Face aux divergences d’objectifs de ses membres et à l’intransigeance de son pilier saoudien, l’OPEP se trouve dans une impasse, estime l’économiste Alexandre Kateb.
RT France : Le sommet de Doha s’est achevé sans accord. Les prix du pétrole sont à nouveau en baisse. Cette baisse est-elle temporaire ?
Alexandre Kateb (A.K.) : Cette baisse s’explique par un retour aux facteurs fondamentaux qui maintiennent les prix du pétrole dans un corridor de faible prix qui est essentiellement lié à l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché mondial. La demande mondiale est déprimée en raison des perspectives de croissance au niveau mondial qui restent relativement faibles. L’offre de pétrole, elle, est abondante. Premièrement, en raison de la résilience des producteurs de pétrole de schiste américains qui ont réussi à travers une consolidation du secteur et une amélioration de leur efficience managériale à amortir le choc de la baisse des prix sans forcément baisser les volumes de production. Deuxièmement, en raison de la politique de l’Arabie saoudite qui consiste à maintenir à tout prix sa part du marché, quitte à encourager cette situation de baisse des prix, puisque le pétrole saoudien présente un coût de production très faible qui lui permet jusqu’à un certain point d’amortir cette chute des prix. Il y a un facteur supplémentaire, qui est l’Iran qui veut revenir sur le marché et accroître sa production, et cela pousse, comme on le voit, l’Arabie saoudite à être encore plus intransigeante dans ses exigences et au final tout le monde y perd puisqu’on a une situation qui aboutit au maintien de ces prix bas.
RT France : D’après-vous l’impossibilité de conclure un accord est-elle due au refus de l’Arabie saoudite de céder ?
A.K. : Oui, tout à fait, je pense que c’est lié à cela et au fait qu’il y a une rivalité géopolitique sur le plan régional entre l’Iran et l’Arabie saoudite qui complique les choses. Cela ne facilite pas des accords et des compromis sur ces questions d’ordre économique et énergétique.
L’OPEP a aujourd’hui considérablement perdu de sa capacité à influencer les prix mondiaux
RT France : Les membres de l’OPEP ne parviennent pas à un accord et les prix du pétrole sont en chute depuis deux ans. L’OPEP a-t-elle toujours une utilité ?
A.K. : L’OPEP a aujourd’hui considérablement perdu de sa capacité à influencer les prix mondiaux. C’est lié à la fois à des facteurs externes et internes à l’OPEP. Le facteur externe à l’OPEP est que, progressivement, la part des producteurs hors OPEP, en premier lieu les Etats-Unis et puis la Russie aussi, a augmenté et cela remet en cause le pouvoir traditionnel qu’avait l’OPEP sur les cours mondiaux du pétrole. Cette configuration externe est accentuée et aggravée par les distensions existant au sein de l’OPEP et par l’absence de consensus sur la stratégie à adopter entre des pays qui souhaitent accroître leur production et leurs recettes tout en souhaitant arriver à des prix corrects donc en encourageant les autres à baisser leur production et un pilier central, qui est l’Arabie saoudite, qui aujourd’hui ne veut pas assumer seul le coût d’une baisse de sa propre production, même si cela devait augmenter les prix. Selon les analyses saoudiennes, une baisse de la production saoudienne serait tout de suite invalidée par une augmentation de la production des autres pays notamment l’Iran, l’Irak, la Libye et d’autres encore. Les Saoudiens sont dans une situation un peu délicate, puisqu’ils savent qu’à un moment donné il leur faudra faire un effort. Leurs finances publiques sont, elles aussi, impactées par la chute du prix du pétrole et par le prix du pétrole actuel. Mais ils ont la capacité, beaucoup plus que les autres, d’attendre et de trouver une solution qui ménage avant tout leurs propres intérêts.
Je plaide pour une refonte de la gouvernance mondiale sur le marché du pétrole
Il y a un nationalisme au sein de l’OPEP qui mine de l’intérieur cette organisation et qui fait qu’aujourd’hui cette organisation n’est pas fonctionnelle puisqu’elle se résume aujourd’hui à un forum de discussion entre des Etats qui ne partagent plus les mêmes objectifs stratégiques. Dans ce cadre-là, je plaide pour une refonte de la gouvernance mondiale sur le marché du pétrole par la mise en place d’un nouveau mode de gouvernance qui associe des pays OPEP et des pays non-OPEP, dans un cadre de régulation des prix rénové et qui inclurait aussi les grands pays consommateurs et des pays qui sont à la fois grands consommateurs et grands producteurs comme les Etats-Unis. Le cartel, aussi puissant soit-il, n’est plus capable d’assurer des prix élevés, donc il va falloir imaginer autre chose. Les quatre grands acteurs qui doivent se mettre d’accord sur cette question sont l’Arabie saoudite, les Etats-Unis, la Russie et l’Iran.
RT France : Les Saoudiens semblent avoir peur du retour de l’Iran sur le marché. Ont-ils raison d’avoir peur ?
A.K. : Oui, ils ont raison d’avoir peur dans la mesure où l’Iran pourrait accroître considérablement sa production, il pourrait la doubler. L’Iran, ce sont les troisièmes plus grandes réserves mondiales de pétrole. C’est un acteur qui est aujourd’hui très en deçà de ses capacités. Ce que les Saoudiens ne veulent pas, c’est laisser à l’Iran suffisamment de temps pour qu’il puisse mettre à niveau toute son infrastructure, rattraper le retard et l’expertise qui a été perdue en raison des sanctions et se poser en véritable rival de l’Arabie saoudite sur ce marché avec la situation géopolitique qu’on connait, qui est l’alliance d’intérêts de la Russie et de l’Iran d’un côté et de l’autre côté un relâchement de l’alliance traditionnelle qu’il y avait entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite.
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