaires américaines dont les rebelles de l’opposition auraient pu s'emparer avec des desseins inconnus.
3. La Turquie accuse les Etats-Unis d’avoir participé au coup d'Etat manqué
Ce coup d’Etat manqué a ouvert une brèche dans les relations américano-turques qui pourrait avoir des répercussions importantes
C'est là que les choses deviennent compliquées, comme Facebook le décrirait. Le gouvernement turc a critiqué indirectement les Etats-Unis pour ne pas avoir extradé Fethullah Gülen, le cerveau de cette tentative de coup militaire aux yeux des autorités turques.
Ce coup d’Etat manqué a ouvert une brèche dans les relations américano-turques qui pourrait avoir des répercussions importantes sur un large spectre allant de la guerre en Syrie jusqu’au partenariat de la Turquie avec l'OTAN.
«Je ne pense pas qu'un pays puisse soutenir cet homme, ce leader d’un groupe terroriste, surtout après cette nuit. Un pays qui soutiendrait cet homme ne serait pas un ami de la Turquie. Ce serait même un acte hostile envers la Turquie», a déclaré aux journalistes le Premier ministre turc Binali Yildirim, un reproche à peine voilé contre les Etats-Unis.
Lors d’un discours à Bruxelles, le secrétaire d'Etat américain John Kerry a appelé son homologue turc à lui présenter les preuves du rôle joué par Fethullah Gülen dans le coup, plutôt que des «accusations».
John Kerry, cité par le porte-parole du département d'Etat, a fait savoir la semaine dernière au ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavosoglu que les accusations d'après lesquelles les Etats-Unis étaient impliqués dans ce coup manqué nuisaient aux relations entre les deux pays.
Ne soyez pas surpris si le bloc militaire de 28 membres perd son partenaire principal au Moyen-Orient dans les mois qui viennent
2. La Turquie quittera-t-elle l'OTAN ?
Le coup a véritablement remis en question les relations entre l'OTAN et la Turquie. La Turquie, pays dont l'armée est la deuxième plus grande de l'Alliance, essaie maintenant de faire le tri entre ses amis, les opportunistes et ses ennemis purs et simples. Personne ne peut savoir comment elle va régler ses comptes. Par contre, la Turquie est un fidèle membre de l’OTAN depuis 1952, mais de nos jours, il n'y a rien de plus imprévisible qu'une Alliance. Preuve en est le vote de la Grande-Bretagne en faveur du Brexit, alors que George W. Bush a fait sortir son pays du traité ABM [Anti-Ballistic Missile Treaty] en 2002 alors qu’il avait garanti la paix entre les puissances nucléaires aux cours des 30 années précédentes. Ne soyez donc pas surpris si le bloc militaire de 28 membres perd son partenaire principal au Moyen-Orient dans les mois qui viennent.
1. Erdogan et Poutine se rencontreront en août.
C'est certainement l’événement politique le plus inattendu. Les relations russo-turques, qui ont rencontré tellement de difficultés et de problèmes semblaient déjà plombées pour de longues années après que, le 24 novembre 2015, un F-16 turc a abattu un avion de combat russe qui menait une opération anti-terroriste en Syrie. Une nuit peut tout changer. Même si le rapprochement bilatéral avait déjà commencé après que Recep Tayyip Erdogan eut présenté des excuses formelles à Vladimir Poutine pour avoir abattu son appareil, le coup d'Etat manqué en Turquie a chamboulé l'échiquier géopolitique. Du coup, les présidents russe et turc ont prévu de se rencontrer le mois prochain au grand dam de Washington et de Bruxelles.
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