Les lanceurs d'alerte qui font des révélations sur l’environnement ou la santé publique sont protégés, ce qui n'est pas le cas de ceux qui dénoncent les machinations fiscales ou ce qui relève de la finance internationale, estime maître May Nalepa.
La justice luxembourgeoise a condamné le 29 juin à 12 mois de prison avec sursis l'ancien employé de la compagnie PricewaterhouseCoopers Antoine Deltour et à neuf mois avec sursis son ancien collègue Raphaël Halet, à l'issue du procès LuxLeaks. L'avocat May Nalepa, qui défend les intérêts de Raphaël Halet, explique à RT les enjeux du procès.
RT : Quelles sont les accusations officielles contre votre client ?
May Nalepa : En fait, le tribunal a retenu l’ensemble des infractions reprochées à monsieur Halet, c’est-à-dire le fait d’avoir volé des documents auprès de son employeur, de les avoir divulgués à une personne à qui il n’avait pas le droit de les transmettre, d’avoir fait ce qu’on appelle du blanchiment d’information, puisqu’il a détenu les informations qu’il avait faites sortir de son entreprise. Il a été également condamné pour violation du secret des affaires.
Mon client pensait que c’est dans l’intérêt général des citoyens européens de détenir ces informations
RT : Quelles sont les informations révélées par Monsieur Halet ?
M. N. : Il a révélé les accords fiscaux qui avaient été passés avec les multinationales telles que IKEA ou autres, des accords secrets qui avaient été conclus avec le fisc luxembourgeois afin d’avoir une imposition beaucoup plus favorable que celle qu’ils auraient dû avoir s’ils avaient été imposés comme des contribuables normaux.
RT : Est-ce que cela allait effectivement à l'encontre des règles de l'entreprise ?
M. N. : Normalement, dans une entreprise, on n’a pas le droit de divulguer de telles informations. Mais mon client pensait que c’est dans l’intérêt général des citoyens européens de détenir ces informations, puisque ces informations pouvaient provoquer des contrôles fiscaux grâce auxquels des centaines de millions d’euros ont été récupérés - par l’Etat français notamment.
On ira jusqu’à devant la Cour européenne des droits de l’homme pour que les lanceurs d’alerte soient protégés
RT : Etait-il conscient des conséquences de sa démarche ?
M. N. : Non, il a d’abord pensé à son objectif et au fait d’aider l’Etat français dont il dépend. Ensuite, seulement, il s’est rendu compte des conséquences pour lui-même, à savoir une peine d’emprisonnement. Il considérait que l’intérêt de la nation, l’intérêt des citoyens européens était supérieur à son propre intérêt personnel, et qu’il était prêt à prendre ce risque.
Le tribunal luxembourgeois a reconnu que mon client était un véritable lanceur d’alerte, cette reconnaissance d’un statut est très importante pour lui. Grâce à cette décision on va aller en appel et, s’il le faut, on ira jusqu’à devant la Cour européenne des droits de l’homme pour que les lanceurs d’alerte soient protégés, parce que leur action sert à l’intérêt général et pas à leur propre intérêt privé. A ce titre ils doivent donc être protégés par l’Europe pour avoir accompli une mission d’intérêt général.
La loi luxembourgeoise et les directives européennes ne protègent pas de façon claire le lanceur d’alerte
RT : Pourquoi pensez-vous que ce type de situations est possible en Europe moderne ?
M. N. : Parce que pour l’instant les textes européens, la loi luxembourgeoise et les directives européennes ne protègent pas de façon claire le lanceur d’alerte. Il y a seulement des personnes de certaines catégories qui sont protégées, si vous faites des révélations sur l’environnement ou sur la santé publique, comme le scandale des médiateurs, là vous êtes protégé, mais si vous sortez par exemple des accords fiscaux ou tout ce qui touche à la finance internationale, pour l’instant vous n’êtes pas protégé, parce que les textes ne vous protègent pas clairement. C’est pour ça qu’on a eu rendez-vous cet après-midi avec des députés européens, pour essayer de faire des modifications sur les directives européennes pour que tous les lanceurs d’alerte soient protégés.
Maintenant, on a un problème avec l’Etat français
RT : Quelle est l'attitude de Monsieur Halet envers le verdict du tribunal ?
M. N. : D’une part il est content, parce que pour la première fois le tribunal luxembourgeois a reconnu qu’il était bien un lanceur d’alerte et qu’il avait fait ça pour servir l’intérêt général. D’un autre côté il a décidé de poursuivre son combat, parce qu’il considère que c’est contradictoire de dire qu’il a servi l’intérêt général et de recevoir une peine. Il a reçu en fait neuf mois d’emprisonnement et monsieur Deltour a reçu 12 mois d’emprisonnement.
Beaucoup de journalistes et de personnalités politiques lui ont apporté leur soutien. Maintenant on a un problème avec l’Etat français, car il indique dans cette déclaration qu’il va aider monsieur Halet, mais il n’a reçu strictement aucune aide financière. Il se bat depuis plusieurs années, et ça commence à devenir vraiment difficile pour lui financièrement. Donc il a lancé un appel à soutien pour avoir cette aide-là.
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