Aujourd’hui, l’OPEP à elle seule ne détient pas les clés de l’équation pétrolière mondiale, estime l’économiste Alexandre Kateb qui a expliqué à RT France la stratégie de l’Algérie sur le marché pétrolier.
RT France : Quel est l’impact de la baisse des prix du pétrole sur l’économie algérienne ?
Alexandre Kateb : L'Algérie est un pays qui est dépendant de la rente des hydrocarbures comme beaucoup d'autres pays ayant ce type de structure économique. L'Algérie est évidement mise à mal par la chute des prix du pétrole et du gaz, et dans ce contexte, cette chute a entraîné une dégradation très forte de la balance commerciale et du budget. La balance commerciale dépend des exportations en hydrocarbures, qui représentent 97% des exportations aujourd'hui.
L'Algérie importe pour près de 60 milliards de dollars de biens et d'équipements pour satisfaire son marché intérieur, ce qui implique aujourd'hui un déséquilibre de la balance commerciale de l’ordre de 30 milliards de dollars. Il y a également un déséquilibre des comptes publics qui dépendent à hauteur de 50% ou plus des rentrées fiscales liées aux hydrocarbures. Donc il y a aussi un déficit important au niveau du budget, qui devrait être supérieur à 10% du PIB en 2015.
En 2016, la situation ne devrait pas évoluer beaucoup par rapport à l'année précédente. Face à cette dégradation de la situation économique, le taux de change s'est également déprécié. Le dinar algérien a perdu 20% de sa valeur par rapport au dollar depuis le début de cette crise pétrolière; et sur le taux de change parallèle la dégradation a été encore plus forte, puisque aujourd'hui un dollar se négocie aux alentours de 200 dinars dans certains marchés informels du pays. Le taux de change officiel étant de 100 ou de 107 dinars pour un dollar. Cet écart s’est vraiment creusé et la situation est très inquiétante.
RT France : Quelles mesures les autorités algériennes prennent-elles pour stabiliser le pays ?
Alexandre Kateb : Dans ce contexte, le gouvernement a mis en place un certain nombre de mesures qui consistent à freiner les importations, notamment en produisant des quotas sur les importations de ciment, d’automobiles et d’acier, des produits très consommés en Algérie. Un certain nombre d’autres limites vont être mises en place pour d’autres produits dans les prochains mois. Enfin, il y a aussi une rationalisation et une baisse des dépenses publiques, de l’ordre de 10%, qui ont été mises en œuvre pour l’année 2016.
Il y a une volonté de poursuivre la guerre des prix
Des baisses des dépenses, notamment pour les programmes d’équipement et d’infrastructure, vont être mises en œuvre pour tous les projets qui n’ont pas encore été commencés et qui ne sont pas prioritaires par rapport au programme présidentiel. Un certain nombre de ces projets vont donc être gelés et nous devrions trouver d’autres financements, non pas budgétaires mais bancaires, avec des partenaires étrangers comme la Chine, notamment, qui finance un nouveau port dont la construction est prévue dans les deux prochaines années.
RT France : Le ministre algérien de l’Energie et des Mines, Salah Khebri,a reconnu l'échec de ses deux initiatives de réduction de la production de l’OPEP. Pourquoi n’a-t-il pas réussi ?
Alexandre Kateb : Parce qu’aujourd’hui, c’est vraiment l’Arabie saoudite l’acteur principal : contrôlant le volume global de production, elle a des marges de manœuvre dans les deux sens. Elle peut soit produire plus s’il le faut très rapidement, soit baisser sa production sans que cela ne nuise au pays aussi fortement qu'à d’autres pays moins riches. Tout repose donc sur la bonne volonté de l’Arabie saoudite et sur sa stratégie. Et pour l’instant, la stratégie saoudienne est de ne pas réduire la capacité de production. Il y a d'une part chez eux une volonté de poursuivre la guerre des prix face aux concurrents hors-OPEP, notamment les producteurs de pétrole de schiste américain ou de pétrole de sable bitumineux canadien - tous deux des pétroles qui demandent des coûts d’extraction élevés.
Le format de l’OPEP tel qu’il existe aujourd’hui est dépassé par rapport à la réalité géopolitique et économique du marché du pétrole
D’autre part, il y a aussi la volonté de l’Arabie saoudite de ne pas être le premier à réduire sa production et de laisser d’autres pays comme l’Iran prendre la marge de production qui sera laissée par la réduction des productions saoudiennes. Les Saoudiens ont peur du manque de coopération de la part de l’Iran qui revient sur le marché aujourd’hui et a envie d’accroitre sa production. l'Iran exploitera donc toutes les marges de manoeuvre qui pourront être offertes, et dans ces conditions les Saoudiens, analysant la situation, pensent que s’ils réduisent leurs capacités, cela n’aura qu’un impact négatif : celui de faire baisser leurs propres recettes sans faire remonter les prix.
RT France : La décision des autorités algériennes de boycotter la réunion de l’OPEP vous paraît-elle raisonnable ?
Alexandre Kateb : La décision de boycotter la réunion de l’OPEP provient d’un rapport de forces entre différents pays de l’OPEP. Certains ont émis le souhait de réduire les capacités de production pour faire monter les prix. D’autres, comme l’Arabie saoudite, les Emirats et en général les pétromonarchies du Golfe, s’opposent à cette politique pour le moment. Donc aujourd’hui, il y a un blocage au sein de l’OPEP entre ces deux camps.
C’est pour cela que l’Algérie a préféré boycotter cette réunion. Elle n’est pas la seule à avoir ce type de position dure et l’Algérie se rapproche en contrepartie de pays qui ne sont pas en ce moment dans l’OPEP - comme la Russie - pour essayer de trouver des solutions en commun et pour essayer d’introduire d’autres acteurs dans les négociations.
RT France : Comment cela peut-il faire évoluer la situation sur le marché ?
Alexandre Kateb : Aujourd’hui, clairement, l’OPEP toute seule ne détient pas les clés de l’équation pétrolière mondiale. Pour arriver à faire bouger les choses sur ce marché, il faut associer d’autres grands acteurs comme la Russie. Parce que c’est avec la combinaison des efforts des uns et des autres et un alignement au niveau des intérêts que ces grands producteurs pourront infléchir les prix et l’équilibre entre l’offre et la demande. Ils seront aussi plus forts pour négocier avec les pays consommateurs. La Russie doit être à un moment donné incluse dans ces négociations puisque le format de l’OPEP tel qu’il existe aujourd’hui est obsolète, il est dépassé par rapport à la réalité géopolitique et économique du marché du pétrole.
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