Le faux choix du référendum sur le Brexit  

Le faux choix du référendum sur le Brexit  © Dylan Martinez Source: Reuters
Le chef du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP) Nigel Farage à un bureau de vote, le 23 juin à Biggin Hill, au Royaume-Uni.
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Au Royaume-Uni, lors des référendums et des élections , les dirigeants fusionnent les problèmes internes au pays en une question et les citoyens pensent à tort qu'ils votent pour résoudre ces problèmes, explique le professeur Roslyn Fuller.

Avec le référendum sur le Brexit, les Britanniques se sont probablement sentis impliqués à un niveau épuisant de participation publique et peu importe le résultat du référendum, la démocratie aura été honorée.

Le récent meurtre tragique de la député Jo Cox a montré avec quelle rapidité la violence peut éclater.  

Bien qu’une situation de violence politique de masse doit être différenciée du crime isolé perpétré par l’assassin dérangé de Jo Cox, les gens ont raison de poser des questions sur la façon dont les sociétés font face à des problèmes qui divisent le peuple comme on l’a vu avec le Brexit. Comment et pourquoi le débat peut-il devenir aussi irrationnel et d’une rare violence ?

Les référendums mènent à la sur-simplification des enjeux ainsi qu’à la fusion de plusieurs problèmes en une seule question

Un des principaux problèmes est que les élections et les référendums ne sont que de simples outils pour déterminer l’opinion publique, par conséquent, de par leur nature, ils mènent à la sur-simplification des enjeux ainsi qu’à la fusion de plusieurs problèmes en une seule question. Des questions très générales, comme le maintien ou la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, peuvent alors être interprétées différemment et les projections dans l’avenir peuvent également différer.

A part le meurtre extrêmement triste de Jo Cox, on a vu peu de choses aussi moches que la question de l’immigration dans le débat sur le Brexit. Sur ce point-là, beaucoup de partisans de la sortie du Royaume-Uni de l’UE pensent que le pays a été trop laxiste et que l’immigration sera limitée avec le Brexit. Un point de vue peu altruiste, mais en réfléchissant à tout ce que l’humanité a de bon à offrir, il serait trop simpliste de dire que ces gens sont seulement motivés par la haine raciale.

«Voulez-vous un bon travail ?» s’est transformé en «Y a-t-il trop d’immigrés ?»

Je pense que si les Britanniques (peu importe leurs origines ethniques ou leurs gênes) trouvaient un emploi tout de suite après avoir obtenu un diplôme universitaire pour un bon salaire et qu’ils étaient sûrs d’être pris en charge par une sécurité sociale digne de ce nom en cas de besoin, peu d’entre eux se soucieraient de savoir que leur voisin de palier porte un tee-shirt avec des rayures jaunes et bleues, conduit des vaisseaux spatiaux ou construit un temple en l’honneur de Baal dans leur cour, et encore moins de connaître leur métier. Après tout, tout le monde aurait une cour, peut-être même une maison avec un prêt raisonnable.

Je pense que les gens ne veulent pas de choses basiques. Cependant, «Voulez-vous un bon travail ?» s’est transformé en «Y a-t-il trop d’immigrés ?» – ce qui s’est ensuite dégradé en «Pensez-vous que l’UE craint ?»
La non-résolution de problèmes tels que la nécessité de disposer d’un revenu qui puisse couvrir les frais de la vie quotidienne, d’un système d’éducation juste et d’un logement abordable ouvre la voie à ce genre de pensée par procuration à propos de problèmes regroupés au sein d’une même catégorie. Tout tourne autour du retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, mais rien n’est promis et rien n’est certain.

La «démocratie» britannique opère davantage et depuis longtemps à travers des manipulations habiles plutôt que par la consultation du peuple

Ce n’est pas un hasard si aucune des parties au débat ne s’attaque directement à ces problèmes. En vérité, le Brexit se résume à un choix entre le néolibéralisme de Hook ou le néolibéralisme de Crook, parce qu’au bout du compte l’establishment national britannique et l’Union européenne ont la même façon d’opérer et les mêmes politiques.

Certains préfèrent voir un vote en faveur du retrait comme un regain de souveraineté du peuple, en vérité la «démocratie» britannique opère davantage et depuis longtemps à travers des manipulations habiles plutôt que par la consultation du peuple. Le vote en lui-même en Grande-Bretagne est tellement imprécis que les préférences du peuple se font sentir des années après le résultat du vote.

En Grande-Bretagne, pour remporter les élections ce ne sont pas les électeurs et leur vote qui importent mais plutôt les sièges

Lors des élections de 2015 par exemple, le parti travailliste a reçu 1,4% de votes de plus [par rapport aux élections précédentes] alors que le parti a perdu 26 de ses sièges [au parlement]. Il s’est produit l’inverse lors des élections de 1983. Entre 1979 et 1983, Margaret Thatcher a perdu près de 700 000 votes mais a remporté des douzaines de sièges à la Chambre des communes. Comme le montrent ces exemples, en Grande-Bretagne, pour remporter les élections ce ne sont pas les électeurs et leur vote qui importent mais plutôt les sièges, en acheminant les ressources financières vers des problèmes clefs et en ignorant les causes perdues. Cet argent vient évidemment de donneurs très riches et intéressés, et les deux principaux partis doivent faire la cour à tout le monde, des entrepreneurs immobiliers aux investisseurs financiers, des magnats des médias à l’industrie de l’alcool. Et comme ils ne donnent pas leur argent sans quelque chose en retour, il faut les accommoder, et les Britanniques vivent désormais sous un régime offensif de coupes budgétaires pour les personnes handicapées, de privatisation du secteur de la santé et de précarisation de l’emploi pour lesquels seul un quart d’entre eux auraient voté.

Il n’y a aucune raison de croire que cette situation va changer en quittant l’Union européenne.

Dans le même temps, alors que la volonté des Britanniques diffère depuis longtemps de leur politique, la structure et les politiques de l’Union européenne n’ont pas changé.

Mobiliser les institutions politiques dans les guerres commerciales est une chose courante à Bruxelles

Les défenseurs de l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’Union européenne préfèrent justifier cela en décrivant l’Union européenne comme un groupe de bureaucrates maladroits. L’ancien vice-Premier ministre Nick Clegg, par exemple, a récemment déploré qu’il avait fallu 30 ans à l’Union européenne pour se mettre d’accord sur une «définition du chocolat – en partie parce que les puristes continentaux ne veulent pas reconnaître la graisse végétale que l’on retrouve dans beaucoup de barres chocolatées anglaises, comme un ingrédient clef». Nick Clegg a ensuite déclaré : «On peut dire bien des choses d’une institution qui met 30 ans à définir ce qu’est le chocolat – tout au moins qu’elle est lente et bureaucratique – mais on peut difficilement dire que c’est un complot non-démocratique.»

A moins bien sûr de savoir que la soi-disant guerre du chocolat à laquelle Nick Clegg fait référence n’était en réalité pas une querelle de goût, mais plutôt un effort concerté de quelques-uns des plus grands producteurs de chocolat au monde (Nestlé, Cadbury, Mars, Hershey, Jacobs Suchard – qui appartient à Philip Morris – et Ferrero), pour vendre le chocolat qu’ils produisent à bas coûts sur le marché européen continental.

Alors que différentes entreprises en profitent énormément, les intérêts du peuple sont complètement laissés de côté

Mobiliser les institutions politiques dans les guerres commerciales est une chose courante à Bruxelles. Chercher dans les archives en ligne des réunions des commissaires européens et vous verrez que presque toutes les plus grandes entreprises au monde, leurs avocats, leur personnels en relations publiques et les groupes d’experts «indépendants» qu’ils sponsorisent se réunissent très fréquemment avec les représentants de l’Union européenne. D’Apple à Weber Shandwick, en passant par Sky, Uber et Goldman Sachs.

Le résultat ? Alors que différentes entreprises en profitent énormément en s’ajustant légèrement, les intérêts du peuple sont complètement laissés de côté. Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TAFTA), l’Accord économique et commercial global (CETA) et l’effondrement de la neutralité ne sont que quelques-unes des politiques qu’a créées ce style de «démocratie».

La campagne pour l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’Union européenne avait raison sur un seul point : ce niveau d’implication des entreprises au niveau décisionnel ne devrait pas étonner les Britanniques et ils devraient se sentir chez eux en Europe.

Le référendum ne concerne pas directement l’inégalité, la spéculation financière et la politique migratoire

Tout comme il n’y avait pas de cuillère dans la matrix, il n’y a pas eu de véritable choix dans ce référendum. Cela peut être épuisant, il peut vous sembler que tout a été discuté, du commerce avec la Chine à la sécurité nationale, mais nous avons seulement discuté et spéculé sur ces questions. Aucune d’entre elles n’est discutée sur les bulletins de vote. Le référendum en lui-même ne concernait pas directement l’inégalité, la spéculation financière, la politique migratoire ou les relations entre les différentes régions du Royaume-Uni. Malgré le meurtre tragique de la députée Jo Cox la semaine dernière, ce bulletin ne servira en rien à protéger les élus de violentes attaques.

Au lieu de cela, on a demandé aux citoyens d’interpoler ces questions dans leur vote, tout en devinant comment le Brexit pourrait les affecter. Finalement cela a embrouillé les gens dans le but d’obtenir le moindre avantage (réel ou imaginaire) entre les promesses et les projections des riches et puissants europhiles ou des riches et puissants europhobes.

Le débat sur le Brexit a servi à une chose : révéler la boîte de vers qui dévorent les problèmes sociaux latents au Royaume-Uni. Peu importe le résultat du référendum, il est peu probable que les élites britanniques ou européennes s’en occuperont et par conséquent, la tension continuera de grimper. Le débat sera terminé, mais la résolution [des problèmes] restera hors d’atteinte.

LIRE AUSSI : Brexit : après l'Ecosse, le pays de Galles risque aussi de prendre son indépendance

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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