Ukraine : une nouvelle loi va-t-elle finir par achever les médias russophones du pays ?
Depuis le 16 janvier, les médias russophones d'Ukraine sont obligés de publier une version additionnelle en langue ukrainienne. L'anglais et les langues officielles des pays membres de l'UE ne sont pas concernées par ces nouvelles mesures.
Depuis le 16 janvier, les médias russophones d'Ukraine sont désormais contraints de publier une version additionnelle en ukrainien en vertu d'une nouvelle loi qui interdit les publications en langue «étrangère» qui ne sont pas accompagnées d'une version en ukrainien.
Le 25 avril 2019, le Parlement ukrainien a adopté un projet de loi faisant de la langue ukrainienne la seule langue officielle du pays. Une nouveauté pour ce pays multiculturel et plurilinguistique où seulement 68% des citoyens considèrent l’ukrainien comme leur langue maternelle, plus de 80% font leurs études en ukrainien, mais seuls 50% le parlent à la maison. La loi, entrée en vigueur le 16 janvier, oblige tous les médias russophones à publier une version ukrainienne le même jour, avec le même nom, contenu et volume. La mesure est d'autant plus ciblée que des dérogations ont été accordées à plusieurs langues autochtones d'Ukraine et à l'anglais ainsi qu'à toutes les langues officielles de l'UE. La langue russe n'est pas concernée par ces mesures dérogatoires.
Dans un texte publié sur Facebook et repris par l'agence de presse russe TASS, la commissaire à la Protection de la langue d'Etat, Tara Kremin, a confirmé que «conformément à la loi, les médias imprimés peuvent être publiés dans d'autres langues, à condition que le nombre d'exemplaires publiés dans une langue étrangère soit égal au nombre d'exemplaires publiés dans la langue d'Etat [l'ukrainien]». «Toutes les versions linguistiques doivent être émises sous le même nom et être égales entre elles en termes de contenu, de volume et doivent entrer en circulation sous le même numéro et le même jour», a-t-elle précisé.
Un second tirage augmentera considérablement les coûts de production pour tous les médias russophones
Les médias qui contreviendraient à la loi s'exposent à des amendes pouvant aller jusqu'à 300 dollars. Interrogé par le journal d'information ukrainien Strana en 2020, l'expert des médias Sergey Tcherniavsky a expliqué qu'un deuxième tirage augmenterait considérablement les coûts de production pour tous les médias russophones, dont beaucoup sont déjà confrontés à des difficultés financières à l'ère des médias en ligne. Selon lui, bon nombre de ces médias seront contraints de renoncer à leur publication en langue russe ou risquent de faire faillite. Pour ce dernier, cette loi «entraînera une baisse de revenus et des pertes d'emplois» dans le secteur de la presse russophone.
Selon TASS, la loi s'applique à tous les domaines de la vie quotidienne à l'exception des conversations privées et des cérémonies religieuses. Le texte expose que toute tentative d'établir une forme de multilinguisme de manière officielle sera officiellement considérée comme une «action visant à changer ou à renverser par la force l'ordre étatique établi par la Constitution». La nouvelle loi introduit également la notion d'«humiliation publique de la langue ukrainienne» qui est définie comme «un acte illicite équivalent à une insulte aux symboles de l'Etat ukrainien et est punissable par la loi».
Depuis le début de la crise ukrainienne en 2014, la question linguistique est devenue un sujet sensible opposant locuteurs ukrainiens et russes. Les partisans du multilinguisme font valoir que la langue russe fait partie de l'histoire du pays. Les nationalistes estiment quant à eux que l'importance de la langue russe est un héritage de l'ère soviétique qui sape l'identité ukrainienne.