Couvre-feu : jusqu'à quand et pourquoi ?

Couvre-feu : jusqu'à quand et pourquoi ?© AFP / THOMAS SAMSON
Le ministre de la Santé Olivier Véran à l'occasion d'une conférence de presse sur les mesures sanitaires, le 18 février 2021.
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Le 14 janvier 2021, Jean Castex annonçait l’élargissement du couvre-feu à 18h sur l’ensemble du territoire. Depuis, l'exécutif reste flou quant à la date de levée de ce dispositif. En attendant, des voix montent pour contester sa pertinence.

Voilà plus d'un mois que l'exécutif a annoncé la mise en place d'un couvre-feu à 18h sur l'ensemble du territoire national afin d'endiguer la pandémie de Covid-19. Le 14 janvier, le Premier ministre Jean Castex expliquait que ce couvre-feu était nécessaire pour éviter un troisième confinement, tout en précisant que cette mesure de restriction allait être mise en place pour «au moins 15 jours».

Depuis, aucune date n’a été officiellement avancée par le gouvernement s’agissant de la levée de cette restriction sanitaire. Le gouvernement se montre pour le moins prudent : «Nous sommes parvenus à ne pas reconfiner le pays au mois de janvier, mais les semaines devant nous sont des semaines clés. Il n'a pas lieu d'alléger aujourd'hui le couvre-feu», a déclaré le ministre de la Santé, Olivier Véran, à l’occasion d’une conférence de presse organisée le 18 février. La veille, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, avait martelé : «Nous devons maintenir nos efforts et éviter tout relâchement» face à une situation jugée très fragile.

Le 20 février, le ministre de la Santé a même déclaré envisager un couvre-feu «accentué» ou un «confinement partiel ou total» dans les Alpes-Maritimes, un département en proie à une flambée épidémique.

En outre, des informations rapportées par plusieurs médias évoquent des projets envisagés par l'exécutif pour les semaines à venir. Ainsi, selon les informations de BFMTV, l'exécutif souhaiterait attendre la fin des vacances scolaires d'hiver, soit le 8 mars, avant de mettre en œuvre un éventuel ajustement des restrictions sanitaires.

Enfin, selon France Info citant des participants à un échange par visioconférence avec une quinzaine de parlementaires de la majorité, le président de la République Emmanuel Macron aurait évoqué le 19 février un potentiel «scénario de résilience» comprenant un allègement des contraintes sanitaires. Le chef de l'Etat aurait souligné la nécessité d'œuvrer «dès maintenant sur une sortie des dispositifs de contraintes», selon un invité cité par la chaîne publique.

Ce flou quant au devenir du couvre-feu a suscité l'agacement de membres de l'opposition ces derniers jours. Par exemple, le député de La France insoumise (LFI) François Ruffin a tweeté le 18 février : «Les Français ne sont pas des veaux : il faut une lumière au bout du tunnel. Alors, jusqu’à quand ?»

Le même jour, le député européen et membre du Rassemblement National, Jordan Bardella, s’est étonné de ne pas avoir de nouvelles du gouvernement : «Le couvre-feu à 18h et les fermetures généralisées vont durer combien de temps encore ?»

Couvre-feu : des études et analyses contradictoires

Interrogé par France Inter le 19 janvier pour justifier la mise en place du couvre-feu à l'échelle nationale, le ministre de la Santé, Olivier Véran, avait déclaré : «Je mets des réserves évidemment, mais d’après les chiffres dont je disposais hier soir, on voyait que dans les 15 départements qui avaient été mis sous couvre-feu à 18h dès le 2 janvier, l'incidence [et] le nombre de nouveaux diagnostics étaient plutôt en baisse.» Cette évolution était de «moins 16% à peu près sur une semaine» – le taux d'incidence est un indicateur très suivi des autorités qui correspond au nombre de personnes testées positives en une semaine sur 100 000 habitants.

Depuis lors, la certitude des autorités quant à l'efficacité de ce dispositif semble s’être érodée. Le 28 janvier, Olivier Véran tenait une nouvelle conférence de presse en déclarant que «le couvre-feu à 18h a une efficacité […], mais elle s'estompe et ne suffit pas à faire reculer le virus», comme le rapportait Le Parisien.

Si l'exécutif présente le couvre-feu comme un moindre mal, comparativement au confinement, son efficacité en matière d'endiguement de la pandémie fait l'objet de questionnements. 

Il est difficile à l'heure actuelle de trouver des études complètes sur sa pertinence en France. Courant décembre 2020, des chercheurs de Santé publique France ont mené une enquête précoce pour tenter de répondre à la question de l’efficacité de ce dispositif. Dans cette publication, et alors que plusieurs départements français étaient en situation de couvre-feu, les auteurs analysaient l'évolution des indicateurs épidémiques dans 22 métropoles françaises. Ces villes avaient été réparties en trois groupes : les métropoles placées sous couvre-feu dès le 17 octobre (Grenoble, Lille, Lyon, Aix-Marseille, Montpellier, Paris, Rouen, Saint-Etienne et Toulouse) ; celles où il a été appliqué à partir du 24 octobre (Clermont, Dijon, Nancy, Nice, Orléans, Rennes, Strasbourg, Toulon et Tours) ; et celles qui n'ont pas été soumises à un couvre-feu (Bordeaux, Brest, Metz et Nantes).

«On observe clairement un ralentissement plus précoce de l'augmentation du taux d'incidence dans les métropoles où le couvre-feu a débuté le 17 octobre», expliquait au Parisien l'épidémiologiste Patrick Rolland, l'un des auteurs de l'étude, qui soulignait aussi que «très clairement, les données des tests et les données hospitalières sont en faveur d'un impact de ces premiers couvre-feux».

Dans le point épidémiologique de Santé publique France du 4 février, il est aussi fait état de l'impact des couvre-feux anticipés sur la dynamique de l'épidémie. L'organisme a constitué trois groupes de départements qui ont connu le début du couvre-feu à des dates différentes. Dans ce bulletin, Santé publique France établit une corrélation entre la diminution des taux d'incidence et la mise en place des couvre-feux.

A l'inverse, selon une étude de fin janvier publiée par le laboratoire de virologie du CHU de Toulouse dans la revue scientifique Journal of Infection, le couvre-feu dès 18h dans la ville rose à partir du 15 janvier aurait été contre-productif. «Le couvre-feu de 18h avait pour but de maintenir la circulation du SARS-CoV-2 sous contrôle après la période de Noël/Jour de l'an, mais il a eu l'effet inverse dans l'ère urbaine de Toulouse», indiquent les auteurs, ajoutant comme piste explicative que cette mesure restrictive s'est traduite par une concentration des clients dans les boutiques et supermarchés, pressés de faire leurs courses avant le couvre-feu.

L'efficacité même du confinement strict, dont le couvre-feu serait une version moins radicale, a été remise en cause début janvier dans une étude parue dans le European Journal of Clinical Investigation. Une étude dont les conclusions, soulignait Les Echos, «enflammaient» la communauté des épidémiologistes, virologues et autres spécialistes de la pandémie. Cet exemple illustre le fait que des débats traversent toujours la communauté scientifique au sujet de l'efficacité des mesures restrictives contre le Covid-19.

Des effets psychologiques dévastateurs, en particulier chez les jeunes

Mais le couvre-feu (et plus largement les mesures restrictives) n'est pas jugé par la classe politique et la société civile qu'à l'aune de son efficacité contre la pandémie. Un certain nombre de voix se sont élevées contre les effets psychologiques de ce type de mesures, ses effets économiques sur certaines professions et l'atteinte aux libertés qu'il représente.

Ainsi, le président des Patriotes Florian Philippot dénonce une «domestication insidieuse» des Français et appelle régulièrement ces derniers à se réveiller face aux mesures restrictives prises pour lutter contre la pandémie, qu'il qualifie de «coronafolie ». La voix du député et président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, s’est aussi fait entendre, dénonçant le 13 février sur Twitter le fait que  «les commerçants n’en peuvent plus d’un couvre-feu à 18h complètement contre-productif sur le plan sanitaire et qui ruine notre économie». Interrogé le 16 février dernier sur RMC par Jean-Jacques Bourdin, le député s’est également demandé si «stresser toute la France pour rentrer à 18h» était utile sur le plan sanitaire. 

Car les effets psychologiques du couvre-feu pèsent sur la population, relèvent de nombreux acteurs du monde médical. Par exemple, dans un entretien accordé au journal Paris Normandie, le psychologue Mathias Toulemonde basé à Dieppe et Gournay-en-Bray (Seine-Maritime), estime que le couvre-feu est particulièrement difficile à accepter : «Les gens ont vraiment la sensation de privation de liberté. Petit à petit, on nous [en] dessaisit. Il ne reste que l’espace du travail et de la productivité. Les salariés ont l’impression de devenir des machines à travailler. Ils ne peuvent plus sortir prendre l’air ou se détendre. Il est vraiment vécu plus difficilement que les confinements», fait-il valoir. Selon le psychologue, il y a «une fragilisation psychologique. On ne voit pas le bout du tunnel. Certains ont tendance à baisser les bras», poursuit-il.

Autre personnalité qui alerte les autorités sur les effets dévastateurs des restrictions sanitaires, et notamment sur les jeunes, le vidéaste Hugo Travers est à la tête de la chaîne HugoDécrypte suivie par plus de 1,15 million d'abonnés. Depuis plusieurs semaines, ce youtubeur de 24 ans appelle les autorités à prendre conscience de l’état psychologique terrible dans lequel se trouvent nombre de jeunes. Dans une vidéo publiée le 31 janvier, il donne la parole à des jeunes et des étudiants qui témoignent de leur détresse psychologique. «Une impression de solitude, aucune vie sociale », «un sentiment de ras-le-bol», «j’ai plus d’espoir », «je suis sous antidépresseurs », «pour la première fois, j’ai des pensées suicidaires », peut-on notamment entendre dans cette vidéo d’un peu plus de trois minutes.

Auteur: HugoDécrypte

Une détresse psychologique à laquelle s’ajoute une autre d'ordre financier : selon Anne Brunner, directrice d’études à l'Observatoire des inégalités, la part des jeunes qui vivent sous le seuil de pauvreté a très fortement crû ces 15 dernières années et «ce phénomène qui existait avant la crise n’a fait que s’aggraver».

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