Algérie : retour sur six mois de bras de fer entre les manifestants et le pouvoir

Algérie : retour sur six mois de bras de fer entre les manifestants et le pouvoir© Ramzi Boudina Source: Reuters
Manifestation pour demander le retrait des tenants du système politique à Alger, en Algérie, le 5 avril 2019 (image d'illustration).
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L'Algérie vit actuellement un bouillonnement politique sans précédent. Depuis le 22 février, la contestation bat son plein et a déjà remporté d'importantes victoires. Retour sur six mois de mobilisation. Infographie chronologique.

L'Algérie a connu ces six derniers mois une effervescence politique que la population n'avait plus vécue depuis plusieurs décennies.

Le 22 février démarraient des manifestations massives à travers tout le territoire pour protester contre le fait que le président Abdelaziz Bouteflika, lourdement handicapé par un AVC en 2013, ait «osé» – encore une fois – se présenter pour briguer un cinquième mandat aux élections qui devaient se tenir initialement le 18 avril.

Cette initiative qui a été considérée comme un «énième affront» a fait exploser une colère longtemps contenue dans la population qui soupçonnait les proches de Bouteflika et certains généraux d'usurper le pouvoir en se livrant une guerre de clans dont le peuple faisait les frais.

Avec un pacifisme et un civisme largement salués, les Algériens ont manifesté par millions durant plusieurs mois et ce 23 août marque le 27e vendredi d'affilée de mobilisation. Si les nombre des manifestants est moins impressionnant que durant les premiers mois, la détermination semble rester intacte. Le mouvement du 22 février a en effet ouvert la brèche à une liberté d'expression politique dont les Algériens avaient soif et les succès obtenus depuis cette date leur donnent le sentiment réjouissant de se réapproprier la souveraineté du pays.

Retour sur la chronologie des événements

Fin mars, le chef d'Etat-major Ahmed Gaïd Salah lâche le président Bouteflika, le poussant vers la sortie, avant d'annoncer le 2 avril que l'armée soutient «le peuple jusqu’à la satisfaction de ses revendications». Le même jour, Abdelaziz Bouteflika capitule et annonce sa démission.

Le patron de l'armée devient alors de facto l'homme fort du pays et exige une application stricte de la Constitution. De fait, Abdelkader Bensalah, le président du Conseil de la Nation (l'équivalent algérien du Sénat) et fidèle de Bouteflika, est nommé président par intérim pour 90 jours. Un gouvernement de transition est alors formé et les personnalités qui le constituent sont soit des politiques ayant déjà servi sous Bouteflika, soit des inconnus du grand public. 

Loin de se contenter de leur première victoire – la démission de Bouteflika –, les contestataires algériens estiment au contraire se faire léser avec ce qui s'apparente à un jeu de chaises musicales entre les tenants d'un même pouvoir. Ils exigent immédiatement que tous ceux qui ont servi l'ancien système «dégagent tous» et maintiennent la pression dans la rue.

Manifestations, débats improvisés, conférences, formations gratuites par des professeurs de droit constitutionnel, ateliers consitutants, concerts : tout le monde participe à l'effervescence citoyenne joyeuse et contagieuse.

Opération «mains propres»

Fin avril, le général Ahmed Gaïd Salah affirme que l’armée détient de «lourds dossiers de corruption», allant même jusqu'à parler d'une «bande» qui aurait confisqué le pouvoir au peuple et «de faits de spoliation des fonds publics avec des chiffres et des montants faramineux».

Il promet une opération «mains propres». Le 4 mai, Saïd Bouteflika, l'influent frère et conseiller de l'ex-président, le général Médiène, dit «Toufik», et le général Tartag sont arrêtés. Le lendemain, ces trois pontes du système sont placés sous mandat de dépôt après avoir comparu devant le tribunal militaire.

Ces trois hommes, que les Algériens croyaient intouchables quelques semaines auparavant, ont même été filmés, menottés, à l'entrée de la prison. Ils représentaient pour la population un pouvoir obscur et arbitraire qui pratiquait la hogra (le mépris des petites gens). Ils sont désormais hors d'état de nuire.

Des dizaines d'autres hauts responsables ont été arrêtés depuis. Mais la mobilisation se poursuit en dépit de toutes ces arrestations spectaculaires et des gages donnés par le pouvoir intérimaire de ne pas s'immiscer dans le processus démocratique à venir.

La confiance est rompue

Les élections qui devaient se tenir le 18 avril ont évidemment été annulées, mais aussi celles qui devaient avoir lieu le 4 juillet, à l'issue de la période de transition, faute de candidats.

C'est la rue qui a refusé ces élections, les manifestants arguant qu'aucun suffrage ne peut être organisé sous la houlette du pouvoir actuel, aussi éphémère soit-il et quels que soient ses engagements.

Malgré tous ces gages qu'il a donnés, le général Gaïd Salah est décrié et les manifestants réclament sans cesse son départ. Mais il est toujours là, et l'armée semble le soutenir. Les manifestants, eux, ne lui pardonnent pas d'avoir collaboré avec Bouteflika toutes ces années durant et le soupçonnent lui aussi de corruption et d'abus de pouvoir. Aucune enquête à son encontre n'a été ouverte.

D'autre part, en annonçant que les détenteurs de tout autre drapeau que l'emblème national durant les manifestations seraient arrêtés, Gaïd Salah a été vu comme un diviseur, voulant monter les Kabyles contre le reste de la population, mais les manifestants ont montré une solidarité certaine, refusant tout régionalisme et revendiquant la fraternité. Plusieurs dizaines de personnes ayant brandi le drapeau amazighsont encore détenues à ce jour. Les manifestants et de très nombreux avocats et personnalités réclament la libération immédiate de ces «détenus d'opinion».

Le 3 juillet, le président par intérim a annoncé la création d'une instance de dialogue menée par des personnalités «indépendantes, crédibles et sans ambition électorale», en vue d'organiser une élection présidentielle le plus tôt possible pour sortir le pays de la crise. Un panel de plusieurs personnalités a été désigné pour mener le dialogue fin juillet mais certaines d'entre elles sont déjà largement décriées lors des manifestations.

Depuis le 9 juillet, le pays vit hors de tout cadre constitutionnel. Le président et le gouvernement par intérim ont été maintenus. Ni le jeûne du ramadan, ni la chaleur caniculaire de l'été, ni la victoire des Fennecs à la Coupe d'Afrique des Nations n'ont pu faire diversion ni n'ont eu raison de la mobilisation qui se poursuit chaque mardi et chaque vendredi. La rentrée de septembre devrait donner la température des futures échéances.

A ce jour, si l'enthousiasme de s'être réapproprié la chose politique est toujours prégnant, les perspectives restent très floues. Comment procéder pour organiser des élections acceptées par la contestation ? Faut-il mettre en place une assemblée constituante ? Les questions sont nombreuses et les détenteurs du pouvoir décisionnel vus comme illégitimes.

Une chose est sûre, l'Algérie ne pourra pas rester trop longtemps dans ce vide constitutionnel. Lutte contre le terrorisme, attributions des marchés, définition des stratégies, budget, la gestion économique et géopolitique du pays sont des enjeux colossaux qui risquent d'être fragilisés par une instabilité trop longue, sachant qui plus est qu'aucune décision du gouvernement par intérim n'est jugée légitime par la population.

Meriem Laribi

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