Le bras de fer continue entre la CGT et le gouvernement sur la loi Travail. Alors que Manuel Valls répète que la loi ne sera pas retirée, la CGT tente de bloquer la France. Dominique Jamet, vice-président de Debout la France réagit à ce climat tendu.
RT France : Depuis plusieurs jours la CGT opère des blocages un peu partout en France pour faire céder le gouvernement sur la loi Travail. Que pensez-vous de l’action ? Pour vous sont-ils toujours dans leur droit de grève, pourquoi ?
Dominique Jamet (D. J.) : Le droit de grève est reconnu en France et le fait de se mettre en grève, pour soutenir telle ou telle revendication est légal sous réserve des astreintes et contraintes auxquelles sont soumis certains salariés. Ce qui pose problème c’est lorsque le droit de grève s’accompagne d’un certains nombres de phénomènes qui eux ne sont pas légaux : le blocage, l’interdiction d’accès par la violence à des sites, le blocage d’un pont, d’une route d’une autoroute n’a rien de légal.
Ce gouvernement qui est en fin d’activité n’aura pas le temps nécessaire pour mettre cette loi en application
Dans cette mobilisation il y a trois niveaux. Le premier c’est la lutte contre la loi Travail. Cette loi vise à affaiblir les syndicats et les dessaisir de leur monopole de la négociation sociale, en favorisant les accords d’entreprise au dépend des accords de branche ou des accords nationaux. De ce point vu là, la CGT n’a pas tort d’y voir une régression par rapport aux conquêtes syndicales précédentes. Cela dit, même si ce point se justifie, la mobilisation est ridicule. D’une part parce que la loi Travail a été considérablement vidée de sa substance et modifie beaucoup moins les choses qu’à l’origine. De plus, ce gouvernement qui est en fin d’activité n’aura pas le temps nécessaire pour mettre cette loi en application.
Cette grève ne constitue pas seulement un phénomène social, mais elle met en lumière et renforce la rupture entre la gauche de la gauche et la gauche gouvernementale
Deuxièmement, on est dans le rapport de force. L’esprit de la loi El Khomri, est un esprit social-libéral, et la CGT n’a pas tort d’y voir une offensive contre le pouvoir des syndicats en général. La CGT s’est lancée avec une grande ardeur dans un conflit social qui prend de l’ampleur, dans un contexte où le syndicalisme est en recul en France, et la CGT elle-même est en recul. Au fond, la CGT cherche un affrontement et une démonstration de ce qui lui reste de puissance face un gouvernement qui ne peut reculer. On a l’entêtement symétrique de deux forces qui sont sur le déclin et qui sont beaucoup moins enclines à céder.
Troisièmement, ce mouvement est politique. Il est clair que la CGT veut prendre acte de la trahison par le gouvernement du socialisme. Cette grève ne constitue pas seulement un phénomène social, mais elle met en lumière et renforce la rupture entre la gauche de la gauche et la gauche gouvernementale.
RT France : Etes-vous d’accord avec Manuel Valls lorsqu’il dit que «la CGT ne fait pas la loi dans ce pays» ?
D. J. : C’est justement ce qui est en jeu. La CGT normalement ne fait pas la loi, c’est au législateur de faire la loi et c’est au gouvernement de proposer des lois ou tout du moins de les mettre en application. Ce que dit Manuel Valls ressemble plus à un vœu pieux qu’à une réalité.
Le gouvernement est coincé
Car même si le Premier ministre assure que ce n’est pas la CGT qui fait la loi, il n’empêche que la France est belle et bien paralysée, et que le gouvernement semble assez désarmé. Il n’ose pas employer réellement la force par crainte d’incident et pour ne pas se dépopulariser davantage et en même temps il ne peut pas reculer car le peu d’autorité qui lui reste serait balayée. Le gouvernement est coincé.
RT France : En 2010 déjà Nicolas Sarkozy avait vécu la même situation, il n’avait pas cédé. Comment voyez-vous la suite dans les prochaines semaines ?
D. J. : Deux possibilités sont ouvertes. Ou bien le gouvernement ne cède pas, et la loi El Khomri passe à coup d’article 49-3, même si ça n’arrange pas électoralement parlant les affaires du gouvernement actuel. Ou bien, comme il est déjà arrivé dans le passé, le gouvernement renonce à cette réforme qui suscite tant d’opposition. Je pencherais plutôt pour la première option, tout simplement car il lui reste 11 mois au gouvernement au pouvoir, et que s’il cède c’est comme s’il n’y avait plus de gouvernement en France pendant 11 mois, et c’est un peu long !
Après Sarkozy la France était k.o. debout. Hollande l'a mise à genoux. La C.G.T. l'étend pour le compte
— dominiquejamet (@dominiquejamet) 25 mai 2016
RT France : A chaque grande réforme structurelle que les gouvernements de droite ou de gauche essaient de mettre en place, la rue se lève. Au fond la France est-elle un pays irréformable ?
D.J. : Même si cela semble appuyé par un grand nombre de précédents c’est ridicule. Il faut voir où est le défaut, où est la faille. La France serait aussi réformable qu’un autre pays si elle avait confiance en ses gouvernants et si ses dirigeants bénéficiaient d’un appui populaire. Mais il y a maintenant plus de 20 ans, que les présidents sont élus au second tour, avec une majorité composite et que très vite leur côte de popularité baisse.
La France serait aussi réformable qu’un autre pays si elle avait confiance en ses gouvernants
C’est la faiblesse des présidents, leur impopularité qui fait que s’ils n’osent pas réformer dans les mois, les semaines qui suivent leur élection, ensuite l’opposition politique est telle qu’ils ne peuvent plus rien faire. Ca n’est pas la personnalité de la France qui est en cause c’est le discrédit des partis politiques dominants et les trois présidents qui se sont succédés depuis 25 ans.
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