Un semestre de mobilisation : quels sont les premiers accomplissements des Gilets jaunes ?
Déterminés à faire mentir les présages d'un mouvement qui «s'essouffle», les Gilets jaunes sont mobilisés depuis six mois, dans un contexte inédit. Au-delà des bilans défavorables, quels changements a provoqué ce mouvement ?
Le 17 novembre 2018 marquait le premier acte de la mobilisation nationale des Gilets jaunes. Six mois plus tard, malgré les récurrentes prédictions pessimistes de nombre d'observateurs, le mouvement mobilise encore de part et d'autre de l'Hexagone même si le nombre de manifestants chaque samedi tend à décroître.
A mesure qu'elle s'est inscrite dans la durée, la mobilisation a fait l'objet de bilans successifs, portant souvent sur le coût matériel de la contestation – celui-ci était par exemple estimé par la Fédération française de l'assurance (FFA), le 19 mars 2019, à 200 millions d'euros. Certains journalistes sont même allés jusqu'à brandir un bilan humain, évoquant la responsabilité des Gilets jaunes dans la mortalité routière.
(1/10) [Thread] #GiletsJaunes, plus d'un semestre déjà !
— Fabien Rives (@Fabien_Rives) 16 mai 2019
Vous avez entendu parler du coût des dégâts, d'un mouvement qui s'essouffle...
Et si on s’intéressait aux changements qu'ont apportés les GJ, après 6 mois de mobilisation ?
[Liste non-exhaustive]
A dérouler 📃👇 pic.twitter.com/0G8LRlxjrU
Pouvoir d'achat
L'élément déclencheur du mouvement a été une hausse des taxes sur les carburants. Les Gilets jaunes n'ont pas tardé à obtenir gain de cause en faisait reculer l'exécutif. En effet, au soir du 5 décembre, le gouvernement revenait sur son projet d'augmentation des «taxes carburant», cédant sous le feu des critiques qui lui reprochaient d'avoir voulu «faire de l'écologie sur le dos des pauvres».
Lire aussi : «Pas d'entourloupe» : l'Elysée renonce à augmenter les taxes sur le carburant pour 2019
En outre, Emmanuel Macron a finalement annoncé, en réponse au mouvement citoyen, qu'il demanderait aux employeurs de verser des primes entre fin 2018 et début 2019. De fait, un bilan définitif montre que la prime exceptionnelle défiscalisée a concerné plus de 5,5 millions de salariés, qui ont reçu en moyenne 400 euros. Un coup de pouce ponctuel et inattendu, qui n'en reste pas moins à mettre au crédit des Gilets jaunes et de leur mobilisation et qui aura bénéficié à un grand nombre de salariés.
Le 10 déc, Macron, de crainte que les gilets jaunes ne contaminent le reste du salariat, a demandé aux patrons de verser une « prime de fin d’année jusqu’à 1000 euros ». Dans 74 % des entreprises les salariés ont reçu une prime grâce aux gilets jaunes Bravo les gilets jaunes ! pic.twitter.com/JHt03KxU70
— Gerard Filoche (@gerardfiloche) 20 février 2019
Quant à l'augmentation de la prime d'activité, là aussi, si l'analyse de la mesure est plus nuancée, elle démontre bien un revirement du gouvernement, qui avait prévu de l'échelonner sur quatre ans. Emmanuel Macron a finalement annoncé qu'elle augmenterait de 80 euros en une fois, non sans avoir essayé de la déguiser (en vain) en hausse du SMIC.
Solidarité et fraternité aux ronds-points
Sur le volet humain cette fois, le mouvement des Gilets jaunes a permis de créer des liens entre des personnes qui ne se connaissaient pas ou ne se parlaient pas. La mobilisation aux ronds-points a notamment été marquée par une atmosphère conviviale, selon nombre de ses participants. De nombreuses scènes témoignent ainsi d'élans de solidarité entre citoyens engagés.
Cette solidarité et ces témoignages de fraternité ont été particulièrement visibles au moment des fêtes, alors que des Gilets jaunes décidaient de réveillonner ensemble dans les cabanes des ronds-points, pour Noël comme pour le Jour de l'an. Ces initiatives ont d'ailleurs permis de redonner une visibilité à des citoyens jusqu’alors quasi-absents du paysage médiatique.
Révélations
Au-delà d'avoir apporté de la visibilité à une partie de la population française, le mouvement des Gilets jaunes a également permis de mettre en lumière d'autres phénomènes. En témoigne par exemple l'exacerbation du fossé entre une catégorie de citoyens et une certaine partie du monde médiatique, les deux ayant exprimé leur défiance réciproque au fil du mouvement.
En outre, la remise en question par les Gilets jaunes de la parole officielle a mis au jour certaines pratiques de l'exécutif, plus ou moins connues jusqu'alors. Les chiffres de la mobilisation livrés par le ministère de l'Intérieur ont par exemple été contestés, samedi après samedi, par les Gilets jaunes, leur décalage avec ceux annoncés par la presse régionale étant parfois flagrant.
Plus généralement, la remise en cause de la parole officielle a permis de clarifier le débat politique sur plusieurs points, notamment alors que naissait la gronde face à l'augmentation des taxes sur le carburant : dans ce climat de contestation grandissante, on apprenait ainsi que l'objet initial de cette taxe n'était pas directement lié, comme annoncé par le gouvernement, au renfort du budget de la transition écologique...
Par ailleurs, en portant certaines revendications, les Gilets jaunes ont également nourri le débat public avec des idées nouvelles ou ne bénéficiant jusque là que d'une exposition médiatique restreinte. Le mouvement a par exemple remis au goût du jour l'idée d'un système de démocratie directe, par ailleurs plébiscité par les Français dans leur ensemble. De fait, selon un sondage Elabe pour BFMTV, 73% des Français se montraient favorables au RIC (référendum d'initiative citoyenne) au mois de février 2019.
Défense des biens publics
Né de la contestation d'une taxe, le mouvement des Gilets jaunes a permis de porter à l'échelle nationale d'autres thématiques, souvent directement liées au pouvoir d'achat, mais aussi à des sentiments d'injustice et d'abandon vécus par nombre de citoyens mobilisés. Ainsi, «l'abandon» par l'Etat du groupe Aéroports de Paris (ADP), à travers le projet gouvernemental de cession du groupe au secteur privé, a par exemple fait l'objet d'une vive contestation.
Lire aussi : Flashmob de Gilets jaunes à Roissy contre la privatisation annoncée d'ADP (VIDEO)
En réalisant plusieurs actions ciblées à ce sujet, les Gilets jaunes ont ainsi activement contribué à intensifier le débat national sur la sauvegarde des biens publics. Trois jours après un recours déposé par des Gilets jaunes et militants au conseil constitutionnel, celui-ci ouvrait la voie à l'organisation d'un référendum sur la privatisation d'ADP, retardant de fait le projet de cession initialement envisagé par le gouvernement.
Durant son premier semestre de mobilisation, le mouvement des Gilets jaunes a certainement bouleversé la société française, ne manquant pas d'éprouver le chef de l'Etat en personne, celui-ci incarnant l'une des cibles les plus récurrentes des manifestants. Six mois après le début de la mobilisation, nombre d'entre eux annoncent de nouveau des actions aux abords des ronds-points. Un signe annonciateur d'un retour aux sources du mouvement ?
Fabien Rives