Suite à la décision de la cour de cassation de condamner les appels au boycott des produits israéliens, RT s'est entretenu avec Me Antoine Comte, avocat de BDS, l'organisme qui avait lancé la campagne de boycott et aujourd'hui condamné.
RT France : Déplorant la décision de la cour de cassation, vous avez annoncé vouloir porter l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Pouvez-vous nous expliquer vos motivations ?
Maître Antoine Comte : J’ai en effet dit qu’il s’agissait d’une grande régression dans la possibilité pour les citoyens de s’exprimer. Pouvoir critiquer la politique d’un Etat étranger fait partie intégrante de la Liberté d’expression. A ce sujet, il existe dans notre système des juridictions internes, mais également une juridiction européenne. Nous allons en effet porter cette affaire devant la CEDH qui est particulièrement attachée depuis toujours à la liberté de la presse. Pour moi, la question centrale est le droit pour les citoyens de s’exprimer sur des questions de politique Internationale. Je défends ce genre d’actions depuis le début de ma carrière. Il faut savoir que le boycott prôné par cette grande campagne internationale qu’est BDS a été lancé par la société civile palestinienne et plusieurs syndicats et associations. Cette mesure demande simplement que le droit international et les 40 résolutions des Nations Unies et du conseil de sécurité soient respectées. Cette campagne a été lancée à la suite de la construction du mur de séparation qui avait été critiquée par la Cour de Justice Internationale et qui avait demandé qu’on cesse la construction du mur en Israël, ce qui n'a jamais été fait.
Sur des questions de politique internationale, le boycott est l'expression citoyenne la plus appropriée
RT France : Pour vous, ce boycott constitue donc une liberté fondamentale ?
Maître Antoine Comte : C’est même nécessaire. Le boycott est l’expression des citoyens à la fois pacifique et non-violente et qui en même temps tient compte de la question centrale d’une position politique en dehors des partis, car il arrive heureusement que des citoyens prennent parti pour une cause commune sans tenir compte de leurs désaccords. En France, on a régulièrement des campagnes pour des boycotts en protestation contre la politique d’un Etat.
La Russie n’y a pas échappé et a fait l’objet de ce genre de campagnes, subissant des sanctions économiques importantes en lien avec la situation ukrainienne.Il y a eu des campagnes lancées en France contre la Chine sur la question du Tibet. La grande campagne contre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 70-80, appelée «Outspan» et qui visait à boycotter les oranges d’Afrique du Sud, a été une campagne très importante puisqu’elle a permis à la question de l’apartheid d’être mise sur l’agenda mondial et finalement obtenir la fin de cette politique injuste et discriminatoire. Il y a eu des dizaines de boycotts, notamment sur des événements sportifs comme les jeux olympiques ou le Mondial de football en Argentine pendant la dictature des colonels. Il n’y a pas d’expression citoyenne plus appropriée selon moi (à part les élections) qu’un appel au boycott pour des questions de politique internationale.
RT France : Pourquoi le boycott des produits israéliens serait-il une exception ?
Maître Antoine Comte : C’est là qu’intervient le plus gros problème. Car le boycott des produits israéliens est le seul boycott dont on dit qu’il n’est pas conforme à la loi. Pour un juriste c’est une question très choquante.
On invoque, pour tenter de faire croire que ce boycott est illégal, une discrimination. Mais de quelle discrimination parle-t-on ? Car il ne s’agit pas de personnes, mais de produits ! J’ai demandé une QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) car la loi de 1881 sur la Liberté de la presse protège les individus contre les discriminations, dans le travail, dans les opinions, les positions politiques etc. Dans le cas de BDS, on essaye de nous faire croire à une discrimination en traduisant un boycott de produits comme une discrimination à l’égard des producteurs israéliens. C’est d’autant plus ridicule et grotesque qu’il existe une règle très importante dans le droit international selon laquelle, une puissance occupante ne peut exploiter les ressources du pays ou de la zone occupée. Or, c’est exactement ce qui se passe dans les territoires palestiniens : les produits qui proviennent des colonies sont non-conformes en matière de droit international, ce qui justifie tout à fait un boycott. Le parlement européen a d’ailleurs demandé l’étiquetage des produits israéliens provenant des colonies. La manière dont la justice française traite ces question est gravissime et une telle régression est très inquiétante pour l’avenir.
RT France : Justement, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a comparé récemment cet étiquetage des produits provenant des colonies au « nazisme ». Que pensez vous de ses déclarations ?
Maître Antoine Comte : De mon point de vue, ce n’est ni plus ni moins de la dérision politique. Comment peut-on assimiler un boycott de produits à l’antisémitisme, au nazisme, au fascisme ?
C’est tout simplement grotesque. Cela fait partie de la propagande d’un Etat qui n’a rien à voir avec les réalités. C’est très important de comprendre que le boycott est une démarche politique des citoyens. L’appel au boycott n’est autre que la critique d’une ligne politique d’un pays étranger qui est parfaitement acceptable. Quel Etat peut s’inquiéter que ses citoyens critiquent la politique américaine, russe, chinoise ou israélienne ? Comment peut-on imaginer que ce soit inquiétant ? C’est une forme d’expression comme une autre. Du moment que cela reste pacifique et dans le domaine de la libre expression d’une opinion, il n’y a rien à redire. Pour ma part cette décision de la cour de cassation restera véritablement une journée noire de la justice française, une journée extrêmement sombre, car la cour se méprend à mon avis complètement sur l’enjeu qui est la Liberté d’expression, un principe inéluctable depuis la Révolution française. Cette affaire démontre que les libertés ne sont jamais définitivement acquises et qu’il faut toujours se battre pour les obtenir.
La décision de la cour de cassation isole la France du reste du Monde
RT France : D’autres pays pratiquent le boycott des produits israéliens, comme l’Islande par exemple. Pourquoi en France, cela serait-il interdit ? Existe-t-il des pressions extérieures qui motivent cette interdiction ?
Maître Antoine Comte : La politique française devient depuis des années maintenant, de plus en plus soumise à des lobbys qui défendent leur propres intérêts. On laisse de côtés des questions fondamentales et universelles de Liberté au profit d’une politique qui se fait malheureusement en fonction de la pression des uns ou des autres. De plus, cette décision de la cour de cassation isole de fait la France du reste du monde où la campagne BDS est très respectée et très importante. Personne ne songe à dire que c’est une action illégale, alors qu’en France, il y a une véritable pression de la part d’un certain nombre d’associations comme le CRIF notamment [Conseil Représentatif des Institutions Juives de France], qui sont directement liées à l’Etat israélien - qui mène une politique extrémiste, il faut bien le souligner – et qui essaient d’utiliser tous les moyens du droit pour parvenir à rendre illégal quelque chose qui relève de la Liberté d’expression des citoyens. La France est de fait, devenue le seul pays avec Israël où le boycott des produits israéliens pose problème et est interdit, considéré comme illégal. Pour moi c’est une grave erreur de la part de la cour de cassation. Mais j’ai une grande confiance dans la décision qui va intervenir ultérieurement de la part de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a toujours défendu la liberté de la presse, le secret journalistique, les investigations complètes et extensives lorsque cela touche des gens importants ou même des gouvernements. Elle défend l’ensemble des possibilités d’expression de toutes les catégories de population et je crois que sa jurisprudence va dans le sens qui est le nôtre et qui affirme que les citoyens doivent avoir le droit de s’exprimer. Ce n’est pas un risque pour la Démocratie. Il y a bien des gens qui se prononcent contre la politique américaine, chinoise russe. Pourquoi Israël serait-il une exception ? Ce pays n’est pas au-dessus des lois !
Le droit ne se quémande pas, il se prend
RT France : Quel est le sentiment de BDS aujourd’hui ?
Maître Antoine Comte : Nous sommes d'humeur combative. Il y a une formule en français qui dit «le droit ne se quémande pas, il se prend». Donc nous n’allons pas nous réduire à quémander à une juridiction française le droit de continuer à faire des appels au boycott des produits d’un Etat qui pratique une politique discriminatoire et ségrégationniste. Nous sommes convaincus d’être dans notre bon droit et continuerons à nous battre pour que notre liberté d’expression soit reconnue. Il faut donc absolument que la décision de la cour de cassation soit renversée par la décision d’une juridiction supérieure et que la France soit condamnée. Que notre pays soit condamné par la Cour Européenne serait très désolant, mais c’est ce qui est nécessaire pour faire valoir le principe de Liberté d’expression. Et c’est ce qui risque d’arriver.
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