BARKHANE : STOP OU ENCORE ? Qui sont les djihadistes du Sahel que combat la France ?

BARKHANE : STOP OU ENCORE ? Qui sont les djihadistes du Sahel que combat la France ?© HO / AAMAQ NEWS AGENCY / AFP Source: AFP
Un groupe affilié à l'Etat islamique photographié à Tongo Tongo au Niger, le 17 mai 2019 (image d'illustration).
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Qui la France combat-elle au Sahel ? Souvent présentés comme désœuvrés et fanatisés, les individus rejoignant les organisations terroristes locales y sont parfois contraints par la faillite de l'Etat. Une réalité qui complique la mission de Barkhane.

La communication se veut martiale : Les forces armées françaises ont «mis hors de combat deux djihadistes» le 4 mai au Mali, apprend-t-on par exemple dans un communiqué du 7 mai de l'Etat-major des armées relatant la mort au combat du légionnaire de première classe Kévin Clément. Et pour cause, régulièrement, les autorités françaises rapportent le nombre de djihadistes tués, de destructions de munitions, de véhicules ou encore de campements dans le cadre de l'opération Barkhane, menée contre les groupes djihadistes sahéliens avec l'aide des militaires estoniens et britanniques, et en partenariat avec les Etats de la région.

BARKHANE : STOP OU ENCORE ? Qui sont les djihadistes du Sahel que combat la France ?
La bande sahélo-saharienne où opère Barkhane, au centre la zone du Liptako malien, également appelée "région des trois frontières".

Mais quid des résultats de cette mission ? Au cours d’un cycle d’auditions réalisé par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le 22 janvier 2020, le général François Lecointre, chef d’Etat-Major des armées, constatait que «la menace terroriste n’a[vait] pas été contenue» dans la région.

Au contraire, celle-ci s’est même étendue en se déplaçant du Mali vers la région du Liptako-Gourma, la zone dite des «trois frontières» (Mali, Niger, Burkina Faso), actuel épicentre de l’activité terroriste dans le Sahel et des combats contre les mouvances considérées comme djihadistes. Cette menace terroriste s'est même étendue au nord-ouest du Nigéria.

D'où provient ce constat d’échec provisoire de l'opération Barkhane ? Tandis que certains experts déplorent un manque de stratégie politique, une autre explication complémentaire est avancée : l'incapacité des autorités françaises et du G5 Sahel (G5S) à appréhender dans sa globalité le fonctionnement et le mode opératoire des principales organisations djihadistes, ainsi que les enjeux et motivations qui poussent des centaines d'individus à les rejoindre. Qui sont donc ces nouveaux visages du djihadisme de la bande sahélo-saharienne (BSS) et pourquoi posent-ils tant problèmes aux forces engagées dans l'opération Barkhane ?

Contre qui se battent les forces armées de Barkhane ?

Une nébuleuse d’entités djihadistes a élu domicile dans la BSS – qui désigne, selon son acception française, l’ensemble stratégique formé par cinq anciennes colonies françaises, la Mauritanie, le Mali, le Burkina-Faso, le Niger et le Tchad – grande comme l'Europe et décrite en 2017 par la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale comme porteuse «d’enjeux prioritaires pour la France». Cette ceinture géographique est devenue une zone d’influence stratégique majeure puisqu'elle connecte la mer Méditerranée, l’océan Atlantique, le Golfe de Guinée et la mer Rouge, sans compter les ressources naturelles dont elle dispose (uranium, or, manganèse, fer, charbon…).

Parmi la kyrielle de groupes djihadistes présents dans cette zone, on trouve trois mouvances principales : le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM ou JNIM en arabe), l'Etat islamique dans la Province d’Afrique de l’Ouest (EIAO, Iswap en anglais) et Boko Haram.

Le GSIM regroupe différentes unités djihadistes au Sahel (Mali, Burkina-Faso et Niger) qui se revendiquent d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), tels qu’Ansar Dine et sa katiba (camp ou unité de combattants) Macina, ainsi que les katibas al-Furqan et al-Mourabitoune (anciennement Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest, MUJAO). Le GSIM est une organisation terroriste armée d'idéologie salafiste, formée le 1er mars 2017 dans un contexte de guérilla proche de l'insurrection au Mali (qui perdure depuis 2012), et dirigée par Iyad Ag-Ghali, «l'ennemi numéro un de la France au Mali», comme le décrivait Le Monde en juillet 2018.

L'EIAO est quant à lui composé de deux branches. L'une opère dans le territoire du lac Tchad et au nord-est du Nigéria. La seconde, l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) qui a intégré l'EIAO en mars 2019, intervient principalement dans la région du Ménaka (au nord-est du Mali) et dans la zone du Liptako-Gourma, mais également au-delà, d’après l’analyste spécialisé dans le Sahel de l'International Crisis Group et chercheur associé au centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales (IFRI) Mathieu Pellerin, pour RFI. L'EIAO, considéré comme l’une des «provinces» de Daesh, est un groupe armé d'idéologie salafiste, créé en mars 2015, dirigé par Abou Abdallah Idrisa ou Abou Abdullah Ibn Umar Al-Barnaoui.

Enfin, deux autres groupes djihadistes opèrent dans l’est du Sahel, principalement au Nigéria mais aussi au Cameroun. Il s’agit de Boko Haram, de son vrai nom Groupe sunnite pour la prédication et le djihad, formé en 2002 et dirigé par Abubakar Shekau, qui a fait allégeance à l’OEI ; et d’Ansaru, l’Avant-garde pour la Protection des Musulmans en Afrique noire, qui est une faction dissidente de Boko Haram dirigée par Abu Usmatul al-Ansari.

Un djihadisme sanctuarisé localement, aux ramifications globales ?

«A l'heure où chacun s'interroge sur l'efficacité de la réponse antiterroriste au Sahel, il s'agit tout d'abord de s'assurer que le phénomène djihadiste est parfaitement compris. Le djihad au Sahel est avant tout "glocal" et doit se comprendre comme résultant des interactions entre les dynamiques qui se jouent au niveau local et à une échelle plus globale», explique Mathieu Pellerin dans une étude de l'Institut français des relations internationales (IFRI) publiée en décembre 2019.

Loin de représenter un mouvement uniforme d’essence religieuse, le djihad sahélien résulte de l’agglomération de foyers insurrectionnels locaux construits sur des fractures sociales, politiques ou économiques – parfois très anciennes 

Et de poursuivre : «Loin de représenter un mouvement uniforme d’essence religieuse, le djihad sahélien résulte de l’agglomération de foyers insurrectionnels locaux construits sur des fractures sociales, politiques ou économiques – parfois très anciennes et qui ont sédimenté. Avec l’extension des groupes djihadistes au centre et au sud du Sahel, loin de leurs bases historiques, cette dimension religieuse risque d’être encore moins perceptible à l’avenir. Elle laissera place à des formes de violence hybrides où autodéfense, rébellion et djihadisme se nourrissent les unes des autres.»

Selon le chercheur français, ces organisations djihadistes présentes dans la BSS sont indirectement et partiellement le fruit des décombres de la guerre civile algérienne (1991-2002) qui opposa le gouvernement algérien à divers groupes islamistes. Ces derniers, vaincus, refusèrent la politique d’amnistie («concorde civile») du président Abdelaziz Bouteflika promulguée en 1999 et se réfugièrent au nord du Mali et du Niger où ils se sont sanctuarisés. «Le djihadisme sahélien est donc d'inspiration étrangère et plusieurs de ces organisations sont, encore actuellement, dirigées par des étrangers (Sahraouis, Algériens, Mauritaniens)», explique Mathieu Pellerin à RFI.

Si l’emphase est souvent mise sur la communauté peule, il faut rappeler que les groupes djihadistes recrutent au sein de toutes les communautés sans exception

Toutefois, «cette sanctuarisation s’est faite en pénétrant les sociétés sahéliennes et en recrutant majoritairement en leur sein. Les groupes djihadistes sont donc aujourd'hui essentiellement composés de Nigériens au Niger, de Maliens au Mali, de Nigérians au Nigeria et de Burkinabè au Burkina», précise Mathieu Pellerin.

Par la suite, l’expansion des organisations djihadistes à l’ensemble de la bande sahélo-saharienne où les densités de population sont plus importantes qu'au Sahara, tout comme le nombre de peuples et d’ethnies aux modes de vies très différents, a modifié la composition de ces groupes. En effet, «les populations arabes et touarègues y sont moins nombreuses, au contraire notamment de la communauté peule, fortement représentée au sein des groupes djihadistes, qu’il s’agisse de JNIM [GSIM] ou de l'EIGS», détaille Mathieu Pellerin.

Et de poursuivre : «Si l’emphase est souvent mise sur la communauté peule, il faut rappeler que les groupes djihadistes recrutent au sein de toutes les communautés sans exception. L'EIGS compte des cadres daoussahak [Berbères pasteurs vivant dans le nord-est malien], des Djerma [ou Zarmas, sous-groupe des Songhaï vivant essentiellement au Niger], des Gourmantché [peuple établi principalement au Burkina-Faso], etc. La katiba Macina d'Ansar Dine compte des cadres dogons [peuple de cultivateurs et de forgerons vivant au Mali] et bambaras [peuple d’Afrique de l’ouest sahélienne établi majoritairement dans le sud de l’actuel Mali]. C'est ça les nouveaux visages du djihadisme au Sahel : là où les observateurs se focalisent sur un soi-disant "djihad peul", les groupes s'ingénient à recruter bien au-delà de cette communauté...»

Autre élément : face la déliquescence de Daesh au Moyen-Orient et au chaos en Libye consécutif à la mort de Mouammar Kadhafi en 2011, les djihadistes issus de ces territoires se replient sur la BSS. «C’est un djihad à la fois de plus en plus local mais qui pourrait être exposé à une tentative d’emprise de la part des chefs djihadistes opérant au Moyen-Orient, au Maghreb, pour qui le Sahel (et l’Afrique plus largement) est le dernier territoire d’expansion», estime Mathieu Pellerin.

De fait, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et l'Etat islamique dans la Province d’Afrique de l’Ouest sont en quête d’expansion territoriale, notamment vers le sud du Sahel, via le Burkina-Faso, et le Golfe de Guinée, mais également envers leurs propres territoires historiques réciproques, donnant lieu à des conflits restreints entre eux. Toutefois, ces deux groupes armés présentent «autant de divergences de fond que d’intérêts à avancer ensemble face un ennemi qui fait front commun, à savoir les Etats sahéliens et leurs partenaires régionaux et internationaux. Ces divergences tiennent en particulier à leur position vis-à-vis de l’appartenance communautaire, au respect de la vie civile et des autres religions ou encore à l’opportunité de dialoguer avec les Etats», décrypte encore le chercheur.

«L'engagement des jeunes n'était pas l'aboutissement d'un processus d'endoctrinement religieux»

Mais quel est le profil des individus qui s'engagent dans ces multiples organisations terroristes locales ? «Chômeurs, désœuvrés et fanatisés. C’est ainsi que sont généralement présentés les jeunes qui grossissent les rangs des groupes armés djihadistes au Mali», peut-on lire dans une étude de l’Institut d’études de sécurité (ISS) publiée en août 2016. En effet, ces individus sont très majoritairement représentés, notamment à travers le prisme médiatique, comme des «fous de Dieu» prêts à donner leur propre vie pour imposer leur interprétation de la charia à tout un chacun, selon une stratégie de djihad armé global.

Or, d'autres motivations, notamment économiques et sécuritaires ont mené des centaines de jeunes à quitter leur foyer pour rejoindre ces groupes. En outre, certaines organisations djihadistes s'assimilent plus à des insurrections locales nourries par des enjeux sociétaux et socio-économiques qu’à des appendices d’une guerre de religion mondialisée.

C’est ce qu'a démontré l'ISS au Mali en 2016, lorsque plusieurs de ses chercheurs se sont entretenus avec 63 anciens membres d'organisations djihadistes locales, âgés de 17 à 75 ans, dont 19 en milieu carcéral. Les données collectées ont tout d’abord mis en évidence «la diversité des rôles au sein des groupes. Les ex-engagés ["ex-engagé" ne signifie pas nécessairement que l’engagement a été volontaire] n’étaient pas tous des combattants. A titre d’exemples, certains puisaient de l’eau, préparaient les repas, fournissaient des informations, dirigeaient les prières, apprenaient ou enseignaient le Coran. D'autres encore assuraient le ravitaillement en carburant, organisaient des patrouilles, ou agissaient comme chauffeurs, secrétaires, messagers, coursiers, mécaniciens ou réparateurs de motos», rapporte l’étude de l'ISS. Ces personnes peuvent difficilement être considérées comme un groupe homogène de djihadistes prêts à combattre jusqu'à la mort par conviction.

Des facteurs qui n'ont rien d'économique, de religieux ou d'idéologique expliquent la présence de jeunes dans les rangs des groupes armés djihadistes au Mali

Ensuite, parmi les conclusions de l'institut, il ressort de ces entretiens que «des facteurs qui n'ont rien d'économique, de religieux ou d'idéologique expliquent la présence de jeunes dans les rangs des groupes armés djihadistes au Mali». En effet, pas moins de 15 catégories de facteurs d'engagement des jeunes ont été recensés par l'équipe de chercheurs, allant de la coercition à l'éducation, en passant par l'influence/obéissance, le politique, le référent religieux, la protection et la famille.

«Non seulement ces facteurs sont multiples mais ils interagissent généralement, varient en fonction des individus, des groupes, des localités et évoluent dans le temps», explique la note de l'ISS. Et d'ajouter : «De plus, les raisons pour lesquelles un individu s’associe à un groupe ne sont pas nécessairement celles qui le conduiront à y rester ou à le quitter.»

Le motif religieux semble n’occuper qu’une place marginale dans le ralliement des jeunes qui ont été interrogés

Alors qu'«un accent particulier est généralement mis sur le rôle de la religion dans les facteurs qui poussent les jeunes à s’engager dans les groupes armés djihadistes», dans «la plupart des cas documentés par cette étude, l’engagement des jeunes n’était pas l’aboutissement d’un processus d’endoctrinement religieux. Le motif religieux semble n’occuper qu’une place marginale dans le ralliement des jeunes qui ont été interrogés. Lorsque la dimension religieuse a joué un rôle, il s’est agi d’individus disposant d’un faible niveau d’éducation religieuse», peut-on encore lire dans l’étude de l'ISS.

«L'absence ou la faiblesse de l'Etat», le chômage et la coercition comme raisons majeures d'engagement ?

Même si «on assiste aujourd'hui à une radicalisation de l'islam, ou à une "islamisation de la radicalité", selon l’expression du politiste Olivier Roy» reprise dans le Monde Diplomatique, d'autres facteurs que la ferveur religieuse, bien plus terre-à-terre, poussent des jeunes à intégrer les réseaux djihadistes.

L'absence ou la faiblesse de l’Etat, vécue par les populations comme un signe d’abandon ou de désintérêt, a souvent été pointée du doigt pour expliquer le ralliement de jeunes. Certains groupes ont tenté de s'y substituer en assurant les services sociaux de base

«De nombreux ex-engagés ont mis en avant une volonté de protection pour expliquer leur ralliement aux mouvements djihadistes. Ils ont évoqué la préservation de leur intégrité physique, celle de leurs familles et de leurs communautés, ainsi que la protection de leurs biens et de leurs activités génératrices de revenus», souligne l'étude de l'ISS.

Outre la multiplication des vols de bétail dont sont victimes bon nombre de populations, notamment les Peuls au Mali et au Niger pour qui il s'agit souvent de l'unique source de revenus, «l'absence ou le retrait des forces de défense et de sécurité» gouvernementales explique un besoin de protection, d'après l'équipe de chercheurs de l'institut.

«Cela ne signifie pas pour autant que la présence ou le retour de l’appareil sécuritaire suffirait à résoudre le problème. En effet, selon des jeunes interviewés même lorsqu'il était présent, ses dérives ont profondément sapé sa légitimité. Ainsi, son incapacité à assurer la sécurité des personnes et des biens est l’une des raisons pour lesquelles ils ont intégré ces groupes [djihadistes]», nuance l'étude de l'ISS.

«L'absence ou la faiblesse de l’Etat, vécue par les populations comme un signe d’abandon ou de désintérêt, a souvent été pointée du doigt pour expliquer le ralliement de jeunes. Certains groupes ont tenté de s'y substituer en assurant les services sociaux de base. Pour autant, le simple retour de l’Etat ne constitue pas forcément la solution au problème» puisqu'«une administration corrompue et une justice partiale peuvent rendre sa présence néfaste», analysent les chercheurs de l'institut.

En outre, ces derniers ont confirmé «l’existence du lien largement admis entre le chômage des jeunes et leur implication dans les groupes concernés». Les données récoltées «démontrent toutefois que la situation est plus complexe qu’il n’y paraît. Le chômage – compris de façon large dans le contexte malien – est un facteur parmi d’autres au sein d’une catégorie de déterminants économiques qui comprend notamment la pauvreté, la difficulté à subvenir aux besoins de base ou encore le manque de perspectives». Ainsi, l'appât du gain, voire le goût de l'aventure, ont également été des facteurs importants pour certains jeunes dans un contexte d’effondrement général de l’ordre public.

Enfin, un rapport du think tank International Crisis Group publié en mai 2019, consacré à la guérilla dans le centre du Mali, constate que «tous les membres de la katiba Macina ne se sont pas enrôlés de plein gré». Et d'ajouter : «Les dirigeants djihadistes forcent souvent les familles du delta intérieur à y inscrire leurs enfants sous peine de sanctions. Les commandants de zones ou les sympathisants peuvent inciter leurs jeunes parents à rejoindre le mouvement, ce qu'ils ne font parfois qu’à contrecœur.»

L'opération Barkhane doit-elle reconsidérer l'ensemble de sa stratégie ?

La France et ses partenaires sur le terrain ont-ils pris la mesure de la complexité intrinsèque du phénomène djihadiste local ? Et sont-ils en mesure de l'enrayer ?

Outre le bilan négatif quant à l'éradication des cellules djihadistes dans la bande sahélo-saharienne, le général Lecointre avait constaté, devant le Sénat le 22 janvier 2020, que l’opération Barkhane n'avait pas été «accompagnée d'un retour de l'appareil d'Etat ni de refonte efficace des forces armées, notamment maliennes».

C'est pourquoi Emmanuel Macron avait réuni les présidents du G5 Sahel lors du sommet de Pau le 13 janvier 2020, afin de reconfigurer la stratégie de l'opération Barkhane selon quatre piliers. Le premier visait à renforcer le dispositif militaire de 600 soldats français accompagnés par la nouvelle Task Force Takuba, composée de forces spéciales de pays européens, dès l'été 2020. Le second pilier annoncé à Pau traitait de la «reconstruction et la formation des armées partenaires».

La raison de cette incompréhension est précisément qu'ils occultent leur dimension sociétale, insurrectionnelle pour n'y voir que l'expression de "bandits armés", de "trafiquants" ou de simples badauds attirés par l'argent offert par les groupes djihadistes

Toutefois, nuance le général Lecointre, «la lutte directe contre le terrorisme et le renforcement des capacités militaires des forces conjointes du G5 Sahel n’ont de sens que si les deux autres piliers – le retour de l'Etat et de l'administration sur tous les territoires, et l'aide au développement – sont réellement mis en œuvre». En définitive, le constat dressé par le général Lecointre «est la nécessité d’un effort multidimensionnel et international d’accompagnement des armées du G5S et de développement économique et administratif de long terme, pour stabiliser le Sahel».

C'est pourquoi «la volonté de mieux cerner les facteurs et les processus qui ont mené certains jeunes à se retrouver dans des groupes armés djihadistes ne procède pas d’un exercice intellectuel superflu. C’est en effet la compréhension de ce phénomène complexe, multiforme, variant selon les individus, les groupes et les régions, qui déterminera la qualité des réponses proposées et leur mise en œuvre pour y faire face», préconise l'ISS.

Sans quoi, affirme Mathieu Pellerin pour RFI : «L’exclusion politique, la marginalisation communautaire, la permanence de situations d’esclavage par ascendance, le racket des communautés les plus fragiles, l’absence de perspectives de communautés déclassées sont autant de situations perçues comme "injustes" par ceux qui les vivent et qui leur donne des raisons objectives de prendre les armes.»

«Il s'agit là d'un danger pour les Etats concernés qui ne comprennent bien souvent ni la rapidité avec laquelle ces violences se généralisent, ni l'ampleur avec laquelle elles éclatent», avertit-il dans une étude de l'IFRI. Et de poursuivre : «La raison de cette incompréhension est précisément qu'ils occultent leur dimension sociétale, insurrectionnelle pour n'y voir que l'expression de "bandits armés", de "trafiquants" ou de simples badauds attirés par l'argent offert par les groupes djihadistes. Ces cas-là existent bien évidemment, mais ils ne constituent que la face émergée et surtout rassurante que les autorités souhaitent retenir» dans l'élaboration des stratégies de l'opération Barkhane.

Alexandre Job

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