Sommet du Tchad : vers une éclaircie diplomatique dans le brouillard militaire de Barkhane ?

Sommet du Tchad : vers une éclaircie diplomatique dans le brouillard militaire de Barkhane ?© BENOIT TESSIER Source: Reuters
Soldat français au Mali en octobre 2017
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Les 15 et 16 février, les pays du G5 Sahel et la France seront réunis au Tchad, huit ans après la décision par Paris d'envoyer des troupes contre les djihadistes. Si, il y a un an, la priorité était militaire, elle devrait cette fois être politique.

A quelques jours du sommet de N’Djamena qui doit réunir la France et les membres du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) sur l’avenir de l’opération Barkhane, Emmanuel Macron vient de créer la surprise. Le président de la République a annoncé qu’il ne se déplacerait pas dans la capitale du Tchad les 15 et 16 février prochain, mais qu'il assisterait aux débats seulement en visioconférence, en raison de la pandémie de Covid-19 – tout comme le président du Conseil européen Charles Michel.

La diplomatie française attend pour autant beaucoup de cette rencontre qui, un an après le sommet de Pau, doit dresser un bilan du «sursaut» militaire et de la réorientation stratégique décidés alors par Paris en accord avec ses partenaires africains.  

Ce nouveau sommet devrait être l'occasion de l’annonce d’une réduction des effectifs français, qui s'élèvent actuellement à 5 100 militaires. La France va également tenter de fixer un horizon à un engagement commencé en janvier 2013, ce qui va bientôt en faire l’opération extérieure la plus longue de la Ve République, alors même que cette mission semble perdre le soutien d’une opinion publique longtemps favorable.

Un sondage du 11 janvier dernier donnait ainsi, pour la première fois, une majorité de Français (51%) hostiles à la présence de troupes françaises au Mali, ce quelques jours après le décès de cinq soldats tués en opération.

Dans l’ombre d'accusations de bavure

A l’approche de ce sommet décisif, Emmanuel Macron se serait bien passé d'une polémique que Paris ne parvient pas à éteindre depuis plus d’un mois. Une polémique née des accusations à l’encontre de l’armée française, après une frappe réalisée le 4 janvier dernier près du village de Bounti, au centre du Mali.

Il existe une sorte de contradiction : les choses vont plutôt mieux sur le terrain, et en même temps l’approbation diminue.

Si l’état-major affirme avoir frappé un rassemblement de terroristes, les témoignages de civils et d'associations se multiplient, évoquant une bavure commise contre des civils rassemblés pour un mariage : «Nous étions plus d’une cinquantaine, répartis en quatre groupes. Les hommes étaient sous les tentes et les arbres, et les femmes préparaient le repas dans le logement du marié. Après la première frappe, j’ai cherché à me lever pour savoir d’où cela venait, mais une seconde frappe est aussitôt tombée», confiait encore cette semaine, au journal Le Monde, un villageois présent ce jour-là.

Paris reste toutefois inflexible sur sa version des faits et refuse de diffuser les images de sa frappe pour ne pas dévoiler à ses adversaires les modalités de ses opérations. Une enquête de l’ONU est en cours afin d’éclairer des faits et d'analyser ces versions contradictoires.

Ainsi, un représentant des Nations unies déclarait au Monde à propos de l’enquête : «Il y a trop de manipulations de toutes parts. Nous voulons savoir sur quoi se sont basées certaines organisations pour faire leurs déclarations. Nous avons rencontré certaines personnes qui étaient de faux témoins. Il nous faut aussi établir le profil de certains et retracer leur passé. Il est trop tôt pour conclure dans un sens ou dans l'autre.»

Mettre en lumière les succès militaires

Lors du sommet de Pau, la France avait élaboré un plan ambitieux afin de relancer la dynamique militaire et frapper fort les groupes armés terroristes (GAT). A cette fin, elle avait voulu un «sursaut» militaire et avait pour cela renforcé les effectifs de 600 soldats supplémentaires et créé la force Takuba. Ce groupe de combat de forces spéciales européennes est pour l’instant composé seulement de militaires français, estoniens et tchèques mais vient de recevoir, début février, le renfort de 150 Suédois. Cette unité peine cependant à prendre son envol par manque de soutien européen, même si Paris espère encore y intégrer d’autres partenaires ; peu de candidats semblent néanmoins prêts à répondre à l’appel du clairon tricolore.

Un des objectifs majeurs de ce renforcement était aussi d’accentuer la pression dans la région stratégique dite «des trois frontières» (Mali, Niger, Burkina Faso), afin d’y déloger les nombreux GAT présents. Sur ce point, le bilan est plutôt positif car la plupart des experts reconnaissent les succès français dans la région, obtenus grâce à de nombreuses opérations combinant forces spéciales et soutien aérien. Ainsi, comme le constatait le 9 février l’ancien officier et expert militaire Michel Goya dans les colonnes du journal Le Progrès : «On obtient aujourd’hui des résultats importants dans la pression exercée sur l’ennemi. Il existe une sorte de contradiction : les choses vont plutôt mieux sur le terrain, et en même temps l’approbation diminue.» L’état-major français se félicite en effet d'avoir sérieusement affaibli l'organisation Etat islamique (EI) et éliminé plusieurs chefs d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), dont son chef l'Algérien Abdelmalek Droukdal, tué le 4 juin 2020.

Barkhane a un rôle de courroie d’entraînement de l’ensemble de ces pays

Pour boucler cette année voulue décisive, l’état-major français a organisé, du 2 au 20 janvier dernier, l’opération «Eclipse», coopération franco-africaine (France, Mali, Niger, Burkina Faso) qui a réuni près de 5 000 hommes et éliminé, selon les commandements malien et français, une «centaine de djihadistes». Cette opération renforce la sahélisation, un des autres objectifs du sommet de Pau, qui tend à faire monter en puissance les armées locales afin de les faire passer en premières lignes et de favoriser le désengagement français.

Comme le constatait au micro de RFI le colonel français Raphaël Bernard, qui a servi trois fois au Mali : «Barkhane a un rôle de courroie d’entraînement de l’ensemble de ces pays.» Toutefois, de nombreux experts soulignent les difficultés que rencontrent ces armées, sous-équipées et peu mobiles, face à des groupes terroristes extrêmement mobiles et aguerris. Pour Peer de Jong, expert de l'Afrique et ancien aide de camp de Jacques Chirac, interrogé par RT France, «Barkhane est le pilier qui tient l’ensemble de l’édifice.» Face aux faiblesses de ses partenaires, même si Emmanuel Macron devrait annoncer un allégement des effectifs, la route d’un désengagement total sera donc longue pour la France.

Pour l’ancien officier, la question du départ ne se pose pas encore même si, selon lui, il est nécessaire de mettre en place «un réaménagement de l’opération». Toutefois, si la région «des trois frontières» semble mieux contrôlée par Barkhane, la violence désormais se déplace : c’est la région du centre du Mali contrôlée par la Minusma (la force de l’ONU) qui est maintenant principalement touchée par les groupes terroristes.

Un nouveau souffle par la diplomatie

Les échecs des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan l’ont rappelé, le militaire ne peut pas tout, et une solution pérenne passe aussi forcément par la voie politique. C’est cette question qui semble vouloir être mise au cœur du prochain sommet au Tchad. Ainsi, lors du débat au Sénat sur l’engagement français, le 9 février, Jean-Yves le Drian a estimé que si le sommet de Pau avait voulu mettre en place «un sursaut militaire au Sahel», celui de Ndjamena sera celui «du sursaut diplomatique, politique ; du sursaut du développement». Un constat que partage Peer de Jong qui, toujours pour RT France, déclare qu’il fallait «redéfinir le cadre politique et forcer les Sahéliens à s’engager.»

La France devrait en effet accentuer la pression sur ses partenaires du G5 Sahel pour trouver des solutions politiques avec les groupes armés touaregs, non terroristes, tels les mouvements de l'Azawad. En effet, cette opposition de fait crée une instabilité sur laquelle s’appuient les groupes terroristes. Paris veut donc relancer les accords d’Alger, signés il y a cinq ans maintenant entre l'Etat malien et les groupes touaregs en lutte contre le pouvoir de Bamako. Ces accords qui auraient dû amener à la démilitarisation de ces groupes, mais aussi au développement économique de la région, sont depuis restés lettre morte ou presque.

Persuadé de la nécessité de cet accord, Jean-Yves Le Drian a ainsi déclaré devant les sénateurs en début de semaine : «L’accord d’Alger, signé en 2015 au terme d’un processus de consultation, a permis le cadre dans lequel on peut avancer politiquement maintenant. Le problème, c'est que jamais il n'y a eu derrière de volonté politique de le faire aboutir. C’est là où est la difficulté. Maintenant, il faut passer aux actes. Et cette interpellation, elle vaut pour ceux qui siègent au Comité de suivi des accords et, en particulier, les acteurs de la zone, singulièrement les acteurs du Mali.» Si des négociations avec les groupes non terroristes sont encouragées, Paris ne les a cependant jamais acceptées avec ceux qu’elle qualifie de terroristes.

Or, cette ligne rouge semble maintenant franchie par le nouveau pouvoir malien, issu du coup d’Etat du 18 août 2020, comme ont pu le constater avec colère les militaires français après la libération, en octobre dernier, de 200 djihadistes en échange de la libération d’otages maliens et de la Française Sophie Petronin. Une volonté de dialogue partagée par de plus en plus de Maliens qui voient dans cette option une solution à la division du pays. Si Emmanuel Macron avait encore refusé officiellement tout dialogue, déclarant dans le magazine Jeune Afrique qu'«avec les terroristes, on ne discute pas», selon des information du journal Le Monde, il semblerait que Paris envisage officieusement des discussions avec les éléments de certains groupes djihadistes implantés localement, mais non avec les directions d'Al-Qaïda et de Daesh. Une question qui sera probablement centrale lors de ce prochain sommet et constituera une des clés l’avenir de la région.

Benjamin Fayet

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