Jean-Pierre Favennec, professeur à Sciences Po, à l’IFP School et consultant spécialiste en énergie, analyse les annonces de l'Arabie saoudite sur son avenir après pétrole.
RT France : l’Arabie saoudite a approuvé le plan «Vision Arabie 2030», qui consiste à diversifier son économie et à privatiser certains biens du royaume. Le gouvernement annonce même que les Saoudiens pourront vivre sans pétrole dès 2020. Ce plan vous semble-t-il plausible ?
Jean-Pierre Favennec (J.-P. F.) : L’Arabie saoudite dépend très largement du pétrole, 90% des recettes à l’exportation sont issues du pétrole, la consommation de pétrole dans le pays est extrêmement importante, on voit mal comment elle pourrait se passer de pétrole dès 2020, c’est dans à peine 4 ans. Ce pays consomme deux fois plus de pétrole que la France avec une population moitié moins nombreuse. L’Arabie saoudite dépend complètement du pétrole et du gaz pour le transport, l’électricité, pour dessaler l’eau de mer, pour la pétrochimie… Il y a une industrie pétrochimique importante qui vit à partir du pétrole. Je pense que c’est compliqué.
Les consommations de pétrole sont tellement élevées que si ça continue comme cela, dans 20 ou 30 ans l’Arabie saoudite pourrait devenir un pays importateur de pétrole.
Il est clair que l’Arabie saoudite comprend qu’à terme elle devra passer à autre chose. La consommation de pétrole est tellement élevée que si ça continue comme cela dans 20 ou 30 ans l’Arabie saoudite pourrait devenir un pays importateur de pétrole. C’est en prenant conscience de cette situation que les autorités saoudiennes cherchent à réduire leur dépendance au pétrole. Des plans sont établis pour développer les énergies renouvelables, pour mettre en place des centrales nucléaires. On voit qu’il y a une volonté de sortir progressivement du pétrole. Maintenant deux questions se posent : leur capacité à remplacer le pétrole comme source d’énergie locale en Arabie saoudite, et leur capacité à trouver des sources de revenus pour remplacer les exportations de pétrole.
Le plan annoncé consiste à mettre en place un fonds souverain énorme, de 2 000 milliards de dollars. C’est pratiquement le PNB de la France, c’est deux fois et demi les deux fonds les plus importants que sont le fonds norvégien et le fonds d’Abou Dhabi.
Ce fonds sera alimenté essentiellement par la vente des actifs de l’Aramco. C’est une société pétrolière absolument énorme dont la capitalisation boursière, si elle était entièrement privatisée, serait faramineuse. Maintenant, est-il possible et faisable pour l’Arabie saoudite de vendre une grande partie de l’Aramco ? La taille de la vente serait telle qu’elle risquerait d’affecter considérablement les marchés financiers. D’autre part, il n’est pas certain que l’Arabie saoudite soit prête à vendre tout Aramco, au contraire, on pense que la privatisation serait limitée à une partie des activités avales, c’est-à-dire une partie des activités de raffinage et de pétrochimie.
RT France : Quelles sont les conséquences de telles annonces sur le prix du pétrole et l’économie pétrolière ?
J.-P. F. : Les conséquences immédiates sont relativement faibles, mais cette déclaration semble indiquer qu’à terme l’Arabie saoudite produira et consommera moins de pétrole. Et cela a un effet dépressif sur le prix du pétrole. Mais à court terme je ne vois pas de réaction immédiate importante parce qu’on sait que c’est un processus extrêmement compliqué et long qui ne prendra pas seulement quelques années, mais beaucoup plus.
RT France : Pourquoi ce plan arrive-t-il aujourd’hui ?
J.-P. F. : La dépendance de l’Arabie saoudite vis-à-vis du pétrole est un fait. Et à 40 dollars le baril de pétrole, il est vrai que la situation n’est plus la même qu’avant. On sait qu’il y a un déficit budgétaire de l’ordre de 100 milliards de dollars, alors que le fonds souverain pour le moment représente 700 milliards de dollars. L’Arabie saoudite pourrait se permettre un prix de 40 dollars le baril pendant 7 ans, puisque c’est le temps de puiser l’ensemble des réserves du fonds souverain. On ne peut pas imaginer que la pays reste inerte face à cette situation et attende tranquillement que les réserves se vident.
L’Arabie saoudite pouvait se permettre un prix de 40 dollars le baril pendant 7 ans
Comme l’Arabie saoudite a une stratégie qui est de dire : je veux un prix du pétrole bas, je suis prêt à produire si le prix du pétrole tombe à 20 dollars, cela élimine un certain nombre d’autres producteurs sur le marché. Mais d’un autre côté, les recettes de l’Arabie saoudite risquent de devenir très faibles, donc il faut bien trouver un moyen de trouver d’autres activités rémunératrices pour engranger des dollars et faire vivre la population.
RT France : Quel avenir pour les pays de l’Opep ?
J.-P. F. : On est actuellement dans l’après-COP21 et on sent qu’il y a des changements dans les comportements et dans la réaction des populations. Il est normal que certains pays disent vouloir être moins dépendants du pétrole. Mais il faut rappeler que les énergies fossiles – pétrole, gaz et charbon – représentent 86% de la consommation d’énergie dans le monde et les énergies renouvelables seulement 3%. On ne peut pas sortir immédiatement de ce système, même s’il faut le faire à terme.
Les pays producteurs de pétrole ont encore de l’avenir devant eux
On a besoin de pétrole, car rien que pour le transport cela reste le moyen le plus simple. Donc les pays producteurs de pétrole ont encore de l’avenir devant eux. Pour preuve, deux pays ont souhaité rejoindre l’Opep : l’Indonésie et le Gabon, ce qui prouve bien la volonté d’un certain nombre de pays de continuer à avoir une politique commune en matière pétrolière.
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