Après un long suspense, Alexander Van der Bellen, le candidat des Verts, a été élu à la présidence de l'Autriche. En battant son concurrent d'extrême droite d'un cheveu. Le pays sort de cette élection divisé, estime le politologue Jean-Yves Camus.
RT France : L'élection du nouveau président, s’est jouée à quelques milliers de voix, quelle est votre première réaction à ce résultat ?
Jean-Yves camus (J-Y. C.) : C’est un résultat très serré, seules 31 000 voix séparent les deux candidats. On voit une Autriche divisée : d’un côté un vote des villes, et notamment des grandes villes autrichiennes qui ont permis à Alexander Van der Bellen de dépasser son concurrent dans ces zones-là, et le vote des petites villes et des campagnes plutôt favorable à Norbert Hofer.
Le vote par correspondance a également été un élément déterminant de ce scrutin. Le nombre de votes par correspondance était cette année très élevé, autour de 14% du corps électoral, près de 900 000 votants. Parmi ceux-là, il y a beaucoup d’expatriés autrichiens, qui sont des gens plutôt partisans d’une Autriche cosmopolite, européenne, qui ont sans doute contribué pour beaucoup à la victoire de Alexander Van der Bellen, qui avait 144 000 voix de retard avant le dépouillement des votes par correspondance. Mais le pays est aussi divisé socialement.
Selon les derniers sondages, l’électorat de Norbert Hofer est essentiellement masculin, jeune et appartient aux classes les plus populaires de la société. Il faut rappeler qu’en Autriche, on vote à partir de 16 ans. Chez les 16-25 ans le vote FPÖ est fort, notamment chez ceux dont le niveau de qualification est le plus faible et qui sont confrontés très tôt à l’insertion dans le monde du travail. Ce qui motive ce vote, ce n’est pas uniquement la question des réfugiés. Aujourd’hui, il y a une inquiétude sur la vague migratoire qui vient de Syrie et d’Irak et sur l’Islam en général. Pour l’instant l’Autriche a été épargnée par les attentats, mais ce pays est quand même sur la route qu’ont empruntée un certain nombres de gens qui ont participé à des actes terroristes. Les Autrichiens s'inquiètent de ces questions-là et des attentats.
Par ailleurs, l’Autriche est limitrophe avec plusieurs pays du bloc de l’Est. Ce sont des pays qui posent aussi un problème aux classes populaires autrichiennes, car plusieurs de leurs ressortissants viennent travailler en Autriche, où ils occupent des emplois peu qualifiés. Il y a un réflexe de protection, de rétraction d’une partie de la population.
RT France : Certains disent qu’il est possible qu’il y ait eu des fraudes, est-ce probable ?
J-Y. C. : L’Autriche est un pays qui a des standards démocratiques élevés, le vote y est organisé de manière assez irréprochable. Je ne crois pas qu’il y ait eu des fraudes.
Je ne crois pas qu’il y ait eu des fraudes
C’est juste un résultat extrêmement serré, 31 000 voix ce n’est rien sur un pays de 8 millions d’habitants. Mais cela ne diminue en rien l’impact du vote pour Norbert Hofer car quoiqu’il en soit, il représente quasiment 50% des Autrichiens.
RT France : Qu’est ce que cette élection et cette division du pays augurent pour l’avenir ?
J-Y. C. : Le futur gouvernement est dans une position assez difficile. C’est une grande coalition sociale-démocrate/conservateurs qui est un peu contre-nature. Beaucoup d’électeurs de gauche se plaignent que sur les questions sociales, les sociaux-démocrates restent prisonniers de leur partenaire de coalition. Et il y a une partie aujourd’hui du FPÖ qui souhaite en finir avec cette coalition et qui voudrait bien qu’il y ait des élections anticipées dès 2017, pour éclaircir un peu le paysage.
L’objectif pour le FPÖ, c’est la conquête de la chancellerie
Cette hypothèse-là, Norbert Hofer et le FPÖ l'appellent de leur voeux, car cela signifierait la possibilité d’une victoire électorale qui permettrait au parti de placer l'un des siens au poste de chancelier. En Autriche, être chancelier est beaucoup plus important que d’être président. Le président a des pouvoirs limités, ce n’est pas la même fonction qu’en France. L’objectif pour le FPÖ, c’est la conquête de la chancellerie.
RT France : Peut-on vivre la même situation dans d’autres pays ? Que dire de l’extrême droite en France, peut-elle se trouver aux portes du pouvoir, comme Marine le Pen le dit ?
J-Y. C. : Marine le Pen est beaucoup moins aux portes du pouvoir que le FPÖ. Le FPÖ a siégé pour la première fois au gouvernement au milieu des années 1980. En 1970, le chancelier avait déjà signé un accord avec le FPÖ qui lui permettait de faire tenir son gouvernement minoritaire. Le parti autrichien, dès les années 1970 participait à des coalitions municipales.
Personne en Autriche ne considère que ce soit un parti paria
Au fond le FPÖ est un parti qui se présente comme anti-système, qui conteste la grande coalition, mais c’est quand même un parti très bien inséré dans la vie politique. Personne en Autriche ne considère que ce soit un parti paria.
Le Front national (FN) a encore beaucoup de chemin à faire pour arriver au même niveau d’insertion dans la vie politique. Pour le moment, il ne détient aucune région, il n’a participé à aucune coalition nationale et il gère peu de villes. Les deux partis FPÖ et FN travaillent ensemble, participent à un groupe commun au niveau européen mais leur niveau d’insertion dans la vie politique nationale n’est pas encore le même.
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