La classe politique européenne s’en prend à une idéologie d’extrême droite qu’elle accuse de tous les maux, mais ces mêmes dirigeants refusent de voir en l’islam une source d’inspiration pour des attentats, juge l'historien John Laughland.
L'empressement avec lequel une partie de la presse occidentale a dénoncé une idéologie d'extrême droite qui aurait inspiré l'assassinat de la députée britannique, Jo Cox, tuée par balles en pleine rue le 16 juin dans la nord de l'Angleterre, en dit long sur la culture politique de l'Europe aujourd'hui.
A l'instar du veuf de la défunte, Brendan Cox, qui a appelé à s'unir contre «la haine» qui aurait tué sa femme, expression reprise par le chancelier de l'Echiquier, Georges Osborne, les journaux The Guardian et The Independent, tous deux très acquis à la cause du maintien du Royaume-Uni dans l'UE, ont expliqué que le meurtre de cette jeune députée était la conséquence de la campagne menée en faveur du Brexit.
L'empressement de presse occidentale à dénoncer une idéologie d'extrême droite qui aurait inspiré l'assassinat de Jo Cox en dit long sur la culture politique de l'Europe aujourd'hui
Pour The Guardian, le slogan que le tueur aurait crié au moment de passer à l'acte «La Grande-Bretagne d'abord!», serait non seulement le nom d'un groupuscule d'extrême droite (dont personne n'a jamais entendu parler), mais aussi le produit d'une idéologie véhiculée par le parti de l'indépendance, UKIP, et son chef, Nigel Farage. Pour The Independent, les choses sont encore plus claires: l'assassin présumé était lié à un groupe «qui militait contre l'UE». Vous avez compris ? L'euroscepticisme tue.
Non content d'exploiter un drame humain à des fins politiques, tout en accusant UKIP de faire la même chose avec la crise des migrants, The Guardian affirme aussi que ce meurtre montrerait la fragilité de la civilisation. Sans doute inconsciemment, les auteurs de ces lignes ont repris à leur compte l'avertissement apocalyptique annoncé quelques jours auparavant par le président du Conseil européen, Donald Tusk, selon lequel la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne «détruirait la civilisation occidentale».
Les propos démesurés de Tusk peuvent paraître absurdes: ils n'en constituent pas moins, et c'est bien dommage, une évidence pour les élites européennes. En 2013, dans un colloque à Paris, Ursula Plassnik, ancien ministre des affaires étrangères d'Autriche, a affirmé que l'Union européenne serait «la construction politique la plus sophistiquée de toute l'histoire de l'humanité». Sa co-intervenante, Laurence Parisot, ancienne présidente du MEDEF, a affirmé aussi que l'UE était «la plus belle zone des droits de l'homme au monde.» Ces gens pensent très sincèrement qu'ils sont porteurs d'un projet civilisationnel sans précédent, et qu’ils sont à l'avant-garde d'un progressime historique.
Quiconque pose la question de l'islam est suspect d'appartenir aux même barbares contre lesquels le projet européen serait le rempart
Cette attitude se conjugue avec un refus catégorique de voir dans l'islam ou l'islamisme une quelconque menace à cette même civilisation. Quiconque pose la question de l'islam est suspect d'appartenir aux même barbares contre lesquels le projet européen serait le rempart. Lorsqu'un musulman se revendiquant de l'Etat islamique a tué une cinquantaine d'homosexuels dans une discothèque à Orlando, le président Obama a explicitement refusé de dire que le problème venait de l'«islam radical.» Son refus s'inscrit dans la droite ligne de sa position, plusieurs fois réaffirmée, selon laquelle l'Etat islamique «n'est pas islamique», et que les actes de terrorisme islamiste n'ont rien à voir avec l'islam.
Obama n'est pas seul. Certains journaux qualifient systématiquement de simples «déséquilibrés» tous ceux qui commettent des actes terroristes au nom de l'islam, que ce soit des hommes qui poignardent des femmes dans la rue ou ceux qui écrasent volontairement des piétons avec leurs voitures. Même le tueur d'Orlando aurait été lui-même un homosexuel mal dans sa peau car non «libéré» mentalement. Avec cette qualification maintes fois répétée, on dédouane totalement l'islam qui incontestablement joue un rôle dans ces actes, quelle que soit la nature exacte de ce rôle.
Ce refus de poser la question de l'islam, pour peur d'être qualifié d'extrémiste conduit à des aveuglements préoccupants
On devrait pouvoir débattre du vrai rôle de cette religion, de sa vraie nature et de ces dérives. Au lieu de cela, la tendance dominante est de la laver de tout soupçon et en même temps d'accuser une idéologie fascisante d'être la cause directe d'autres drames, beaucoup moins nombreux, et d'affirmer que cette idéologie serait tellement répandue qu'il faut une vigilance permanente contre elle. Quand le jeune étudiant Clément Méric a été tué dans une rixe, le gouvernement français a immédiatement riposté en interdisant deux groupuscules d'extrême droite; des raids de la police contre certaines mosquées ou certaines antennes islamistes de télévision satellite se font attendre.
Ce refus de poser la question de l'islam, pour peur d'être qualifié d'extrémiste et donc ennemi de la civilisation, conduit à des aveuglements préoccupants. Il se trouve que la pauvre Jo Cox suivait la ligne d'Obama sur cette question. Au moment où que cette mère de deux enfants saignait à mort suite à l'attaque atroce, j'étais en train de présider une conférence aux Nations unies de Genève où mon Institut faisait intervenir des témoins de la guerre en Syrie. Nos intervenants montraient à l'écran des images épouvantables de décapitations, de crucifixions, et de gens dont on venait de couper les mains. Tous ces actes barbares ont été commis, et sont commis tous les jours, dans les territoires contrôlés par l'Etat islamique. Une femme professeur des universités a témoigné en personne, à côté de moi, comment son propre fils avait été abattu par un djihadiste dans l'amphithéâtre de l'université où il faisait ses études.
L'énormité du phénomène islamiste en Syrie est occultée et même excusée par ces références aux exactions de l'armée syrienne
Mais pour Jo Cox, co-présidente du groupe Les Amis de la Syrie à la Chambre des Communes, dans une rubrique publiée dans The Times du 25 mai, la cause du conflit syrien se trouverait dans la répression perpétrée par le régime syrien contre des civils, et sur laquelle elle s'est attardée longuement et en détail. Celle-ci serait la cause de la contre-réaction de l'Etat islamique, qu'elle appelait pudiquement «ISIS» et dont elle dénonçait non pas l'islamisme mais l'«extrémisme», sans mentionner une seule de ses atrocités. L'énormité du phénomène islamiste en Syrie est tout simplement occultée et même, en quelque sorte, excusée par ces références aux exactions de l'armée syrienne.
Son raisonnement est typique des commentaires que l'on retrouve un peu partout dans la presse européenne. Mais nous savons très bien quelle serait la réaction si, par malheur, quelqu'un devait affirmer que l'«extrémisme» de l'assassinat d'une jeune députée était la conséquence inévitable d'une invasion brutale d'immigrés et de la dissolution programmée des nations européennes. Le but de mon propos n'est absolument pas de dire du mal de quelqu'un qui vient de payer le prix ultime pour ses prises de positions. Il est de dire à ceux qui sont encore en vie que, de même que de telles affirmations seraient intenables dans son cas, elles le sont aussi dans l'autre.
Que son âme repose en paix.
DU MÊME AUTEUR : L'euroscepticisme a le vent en poupe partout en Europe
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